
Une cage d’escalier, une allée de supermarché déserte, de longs couloirs froids et des néons qui grésillent… De Reddit à TikTok, l’esthétique Web liée aux espaces liminaux, lieux de transition entre deux endroits, fascine autant qu’elle dérange.
« Un voyage aux confins de la réalité. » C’est apparemment ce qu’il faut attendre du compte Twitter Liminal Spaces lorsque l’on s’y aventure. Difficile, en effet, de ne pas être d’accord face au sentiment d’étrangeté qui nous saisit instantanément. De longs couloirs à la Shining, des parkings et des entrepôts désaffectés, des jardins d’enfants et des supermarchés déserts… Ici ne sont publiées que des images de lieux hors du temps, clos pour la plupart, et dont la fonction principale est d’assurer une transition d’un endroit à un autre, des endroits où nulle âme n’est censée s'éterniser : les fameux espaces liminaux.
Une esthétique du malaise
Cette esthétique Web angoissante, révélée par un utilisateur anonyme de 4chan en 2019 et devenue populaire avec le hashtag #LiminalSpace, a gagné en visibilité ces dernières années.
Créé en août 2020, le compte Twitter aurait acquis près de 180 000 abonnés en 10 mois, rapporte le site Know Your Meme. Il en compte aujourd’hui plus de 400 000. Sur TikTok, les publications avec le hashtag #liminalspace ont cumulé plus de 16 millions de vues en mai 2021. Elles en collectionnent maintenant plus de 35 millions. On retrouve d’ailleurs des espaces liminaux à l’intérieur d’autres esthétiques Web comme celle du #Dreamcore ou #Weirdcore, une tendance particulièrement populaire sur TikTok, basée sur le rêve, la nostalgie et un certain sentiment d'irréalité.
En ligne, ces espaces intriguent parce qu’ils touchent, d’une certaine façon, au mystère de l’inconscient, allant jusqu’à déclencher des émotions aussi variées que subjectives. Certains parlent de sensations de déjà-vu ou d’endroits étrangement familiers, d’autres évoquent des lieux qu’ils auraient visités dans des rêves ou durant leur enfance.
La pandémie a eu « un effet liminal »
Si ces images figées et inquiétantes fascinent autant, c’est peut-être parce qu’elles symbolisent « les chemins que nous empruntons face aux événements de la vie, écrit Sarah Wayland, chercheuse en santé mentale, dans un article paru sur The Conversation. Ces moments où nous nous trouvons dans une salle d'attente métaphorique, entre une étape de la vie et une autre » – entre une pandémie de deux ans et un avenir que l’on espère plus radieux...
L’article, qui s’intéresse au phénomène de liminalité d’un point de vue anthropologique, avance que la crise sanitaire nous a particulièrement fragilisés, nous maintenant en suspens entre deux moments, deux états, tant sur le plan physique (les rues et magasins sont vides / je ne peux aller voir personne) que mental.
« Avec le Covid, la façon dont nous pensions que nos vies “auraient dû” fonctionner a cessé d’exister. Nous nous sommes retrouvés dans l'incertitude. (...) Cet espace entre la vie d’avant et la vie que nous pourrons potentiellement avoir demain peut causer de la détresse. Et ce ne sont pas les réunions Zoom, les commandes Uber Eats ou les promenades dans le quartier qui réussiront à nous satisfaire. »
Ne resterait plus qu’à accepter ces moments de latence sans trop paniquer ! Âmes sensibles, s'abstenir de scroller en terres numériques liminales.
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