Des filles générées par IA

Le business glauque des cyber maquereaux

© @sarahstonewall @sarah_jordan_1 @andis.ai @summerhayes123

Dites merci aux hustles bros, qui ont décidé de se lancer dans la traite de femmes générées par intelligence artificielle.

« Bonne journée tout le monde ! C’est #miniskirtmonday ! », annonce Juliana, (une « vraie Texane », comme elle le précise dans sa description sur Instagram) en minijupe, donc, puisque c’est lundi. Derrière le hashtag qu’elle présente, on trouve des centaines de photos de jeunes femmes similaires à Juliana : toutes ont d’énormes poitrines, le ventre ultraplat, la peau lisse (et blanche pour la plupart), et de longs cheveux. Surtout : aucune n'existe réellement. Juliana et ses amies sont des images générées par intelligence artificielle. 

Leur profil annonce souvent clairement la chose. « Virtual model », « AI brats » ou « virtual cosplayer », peut-on notamment lire dans leur bio. Un aveu qui ne les empêche pas d’être suivies par des dizaines voire centaines de milliers de followers pour certaines d’entre elles. Juiliana, par exemple, en compte 38 000, sa collègue Hannah Charlotte 156 000, et Deanna Ritter 330 000. Elles officient également sur TikTok, OnlyFans, ou encore X (anciennement Twitter). Leurs photos et vidéos sont commentées par des dizaines, voire centaines d’hommes, dont il est difficile de savoir s’ils se rendent compte ou non de l’irréalité de ces personnages. 

L’influence virtuelle n’est pas une nouveauté. Lil Miquela, l’une des plus connues d’entre elles sur Instagram, existe depuis 2016 et est suivie par près de 3 millions d’abonnés. Elle a posé avec diverses célébrités et fait régulièrement des partenariats avec des marques, dont Samsung et Prada. Sur Twitch, on trouve aussi des V-Tubers – qui ont souvent l’apparence de personnages de manga et ont leur catégorie dédiée sur la plateforme. Mais Juliana et ses amies appartiennent à une catégorie d’influenceuses virtuelles hypersexualisée et spécifique pour deux raisons. D’une part, leur apparence se veut ultra-réaliste – ce qui n’est pas forcément le cas de Lil Miquela, qui garde un côté jeu vidéo. D’autre part, elle vise clairement un marché spécifique : les hommes hétérosexuels en quête de désir sexuel. 

Qui sont derrière ces femmes ? Des hommes bien sûr 

Ces profils sont apparus pour les premiers d’entre eux il y a un an environ, lorsque des outils de création d’image par intelligence artificielle faciles d’accès, comme Midjourney et Stable Diffusion, sont apparus en ligne. Une vraie influenceuse, Caryn Marjorie, a notamment montré la voie en créant une version virtuelle d’elle-même pour qu’elle discute avec ses fans 24h/24. De quoi lui rapporter plus de 70 000 euros par semaine. 

Si ces influenceuses sont si nombreuses sur les réseaux, c’est que créer une femme virtuelle pour tenter de gagner quelques deniers est visiblement le nouveau hobby des hustle bros de YouTube (des vidéastes férus de conseils business plus ou moins fumeux). De nombreuses vidéos tutos publiées ces dernières semaines sur la plateforme expliquent « Comment créer une influenceuse IA » étape par étape. Plusieurs techniques sont possibles. Elles impliquent la combinaison de différents outils, tous accessibles en ligne. Midjourney pour créer des images, Runway pour créer des vidéos, Voicelab pour créer une voix artificielle, FaceApp pour mixer deux photos ensemble, SeeArt pour rechercher des images déjà créées par IA (et réutiliser les corps de celles-ci, en les mixant avec de nouveaux visages). Une vraie petite boîte à outils de Frankenstein des années 2020 en somme.  

Quelqu’un sait comment utiliser FaceApp pour du contenu NSFW ?

Sur le forum Discord « AI Revenue Pro » relié à la chaîne YouTube du même nom, on trouve des discussions assez lunaires entre ces espèces de maquereaux virtuels qui cherchent à monétiser leurs créatures. « Est-ce que quelqu’un sait comment utiliser FaceApp pour du contenu NSFW ? (non safe for work, à caractère sexuel) ? », demande l’un. Un autre : « Je cherche des personnes pour faire une collab, pour faire la promotion du compte de nos influenceuses IA ». Pour beaucoup, l’intérêt est évidemment de gagner un petit butin grâce à ces poupées virtuelles. Dans une vidéo, un youtubeur avance avoir reçu des propositions de partenariat allant de 100 à 300 dollars par post. 

Plusieurs possibilités sont proposées par les tutos. Soit demander directement de l’argent aux fans via un compte Patreon ou BuyMeACoffee. Soit proposer aux fans des conversations façon Minitel rose en créant un chatbot accessible 24h/24, ou des images ou vidéos dénudées via OnlyFans et Patreon (des abonnements allant de quelques dollars à 70 dollars par mois selon la quantité de contenus proposés généralement). Troisième option : nouer des partenariats avec des marques, souvent pour faire la promotion de produits vendus par dropshipping, ou d’applis permettant de générer des images par IA. 

Les techniques se corsent pour la création de vidéos. Certaines sont entièrement réalisées par intelligence artificielle (via des logiciels comme Runway par exemple), mais les plus sophistiquées — celles incluant notamment un produit à présenter – requièrent un travail humain. 

Utiliser l’image d’une vraie femme pour produire un contenu sexiste, on adore

Et c’est là que l’affaire devient encore plus glauque. Certains utilisent des vidéos mettant en scène une vraie femme, qu’ils vont ensuite « mixer » avec l’image de leur influenceuse virtuelle. « Demandez à votre sœur, votre copine ou votre mère » de faire une vidéo pour vous, suggère un youtubeur dans son tuto. « Ou sinon passez par Fiver. » Fiver est une plateforme permettant à des travailleurs indépendants de répondre à des missions diverses, dont du mannequinat, la réalisation de courtes vidéos. Contre quelques dizaines de dollars, il est donc possible d’envoyer un script à ces mannequins et d’obtenir une vidéo en quelques jours. 

Plus problématique : certains hustle bros se servent directement sur les comptes Instagram et TikTok d'influenceuses bien réelles, pour obtenir des images sources qui vont alimenter les logiciels qui génèrent leurs femmes virtuelles. Comme le semble le suggérer cet utilisateur sur le groupe Discord cité plus haut : « Est-ce que quelqu’un sait si c’est légal d’utiliser une vidéo TikTok et remplacer la tête de quelqu’un ? », « il n’y a pas de régulation », lui répond un autre, « donc je peux prendre le visage de n’importe quelle fille et deepfaker sa tête ? ». Message d’un troisième : « Frère, c’est un territoire inconnu, à toi de prendre des risques, il n’y a pas de garantie », lui répond un autre. OK les bros, mais il y a quand même le copyright et accessoirement la décence de ne pas usurper le travail d’une autre personne pour reproduire l’énième même image d’une femme objectifiée. 

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    bientot l extreme droite arrive avec vos conneries

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