
En 10 ans, les médias ont affûté leur vocabulaire et leurs discours pour parler de la crise climatique.
À l'approche de la COP28 qui se tiendra fin novembre à Dubaï, une étude analyse l'évolution du discours des médias à propos des enjeux climatiques entre 2013 et 2023. Les mutations linguistiques observées sur la dernière décennie mettent en exergue un virage sémantique allant du doute préoccupant (parfois climatosceptique) à une certitude alarmante retranscrite par la quasi-totalité des médias. Une évolution du langage climatique qui revêt une importance cruciale. « Il reflète non seulement l'évolution de notre compréhension de ce problème critique, mais aussi la manière dont il façonne le discours public, les réponses politiques et l'engagement sociétal », explique Sophie Vignoles, linguiste à la tête de la production de contenu d'apprentissage chez Babbel derrière l'étude.
Du doute préoccupant à la certitude alarmante
En 10 ans, le ton est passé de l'information critique à l'alarmisme urgent. En 2013, le climatoscepticisme occupait encore une place significative, se traduisant dans les discours par l’usage de formes interrogatives, avec des titres comme « faut-il s'inquiéter du réchauffement climatique ? ». En 2023, le discours de sensibilisation a cédé la place à une certitude alarmante sur l’état du climat. Des termes tels que « crise climatique », « effondrement climatique », et « urgence climatique » imprègnent le contenu journalistique, traduisant la prise de conscience d'une menace sérieuse et immédiate.
D’une approche unidimensionnelle à l’analyse d’un phénomène complexe
Les résultats révèlent également une maturation de la compréhension de la crise environnementale. Autrefois cantonnée à des termes génériques tels que « réchauffement climatique », « gaz à effet de serre », « hausse des températures », le langage journalistique de 2023 s’est enrichi de concepts plus pointus comme « transition énergétique », « planification écologique », « rénovation énergétique » ou encore « zones à émissions réduites ». Cette complexification du discours s’exprime également par l’évocation des impacts sociaux du changement climatique, via des termes comme « sécurité alimentaire » ou « migrations climatiques ». L'économie, par le prisme de « l’économie verte », devient également un point focal. Par ailleurs, les contenus médiatiques de 2023 intègrent une grande diversité de sources. On y trouve par exemple des entrepreneurs mais aussi des représentants d’ONG et de think tanks, élargissant ainsi les perspectives par rapport à 2013 où le discours se concentrait sur les contributions scientifiques des climatologues du GIEC.
Des métaphores générales aux images chocs
En 2023, les expressions, métaphores et analogies utilisées pour décrire le réchauffement global sont plus variées et visuellement plus fortes que celles de 2013. Les représentations de 2013, bien que puissantes, relayaient des idées générales telles que « les arbres sont nos meilleurs alliés » ou encore « le deuil du monde d’aujourd’hui ». Les images convoquées en 2023 sont plus directes et frappantes, ancrées dans les conséquences immédiates du dérèglement climatique : « syndrome de la fourmi » et « nœud gordien » invoquent les notions d’aggravation avec le temps et d’insolubilité, projetant une vision d'avenir incertaine et périlleuse avec des expressions telles que « sauter dans l'inconnu les yeux fermés ». D’autres mobilisent une rhétorique plus dramatique et urgente, avec des images telles que « notre climat implose » ou « la planète cuit », marquant les esprits.
Du décryptage à l’impératif d’agir : le tournant « actionnaire » du discours climatique
Contrairement à 2013, où le discours s’articulait autour de la description et de la compréhension du problème, l'accent est mis en 2023 sur les solutions requises pour contrer le changement climatique. Alors que le discours antérieur se concentrait sur des accords internationaux et le sujet de la réduction des émissions, on note que l’emphase est aujourd’hui mise sur l’obligation de changement de comportement face à la crise environnementale, avec des termes comme « adaptation », « se reconvertir », « gestion de crises » et l’émergence de nouveaux mots comme « maladaptation » ou « résilience ». Par ailleurs, le ton employé peut se transformer en un cri de dénonciation contre « l’inaction des gouvernements », leur « déni » ou bien leur « procrastination » . Des termes comme « aide à la transition écologique », « sobriété » ou bien « mesures restrictives » sont quant à eux le signe d’une évolution de la langue journalistique en faveur de la promotion d’actions concrètes et des désirs de changements de politique.
* Analyse comparative linguistique menée par Babbel et la linguiste Sophie Vignoles auprès d’un corpus d' articles publiés en 2013 et 2023.
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