
Coincé dans l’anthropocène et ses nouvelles menaces, l’être humain entame un retour à la nature boosté aux nouvelles technologies. Dans cette nouvelle approche holistique et systémique du monde, l’invisible s’invite dans notre quotidien, santé et mode fusionnent, corps et environnement ne font plus qu’un.
Aujourd’hui, nous passons 90% de notre temps ou plus à l’intérieur. Les ondes Bluetooth et wifi font partie intégrante de notre environnement. Conséquence ? On estime que dans 10 ans 20% des gens seront touchés d’électrohypersensibilité, c’est-à-dire allergiques aux ondes et aux champs électromagnétiques. Toujours chauds pour les prochains AirPods ?
Ces nouvelles menaces créées par notre ère connectée sont aussitôt transformées en opportunités par les industries cosmétique et bien-être. La marque de cosmétiques naturels Amly a par exemple créé un spray “digital detox”, pour nous protéger de la pollution… des écrans.
Techno-chaman, métier d’avenir ?
Exploitation commerciale d’une peur irrationnelle ou vraie innovation ? Avant de mettre les soins anti-ondes dans le même sac que les flyers des marabouts, regardons ce que nous dit la science. L’aura serait en fait un champ électromagnétique qui aurait un impact sur notre santé, et qu’on pourrait « traiter ». Ces mêmes ondes électromagnétiques pourraient d’ailleurs être utilisées comme traitement, voire augmenter nos capacités cognitives. À quand un spa d’optimisation du cerveau ? Et bien il existe déjà et il s’appelle « The Field » . Les nouvelles technologies actualisent les anciennes pratiques « new age » : les nouveaux rituels sont connectés et prouvés par la science, les prochains médecins et coachs seront des chamans avec un bac + 5 d’ingénieur.
Perfection est un trailer pour l’exposition « Biometric Mirror » de l’artiste Lucy McRae. Il explore la ritualisation de l’intelligence artificielle à travers une cérémonie conduite par des chamans digitaux.
Les bactéries, nos nouvelles amies
Dans le domaine de l’invisible, il n’y a pas que les ondes qui sont en train de révolutionner la santé. Il y a aussi… les bactéries. Oui, ces mêmes bactéries que toutes les pubs vous ont sommé d’exterminer, car elles allaient attaquer sans relâche votre salle de bains immaculée ou faire mourir vos bambins. Eh bien ces bactéries et autres micro-organismes (constituant votre microbiome) peuvent vous être bénéfiques. Comme Philipp Kolmann dans son projet « Body Culture » , vous pouvez les cultiver vous-même dans votre salle de bains pour que votre microbiome soit plus résistant. Avec « Future Flora » de Giulia Tomasello, vous pouvez carrément les incorporer dans une serviette hygiénique nouvelle génération : ce probiotique vivant empêchera alors les infections vaginales.
Une mode et beauté réellement circulaires
La révolution des bactéries ne s’arrête pas à la santé. Elle s’invite même dans vos vêtements. Puma a par exemple inventé avec le MIT une semelle de running en bactéries qui (attention, ceci n’est pas de la science-fiction) analyse en temps réel les phénomènes chimiques responsables de la fatigue chez son porteur, pour adapter sa forme en fonction. Chez la designeuse spéculative Ali Schachtschneider, les bactéries sont carrément cultivées à même le corps pour qu’elles grandissent et créent une seconde peau qu’on pourra manger ensuite. Relisez bien cette phrase. Corps et vêtement fusionnent, se confondent. Ma sueur peut devenir parfum, comme chez Lucy McRae, grâce à une simple pilule. Mes larmes peuvent devenir des bijoux, comme chez Merle Bergers et son projet « What’s in a tear ». Difficile de faire plus circulaire que ça.
Note : Philipp Kolmann, Giulia Tomasello, Ali Schachtschneider ou Merle Bergers sont des designers spéculatifs. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’ils imaginent des produits, services, lieux, expériences ou rituels qui n’existent pas. Ils le font pour montrer d’autres futurs possibles et ainsi interroger notre présent. Radicale et exploratoire, leur démarche est pour Imprudence une source d’inspiration fondamentale quand il s’agit de prospective. Car c’est dans les marges et le possible que s’invente le futur.
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