Tiago Rodrigues

« Nous devons nous battre pour ne pas nous battre entre nous » : le Festival d’Avignon vu par son nouveau directeur

© Raynaud de Lage / Festival d'Avignon

Casser les codes du théâtre, le dramaturge et acteur portugais Tiago Rodrigues l’a toujours fait. Parviendra-t-il à imprimer sa marque au Festival d’Avignon ? Sa première édition en tant que directeur semble le promettre. 

« Bonjour, je m’appelle Tiago Rodrigues et je travaille au Festival d’Avignon. » En sweat-shirt et baskets, c’est avec ce gimmick que le Portugais se présente à chacune de ses prises de parole dans la cité des Papes. De la présentation du programme en passant par les différentes ouvertures des lieux de spectacle, Tiago Rodrigues va à la rencontre de son public et se place à sa hauteur. Nommé directeur du Festival d’Avignon à 46 ans, le natif de Lisbonne a naturellement quitté le Portugal pour s’installer en plein cœur de la cité des Papes avec sa famille. Et depuis, il se familiarise à la vie de sa ville. « Les gens commencent à me reconnaître, on m’interpelle le dimanche sur le marché », s’amuse-t-il. 

« Bouffée d’air frais »

Il y a moins de dix ans, Tiago Rodrigues découvrait Avignon. Nous étions en 2015, il présentait Antoine et Cleopâtre, adaptation dansée d’une pièce de Shakespeare. « C’est comme si on vous disait que l’acropole existe et qu’un jour on vous y emmène », se souvient-il. Impossible alors d'imaginer qu’il deviendrait le premier dramaturge étranger à diriger l’un des plus grands festivals de théâtre au monde.

Sa nomination, vécue comme une « bouffée d’air frais » par de nombreux critiques et spectateurs, s’accompagne de grands bouleversements dans la programmation. Artistes plus émergents, discours et enjeux plus actuels…, les œuvres proposées abordent des thèmes comme l’altérité, l’écologie…

Un festival plus politique ?  

Cette édition sera-t-elle plus politique ? « Ce serait arrogant de ma part. Avignon est, par définition, le festival le plus politique du monde, souligne Tiago Rodrigues. J’assume des choix républicains, anti-populistes, antiracistes, car ces batailles sont reliées aux batailles historiques de notre époque. » Un engagement qui n’est pas sans rappeler celui de son père, journaliste de gauche engagé contre la dictature salazariste.

Mais Avignon ne fait pas table rase du passé. Tiago Rodrigues l’a appris lorsqu’il dirigeait le théâtre Dona Maria II de Lisbonne, l’équivalent de la Comédie-Française : certains codes immuables doivent être respectés. L’essentiel est là : des pièces cathédrales jouées dans des lieux exceptionnels, comme la Cour d’honneur du Palais des Papes. « Avignon est une immense partition dont on peut changer quelques notes, analyse le nouveau directeur. Il faut assurer le mariage de l’exigence, de l’innovation et de la surprise tout en garantissant l’accès le plus démocratique possible. » 

De la télévision au théâtre

Reste que Tiago Rodrigues compte bien marquer le Festival de son empreinte – celle d’un théâtre qui bouscule, parfois brutalement et qui n’hésite pas à mettre le public face à ses contradictions. Car c’est bien ce style dans lequel le dramaturge évolue depuis le début des années 2000. Rodrigues casse les codes, avec des pièces comme Catarina et la beauté de tuer des fascistes, dans laquelle il évoque la montée du fascisme en Europe, brisant au passage le quatrième mur. Parmi ses plus grands succès, il y a aussi By Heart. Inspiré par sa grand-mère aveugle qui lui demandait de lui choisir un livre qu’elle pourrait apprendre par cœur, Rodrigues fait une nouvelle fois appel au public en conviant chaque soir dix spectateurs à accomplir ce geste : celui de retenir un texte et de le dire sur scène. Un théâtre brut donc, qui brouille la frontière entre réalité et fiction, un goût qui lui vient peut être de son passage par la télévision. Après cinq années d’écriture de scénarios de documentaires pour la chaîne culturelle portugaise RTP2, il sait raconter le réel. 

Faciliter l’accès à l’exigence artistique

Depuis son arrivée, le nouveau directeur s’est attelé à la mère de toutes les batailles : renouveler le public du festival. « Il faut affirmer Avignon comme l’une des clés d'accès aux arts vivants », soutient Tiago Rodrigues. Cette année, le programme « Première fois » permet à plus de 5 000 spectateurs et spectatrices de venir découvrir le Festival d’Avignon, accompagnés par des médiateurs. 

Aidé par toute son équipe, et notamment Pierre Gendronneau, le directeur délégué qui ne le quitte plus, Tiago Rodrigues multiplie les défis. Accentuer les passerelles avec le territoire et ses habitants, réinvestir certains lieux délaissés par le Festival, inviter une langue chaque année (l’anglais cette année, en réponse, notamment, à la brutalité du Brexit), mener l'évènement à adopter des mesures écologiques… Autant de propositions qui ont un seul but : faciliter l’accès à l’exigence artistique. « C’est encore plus nécessaire aujourd’hui, quand la simplification des discours mène aux populismes, estime Tiago Rodrigues. Nous devons nous battre pour ne pas nous battre entre nous. » L’utopie du théâtre populaire serait-elle sur le point de se réaliser ?

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