
On vous reproche votre côté drama queen sur les réseaux ? C’est normal, vous scénarisez votre quotidien, sans même vous en rendre compte. Pourquoi ? On vous répond.
Gérer son image sur les réseaux, ne rien manquer au flux d’informations, donner son avis et se mettre en avant... De nombreuses études se sont intéressées aux conséquences de l'usage que nous faisons des réseaux sociaux. On sait, par exemple, que Facebook influence la perception que nous avons des gens et qu’il a un impact sur nos relations sentimentales. En revanche, il n’en existe pas encore qui mette en lumière les répercussions de ces nouvelles applications sur notre comportement.
« Le film de votre vie n’est pas pourri » (The Movie of Your Own Life Does Not Suck) affirme l’auteur et podcasteur américain Douglas Rushkoff dans un épisode. Au côté de l’humoriste et réalisateur de Eighth Grade, Bo Burnham, il s’interroge sur la pression des réseaux sociaux et comment ils nous incitent à vivre nos vies comme si nous interprétions un rôle au cinéma.
« Quel sorte de personnage est-ce que je suis ? »
« Nous passons notre temps aujourd’hui à construire des histoires, explique Bo Burnham. Il existe une véritable pression pour vivre notre propre histoire comme un film : quelle sorte de personnage je suis ? Suis-je suffisamment comme ci ou comme ça ? » Nous évaluons non pas nos émotions ou notre plaisir, mais tentons de tirer le meilleur potentiel dramatique d'une situation, comme un comédien. « Et vous n’êtes plus seulement en train de vivre une situation, précise-t-il, mais vous vous regardez la vivre. Puis vous regardez les gens vous regarder la vivre. Et c’est bizarre ».
Pour Dominique Cardon, sociologue et directeur du Medialab de Sciences Po, les réseaux sociaux sont un tunnel d’engagement qui aide les individus à projeter leur identité. La distance que nous mettons entre notre vie et les réseaux sociaux s'apparente à celle d'une perche à selfie. Nous sommes à la fois objet et sujet. Et plutôt que de parler d' « identité virtuelle », Dominique Cardon préfère parler d’ « identité potentielle » : c'est l’image de soi que l'on aimerait que les autres se fassent de nous.
Bo Burnham cite l’exemple de Kayla dans Eighth Grade, le film qu’il a réalisé. On y voit une jeune fille mortifiée : « Mais pourquoi le film de ma vie craint-il autant ? ». Le désespoir manifeste de la jeune fille est en opposition avec sa vie - banale - pour une collégienne. Sauf que, remarque Bo, le drama est « bien raconté ». Finalement, l’échec ressenti est « bien interprété » et donc, paradoxalement, réussi. Kayla nous fait finalement voir via YouTube, que sa vie est nécessairement très intéressante puisqu'elle est dramatique. Elle devient alors un personnage digne d'un film d'Hollywood, bien plus flatteur que d'être une ado lambda de n'importe quel patelin.
Pourquoi dramatiser ?
Oui, nous aimons nous exprimer. Mais nous pourrions tout aussi bien choisir la comédie, et le rire, plutôt que le drama. Alors pourquoi tirer systématiquement dans les larmes et l’apitoiement ? Pour Bo, c’est une évidence. « Quand vous voyez ces jeunes raconter leurs vies sur YouTube, on est dans la sur-réaction, dans la performance. C’est une version d’eux-mêmes qui n’est pas nécessairement fausse. Mais je pense que les gens sont plus prompts à parler de leurs peurs les plus profondes, plutôt que de leurs espoirs les plus fous. » En d'autres mots, le drame a de nombreuses qualité : il fédère (tout le monde est ému par un drame), il cache les motivations et les rêves profonds et, bingo, il passe bien à l'écran et génère du like.
Tout est-il à jeter dans cette représentation que nous nous faisons de nous-même ? Pas nécessairement. Pour l’animateur du podcast, il existe « une sorte d’honnêteté et de transparence et d’être dans le "c’est ce que je fais, et qui je suis". » Voilà, donc vous n'êtes pas drama queen, mais honnête. Et toc.
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