Deux jeunes Chinoises et des pantoufles smiley et leopard

Chine : les jeunes travailleurs se pointent au bureau en pantoufles

© Yoel Peterson

Sur les réseaux, ils posent devant la machine à café en jogging troué et chaussons fourrés. Le dernier signe d'une aversion grandissante envers le monde du travail.

Avant les tenues dépenaillées, bigarrées et défraîchies, il y a eu le mouvement « tangping », lancé en ligne en 2021 pour témoigner du ras-le-bol de l’ultra-compétition qui ne mène à rien. (Vite censuré par le gouvernement, le #tangping dépasse désormais sur TikTok les 1,6 million de vues.) Après la mouvance « allongé à plat », il y a eu les photos « zombies ». Quelques-uns des 116 millions d’étudiants de la promotion 2023 se sont pris en photos en tenue de diplôme, étalés sur le sol de leur campus, les jambes repliées en un angle bizarre, les mains molles, le visage figé dans une expression de dépit douloureux. Abondamment partagés sur les réseaux, les clichés à l’atmosphère post-apocalyptique s’accompagnaient d’une légende limpide : « zombie style ». Le ton est donné. Diplôme en poche, c’est une vie de mort-vivant qui les attend. Plutôt que de succomber à la « rat race » , certains jeunes travailleurs chinois optent alors pour la désertion. Au lieu de rallier leur open-space, ils quittent la ville pour aller vivre à la montagne et méditer dans des temples. Aujourd’hui, d’autres se rendent bel et bien au bureau, mais pas n’importe comment.

Manifestation douce : sandales-chaussettes, joggings et combinaisons fluo

Ou plutôt si. En décembre dernier, en raison du froid, Cindy Luo, 30 ans, a pris l’habitude d’aller au bureau vêtue de vêtements larges et douillets : pull à capuche et bas de pyjama rembourré. Quelques mois plus tard, l’usage demeure. Sur Xiaohongshu (l’Instagram chinois), la décoratrice d’intérieur vivant à Wuhan partage une image de la tenue qu’elle s’est composée au saut du lit. Et comme elle, des milliers de jeunes Chinois publient fièrement des photos d'eux arborant combinaisons fluo, pantalons de survêtement et sandales-chaussettes, autant de signes d’une aversion croissante pour le travail. « Je ne pense tout simplement pas que ça vaut la peine de dépenser de l'argent pour m'habiller pour le travail, puisque je suis juste assise là », a déclaré Cindy au New York Times.

En février dernier, l’internaute Kendou S- a partagé sur Douyin (le pendant chinois de TikTok) une vidéo où elle affiche sa nouvelle tenue de travail : une robe pull marron duveteuse portée sur un pantalon de pyjama à carreaux, une veste rose matelassée et des pantoufles en fourrure. À grand renfort de mimiques et de gestes théâtraux, elle rejoue une scène qu’elle aurait vécue au bureau : à plusieurs reprises, son superviseur l’aurait priée de quitter ses vêtements « dégoûtants » afin de « préserver l’image de l’entreprise ». Partagée plus de 1,4 million de fois, la vidéo popularise le hashtag « tenues dégoûtantes au travail », et les internautes rivalisent de créativité pour composer la tenue la plus « dégoûtante ». Sur Weibo, version chinoise de X, le sujet génère des centaines de millions de vues, déclenchant au passage un débat sur la pratique.

Ne plus « ravaler son amertume »

En 2022, Le Quotidien du Peuple, principal journal du Parti communiste au pouvoir, avait violemment critiqué les adeptes du mouvement tangping, les exhortant à rentrer dans le rang et à travailler dur. L’interpellation faisait écho au Président Xi Jinping qui invitait les jeunes à « manger leur amertume », une expression familière qui signifie « endurer des épreuves sans se plaindre. » Cette fois, le quotidien national n’a pas émis de critiques contre le style loufoque des yuppies chinois, préférant voir dans leurs tenues décontractées une forme d’auto-parodie. Mais après trois longues années de confinements imprévisibles, de quarantaines drastiques et de frayeurs liées à la contamination, certains jeunes n’entendent pas forcément tout envoyer balader. Joeanna Chen, 32, traductrice à Hangzhou, aspire simplement à un emploi stable et une vie paisible. Tout ce qu’elle souhaite, c’est pouvoir porter sa doudoune orange et ses chaussons de grand-mère au bureau. Trop vidée pour contester ? « Pour les jeunes, la dissidence a l'origine des brèves protestations contre les confinements durant la pandémie s’est muée en malaise et mécontentement diffus », résume The Atlantic.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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