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Pourquoi aime-t-on humilier ses enfants sur les réseaux à coups d’œuf et de fromage ?

© TikTok

On le sait, les vidéos d’enfants faisant une crise ont toujours fait des cartons d’audience. Et si c’était plus profond que ça ?

« PRANK ! Je craque un œuf sur la tête de Victor et j’observe sa réaction. » Sur TikTok et dans les compilations YouTube, ce genre de titre est légion. Il accompagne des vidéos montrant des femmes en train de faire la cuisine et d’écraser soudainement un œuf sur la tête de l’enfant qui les accompagne pour filmer leur réaction. La plupart du temps, les bambins oscillent entre étonnement, douleur et sentiment de trahison vis-à-vis de l’adulte qui ricane à côté. Comme le résume si bien cette petite fille apparaissant à la 45e seconde de cette compilation : « Je n’aime pas ça. »  

Et pourtant, Internet semble adorer voir des parents humilier leur gamin pour le plaisir de faire du clic. Sur TikTok, les hashtags #crackingegg ou #eggcrackchallenge oscillent entre 62 et 90 millions de vues ce qui n’est pas énorme pour cette plateforme, mais beaucoup trop pour ce type de vidéos cruelles. Les choses pourraient s’arrêter là et l’on pourrait décréter qu’il s’agit d’une tendance aussi stupide qu’éphémère – comme Internet sait si bien les générer. Malheureusement, il s’agit plutôt de l’évolution d’une vieille et increvable pratique du Web.

Claque le cheese sur le bébé

Avant de craquer des coquilles d’œuf sur le crâne de leurs enfants, la confrérie des parents indignes s’est laissée aller aux Cheese Challenge. Il consistait à lancer une tranche de fromage à burger sur le visage d’un bébé qui pleure (ou qui n’a rien demandé) et de filmer sa réaction. En général, les enfants sont étonnés et arrêtent momentanément de pleurer pour se retirer le fromage gluant.

Du côté du parent, c’est la même réaction, à savoir le rire et une forme de satisfaction d‘avoir participé à la tendance du moment. Si le lancé de fromage a refait surface récemment, il s'agit de l’une des « blagues » les plus récurrentes du Web puisqu’elle a fait scandale en 2019 sur Twitter et en 2008 sur YouTube. Quand ils ne sont pas occupés à fromager leurs enfants, les parents peuvent aussi leur dessiner des sourcils rigolos aux marqueurs, comme c’était la mode sur Facebook vers 2014/2016 ou bien leur faire goûter une tranche de citron, ce qui est une pratique plutôt amusante, mais rendue humiliante par le fait de la filmer et de la montrer au monde entier. 

Vidéos d’enfants et vidéos de chat, même combat ?

On pourrait penser que ces challenges humiliants existent depuis l’arrivée des plateformes sociales. Mais avant que ces blagues ne soient massivement reprises par les internautes, le Web voyait déjà l’émergence de vidéos virales centrées sur des enfants en positions difficiles. Les vétérans de YouTube se souviendront peut-être de « David After dentist », une vidéo sortie en 2009 sur YouTube montrant un enfant qui réagissait à une anesthésie après un rendez-vous chez le dentiste. Totalement défoncé, ce dernier se demandait si « c’était la vraie vie » et si l’effet « allait durer toute la vie ». Déjà à l’époque, la vidéo avait provoqué une polémique et des journalistes de Wired ou Mashable se demandaient si c’était une bonne idée de diffuser ce genre de vidéo sur le Web.

Même chose pour Charlie bit my finger, une vidéo de 2007 dans laquelle on voit un enfant se faire mordre le doigt par son petit frère. Les deux vidéos ont généré respectivement 149 et 326 millions de vues. On pourrait donc argumenter que nous, adultes, avons une fascination pour les vidéos de petits enfants dont les mouvements et les réactions nous hypnotisent depuis la nuit des temps. C’est sans doute pour cette raison que l’un des premiers films de cinéma tourné par les frères Lumière en 1896 s’intitule Querelle enfantine et montre deux bambins en train de se gifler pour une cuillère. 

L’enfant comme une extension virale de soi

Pour Amanda Hesse du New York Times, le secret de fabrication de ces vidéos réside plutôt dans un désir de prise de contrôle un brin pervers. Elle remarque ainsi que les parents qui tiennent la caméra interagissent très peu avec leur enfant durant la vidéo, mais regardent généralement l’écran, à la manière d’un miroir. « Si l'astuce de la tranche de fromage imagine le bébé comme une sorte de personnage bénin de Monsieur Patate, le défi de l'œuf considère le tout-petit comme un jeu de taupe, un adversaire rusé qui doit être soumis, explique-t-elle. Les deux tendances imaginent que l’enfant lui-même fonctionne comme un gadget, avec un « interrupteur docile » ou un « interrupteur grincheux » qui peut être actionné pour notre propre confort ou pour notre amusement. À l’intérieur du téléphone, un enfant peut être coaché, filmé, refilmé, coupé et filtré. Un enfant peut être enregistré ou supprimé. » Face à l’angoisse de voir nos enfants grandir, on les filmerait donc sous toutes les coutures pour garder une trace d’eux, quitte à leur écraser un œuf sur le crâne.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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