Vue aérienne d'un soldat en position foetale au sol

En Ukraine, les vidéos de drones ressemblent de plus en plus à des clips de youtubeurs

Sur les réseaux, les vidéos de drones tuant des soldats font tout pour être de plus en plus "amusantes" et virales. Retour sur un tournant absurde et dérangeant de la guerre hybride.

Attention, le contenu des vidéos mises en lien dans l'article peut être choquant.

Trois dagues côte à côte sur un fond noir s'animent et se transforment en un drone. Ce dernier fonce vers une tour surmontée d'une étoile rouge et explose à son contact. Rapidement le logo s'efface pour laisser place au point de vue d'une caméra embarquée sur un drone kamikaze. On reconnaît facilement ces derniers grâce aux petits câbles métalliques qui sont à l'avant et qui vont déclencher l'explosif quand ils rentreront en contact. La vidéo de très bonne qualité montre différentes actions de course-poursuite entre ces machines de mort et des véhicules russes. Au moment de l'impact, la vidéo ralentit. Le moment de l'explosion arrive au moment du refrain du morceau Call out now, de Kasabian qui dit de manière ironique « No one could love me this way » (personne ne pourra m'aimer de cette façon).

La guerre des drones sera virale

Enlisé dans une guerre de tranchées qui ne progresse presque plus, le conflit ukrainien repose à présent sur l'usage efficace des drones. Ces derniers sont utilisés pour permettre à l'artillerie de cibler plus précisément, faire de la reconnaissance, mais aussi larguer des grenades ou exploser au contact de soldats ennemis. Depuis plusieurs mois, les images de ces drones alimentent les réseaux sociaux et les médias occidentaux. Ces contenus servent avant tout de propagande et permettent de montrer des actions spectaculaires à la manière d'un jeu vidéo qui met le spectateur au premier plan. Mais depuis peu, le format a changé. Les vidéos sont plus travaillées. Imaginées comme des clips, elles sont accompagnées de musique techno ou pop, synchronisées avec les explosions. On peut parfois tomber sur des choix musicaux plus étranges comme cette vidéo montrant la mort d'hommes sur le générique du dessin animé Scoobidoo. La qualité 4K des images est particulièrement troublante quand il s'agit de montrer le désespoir de soldats voyant arriver une grenade à leurs pieds. Le montage joue sur des ralentis au moment où les drones font mouche et explosent. Les clips finissent souvent par des arrêts sur images des cadavres ensanglantés ou calcinés.

Autre détail et non des moindres, ces vidéos sont ornées de logos sophistiqués représentant les différentes escouades de drones. On a déjà évoqué celui de la brigade Signum dont le logo animé démarre toutes les vidéos des drones FPV Kamikaze qui visent des blindés russes. La Strike Drone Company de la 47ème brigade est aussi très présente sur les réseaux. Sur sa chaîne Telegram qui comporte plus de 16 000 inscrits, ils diffusent jusqu'à 6 vidéos par jour produites à partir d'opérations de drone. Au son de la musique techno, les scènes se répètent. On y voit des soldats vus d'en haut, tenter d'échapper à des drones kamikazes ou abandonner leurs camarades. Étant donné que les grenades ne sont pas toujours suffisamment puissantes pour achever un homme, il n'est pas rare de voir des vidéos se terminer sur des soldats agonisants qui ne seront jamais récupérés. La compagnie possède aussi des comptes sur X et sur Instagram afin d'assurer une couverture maximale. Car derrière cette profusion de vidéos, il y a un objectif qui dépasse largement la propagande : la récolte de fonds.

Une logique de créateur de contenu

Face au ralentissement des approvisionnements d'armes et aux hésitations occidentales sur le déblocage de fonds, l'Ukraine a largement investi le système de financement participatif. Plusieurs sites comme Drone for Ukraine ou United 24 centralisent les demandes de fonds et les rendent attrayantes pour les donateurs. Sur le premier site, ceux qui donnent plus de 1 000 dollars peuvent recevoir en échange un morceau d'avion de chasse ou d'hélicoptère russe estampillé avec un numéro de série. Le système peut s'avérer très efficace. Le 23 février dernier, le site United 24 a permis de recueillir 7, 77 millions de dollars en l'espace de 36 heures pour financer une trentaine de drones marins permettant de détruire de gros cuirassés russes.

Mais cette récolte de fonds se fait aussi de manière décentralisée pour chaque compagnie armée. Chacune d'entre elles développe donc une « marque » avec son logo et des vidéos taillées pour la viralité. La plupart d'entre elles incrustent un QRcode à la fin pour amener les internautes vers un transfert de dons. Ces liens sont aussi présents sur chaque compte Telegram avec des sites de crowdfunding en dollars ou en cryptomonnaie. À la manière d'influenceurs qui créent du contenu et demandent à leur communauté de s'abonner et de donner un « sub », ces brigades de drones rivalisent donc de créativité morbide pour s'attirer les faveurs des donateurs.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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