Un amalgame de truc bordélique

GIFs moches, liens hypertexte et HTML : le mouvement Web Revival veut réinventer un Internet plus fun

Oubliez les pages "for you" et les algorithmes qui vous gavent de contenus. Un nouveau mouvement underground veut nous redonner le goût du Web.

« L'Internet n'est plus amusant ». Cette petite phrase, vous l'avez peut-être entendue de la part de vieux briscards du Web, mais aussi de jeunes internautes lassés des réseaux sociaux et de la surconsommation de contenu. Il s'agit aussi du titre d'un article du New Yorker publié en octobre dernier et qui fait le triste constat que le Web n'est plus cet espace de découverte fun et original qu'il a pu être. Entre l'invasion des pastilles bleues et la désinformation sur X, la transformation d'Instagram en régie publicitaire et l'invasion inéluctable du contenu généré par des IA, Internet semble entamer une spirale infernale. C'est dans ce marasme général qu'un petit mouvement plein d'espoir est en train de décoller. Il s'agit du Web Revival.

Rendre Internet plus chaotique

Appelé aussi Web Indie, ce mouvement a pris son essor depuis 2022. Il est porté par différents artistes et informaticiens qui proposent de revenir aux fondements de l'âge d'or du Web, situé quelque part entre les années 90 et 2000. Si le mouvement n'a pas vraiment de leader, l'un de ses porte-parole les plus connus est Daniel Murray, un artiste issu de l'Université de Cork en Irlande qui explore l’émotion et la mythologie de nos vies numériques. Dans un manifeste qu'il a publié sur son site Melonking.net, il explique l'idée centrale du Web Revival : « Elle consiste à créer son propre site Web et le rendre chaotique, explique-t-il. Il s'agit d'inciter les webdesigners à jouer, non pas pour passer le temps, mais pour créer d'autres réalités. »

De manière plus concrète, les acteurs de ce mouvement veulent reconstruire un Web basé sur des sites codés amoureusement à la main en encourageant l'utilisation d'outils alternatifs ou dépassés. Ils se présentent comme une communauté accueillante et amicale qui rejette tout ce qu'on a pu mettre sous l'appellation Web3 (cryptomonnaies, NFT, IA…) ainsi que la monétisation à outrance ou l'usage abusif des données de navigation. « Le but est de trouver ce qu'il y avait de mieux dans les premiers âges du Web et ce qu'il y a de mieux dans les technologies récentes et de mélanger les deux pour forger le Web de demain, poursuit Daniel Murray. On doit faire ça tout en virant les Zuckerberg et les Musk de nos vies. Les citoyens du Web méritent mieux que d'être enfermés dans des petits bureaux à cloisons limités à 280 caractères, étudiés et "rebrandés". »

Un Web de demain qui ressemble au Web d'hier

Tout ça, c'est bien beau, mais concrètement, ça donne quoi le Web Revival ? Pour l'explorer, il faut se rendre sur l'un des sites qui se revendiquent du mouvement comme le site Meloland, créé par Daniel Murray. Les vétérans des « autoroutes de l'information » ne seront pas dépaysés par ces designs qui fleurent bon les années 90 et les GIFs de basse qualité. Le site qui rappelle les portails Web qui faisaient office de moteurs de recherche avant Google mène à une multitude d'autres sites Web tout plus étonnants les uns que les autres. On y trouve des forums à l'ancienne, un site permettant de télécharger des textures pour habiller son site Web, ou bien un simulateur de Tamagotchis qu'il est possible d'afficher sur sa homepage. À ce propos, une grande partie du Web Revival est composée d’homepages, c'est-à-dire de sites Web très simples sur lesquels les internautes peuvent se présenter et publier des textes. Ça fait bien évidemment penser aux ancêtres des blogs, mais ici, pas question de trouver les habillages habituels des WordPress ou des plateformes de newsletters. Le but est de charger ces pages de GIFs brillants et moches, et d'offrir à ses visiteurs des surprises cool comme un lecteur de musique, un jeu de rôle textuel ou une vieille interface de navigateur Web fonctionnelle.

Au gré des pages, les visiteurs sont constamment encouragés à mettre la main à la pâte, mais aussi à retrouver de vieilles pratiques permettant de se libérer des réseaux sociaux. On apprend notamment à réutiliser un lecteur de flux RSS (pour ceux qui ont oublié, il s'agit d'un outil permettant de centraliser toutes les mises à jour des sites ou des podcasts que vous suivez) ou à coder son propre site qu'il est possible d'héberger gratuitement sur la plateforme Neocities.

Il est évident qu'un tel mouvement n'est pas fait pour tout le monde. Il demande un certain investissement de temps et un réapprentissage technique qui ne parlera qu'aux plus motivés. L'idée derrière le Web Revival n'est pas de remplacer le Web actuel, c'est bien trop lui en demander. Comme l'indique Daniel Murray, il s'agit surtout de retrouver cette jouabilité qui faisait le sel du Web d'avant, car d'après lui, « le jeu est un moyen d'inventer et de devenir ce que vous êtes et ce que vous souhaitez devenir, explique-t-il. Vous méritez d'expérimenter un Web où vous êtes libre de décider ce que vous voulez faire plutôt que d'être exploité par un algorithme. »

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar richarre dit :

    Chouette ! Le retour du « Webring » et de la créativité sur le Web ! 🙂

    Franchement, j’adorerais voir les explorations des (très) jeunes générations de surfeurs-explorateurs-designers.

    Si un mouvement massif vers plus « personnalité » par le style de sa présence sur le Web devenait le prolongement ou l’extension de la pensée : ce serait extraordinaire.

    Le W3C se prend la tête à mettre des normes technologiques universelles en place, que la majorité des internautes ne connait absolument pas.

    Manque de volonté des États, ringardise des compétences des « décideurs », vieillissement de la population des premiers internautes qui n’ont pas su passer la flamme de l’esprit pionnier et créatif des outils et technologies du Web et des Internets.

    Tous mes vœux de réussite à cette salvatrice initiative.

    Il faut retrouver l’esprit poétique du Web, qui n’était pas mieux avant, mais tellement plus existant intellectuellement et culturellement…

  2. Avatar Michel dit :

    Sur le thème du web revival, je vous encourage à jeter un œil au petit nouveau : https://Vignette.eco

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