Barbie, Barney et Polly Pocket

Barbie, un film ironique, mais un film de marque malgré tout (et le premier d'une longue série pour Mattel)

Après Barbie, le fabricant de jouet prévoit de produire 45 films adaptés de ces jouets, dont Polly Pocket, les voitures Hot Wheels et le dinosaure Barney. 

Difficile de passer à côté du marketing assommant du film Barbie, en salle le 19 juillet, et annoncé comme l’un des blockbusters de l’été. Mais quel est donc cet objet cinématographique ? Un film féministe ou une énorme publicité pour la poupée ? Un peu des deux. Si l’on en croit les premiers retours des journalistes qui ont pu assister à l’avant-première, le film promet d’être critique, ironique et intelligent. Mais il n’en reste pas moins un film voulu et coproduit par Mattel. Après Barbie, le fabricant de jouets projette d’ailleurs 45 autres productions reprenant l’univers de ses produits. Un film sur Polly Pocket avec Lena Dunham (Girls) aux commandes, et un autre sur Hot Wheels (oui, les petites voitures) sont notamment en préparation. 

Dans un article fleuve, le New Yorker raconte avec précision la relation de travail entre Mattel et Greta Gerwig, la réalisatrice de Barbie. Cette figure du cinéma indé n’est pas franchement celle qu’on attendait à la tête d’un film adapté d’un produit de grande consommation. Elle s’est notamment fait connaître en 2013 dans le film Frances Ha, film en noir et blanc intello et new-yorkais réalisé par son compagnon Noah Baumbach (qui a d’ailleurs coécrit Barbie avec elle). Puis en tant que réalisatrice avec Lady Bird (2017), long-métrage sur la fin de l'adolescence, et une adaptation des Filles du Docteur March en 2019. On apprend dans l’article, qu'il aura fallu plus d'un an d’hésitations à Greta Gerwig, proposée par Margot Robbie (qui tient le rôle principal), pour dire oui à Mattel. 

Les parias de l’univers Barbie : un moyen de mieux la mettre en valeur

Pour plonger la réalisatrice dans l’univers de la marque, l’entreprise a sorti le grand jeu. Greta Gerwig a été la première d’une longue lignée de réalisateurs travaillant pour la firme à être invitée à visiter le centre de design de Mattel à El Segundo (Californie). On y trouve des centaines d’ateliers, mais aussi un musée consacré à l’histoire de l’entreprise. Le tout baigné dans une atmosphère corporate et rose bonbon. Une manière de faire une « immersion dans la marque », une sorte de cours accéléré pour capter l’ambiance. 

Le magazine raconte aussi la manière dont certains aspects du scénario ont été négociés par la réalisatrice, Noah Baumbach et Margot Robbie. Par exemple, l’idée que la Barbie incarnée par Margot Robbie s’appelle “Stereotypical Barbie” ne plaisait pas au départ au fabricant, qui préférait “Original Barbie”. Le film met par ailleurs en scène une petite communauté de parias de l’univers Barbie comprenant Alan, l’ami de Ken qui a fait un flop, ou Tanner, le labrador de la poupée retiré de la vente en 2007 pour cause de risque d’étouffement. Au départ, Mattel n'était pas pour l’affichage de ses ratés. Mais Gerwig a réussi à les convaincre, arguant que montrer les échecs était aussi une manière de rendre hommage à Barbie qui leur a tous survécu. 

Du brand content à 100 millions de dollars 

C’est intéressant à lire car ces allers-retours entre la marque et la réalisatrice sont très proches d’une relation dite de brand content, d’une enseigne avec une agence qui écrit ou produit des contenus pour elle. Mais à une échelle et un budget (100 millions de dollars, nous apprend le New Yorker) bien plus importants. 

Mattel ne fait rien de très nouveau. Les franchises cinématographiques Marvel, entre autres, ont déjà depuis longtemps rodé cette mécanique ad nauseam des personnages de la pop culture que l’on adapte en blockbusters. Mais dans le cas de Barbie, il n’y a pas vraiment d’histoire à la base. Et Barbie, contrairement aux Transformers de Hasbro, un autre fabricant de jouets portés sur les films, n’est a priori pas un personnage calibré pour un film d’action (même si elle est tout de même allée sur la lune avant n’importe quelle autre femme). Cela donne donc un film « méta » sur l’univers Barbie (selon le pitch, l’héroïne sort de Barbieland pour découvrir le vrai monde). 

Le point de vue de Greta Gerwig suffira-t-il à oublier qu’à la fin des fins le film sert à booster les ventes de Mattel ? La marque assure que ce n’est pas l’objectif. Mais les chiffres disent le contraire. La poupée à l’effigie de Margot Robbie commercialisée en juin est déjà en rupture de stock. 

Les adaptations et reboots : seul avenir des cinéastes talentueux ?

Côté box office, reprendre un personnage bien connu de la pop culture est une stratégie gagnante. Le top 10 des films ayant fait le plus d’entrées mondiales en 2022 est essentiellement constitué de reboots, de suites ou d’adaptations. « Est-ce une bonne chose que nos grands acteurs et cinéastes créatifs vivent dans un monde où l'on ne peut faire que des coups d'éclat autour de contenus de consommation et de produits de masse ? », se demande Jeremy Barber, l’agent de Greta Gerwig dans les colonnes du New Yorker. « Je n'en sais rien. Mais l’industrie est comme cela. Alors, si c'est ce que les gens consomment, rendons les choses plus intéressantes, plus complexes. »

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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