Les artistes Eva et Adele

L'art pour se libérer du genre

Depuis plus de vingt ans, EVA & ADELE promènent leur duo très queer de biennales en foire d'art contemporain. Et nous invitent de manière tendre et freaky à interroger notre propre regard sur les normes de genres.

Photo : VG Bildkunst Bonn. EVA & ADELE, courtesy Nicole Gnesa Gallery, Munich


Cet article est paru dans la revue 13 de L’ADN : Sexe et questions de genre. A commander ici.


Par Violaine Schütz

 

Faire de sa vie une œuvre. L’adage colle comme un gant de soie rose à EVA & ADELE. Ces deux figures de la scène berlinoise transforment chacune de leurs apparitions en performance. « Pour marcher sur de hauts talons pendant des heures, tu as besoin de bouger ton corps exactement comme tu le ferais pendant une danse. Nos deux corps sont des outils pour nos performances et sont tels que du body art », nous confient-elles. Que ce soit aux Biennales de Venise ou de Lyon, aux inaugurations de la Documenta ou de la Manifesta ainsi que dans les plus grandes foires d’art contemporain, leur absence peut faire baisser la cote d’une soirée. Pourtant, elles continuent d’autofinancer leurs performances et, depuis leurs débuts en 1990, jouent sur les marges du système pour mieux les faire apparaître. Elles habitent Berlin, leurs ressources sont très limitées, et elles ne voyagent qu’en camping-car. Elles n’ont pas forgé de discours théoriques mais distillent d’étranges concepts aux allures de slogans : « Futuring » – car elles prétendent venir du futur –, « Wherever we are is museum », elles l’affirment « Tout lieu où nous sommes est un musée » – et appellent de leurs vœux l’abolition des genres : « Over the boundaries of gender. »

Dans la vie, jamais elles ne quittent leur look kitsch d’étranges lolitas tokyoïtes qui refusent d’avouer leur âge, et passent des heures à se raser le crâne, à se maquiller, à s’habiller. Le moindre de leur jogging prend alors des airs de happening chorégraphié… qu’elles offrent à tout venant avec toujours leur large et doux sourire. D’où vient-il ? « De l’intérieur de nous-mêmes et de la liberté », répondent EVA & ADELE. Les réactions amusées des passants font partie du jeu. Des rires à l’étonnement en passant par l’incompréhension ou l’agressivité, leur apparence questionne notre rapport au genre. Sont-elles des hommes ? Des femmes ? Des transsexuelles ? Un troisième genre ? Sont-elles bi ? homos ? hétéros ? Et celui qui se pose la question, qui est-il ? Lors de leur rencontre, EVA était un homme devenu femme et ADELE, une femme. Depuis, c’est le trouble. Mais leur personnage bicéphale questionne aussi sur ce qu’est l’art. Leur message ? Politique d’abord. Elles aiment à citer le texte que leur a consacré le sociologue Jacek Kochanowski à l’occasion de leur show The Artist = A Work of Art donné en 2012 au Musée d’art contemporain de Cracovie : « Le projet d’EVA & ADELE n’est pas seulement esthétique. C’est principalement politique. Un projet visant à libérer les corps des mécanismes de construction du genre. C’est une libération qui ouvre la voie à l’interrogation de tout le système de domination du genre. Leurs corps leur appartiennent. » Mais un message surtout pacifiste. Et elles ont foi en leur propre force : « Nous croyons que la diffusion, depuis presque vingt-cinq ans, de notre image dans le monde entier, qu’elle soit privée ou publique, a travaillé pour la tolérance. Notre sourire est un travail artistique. »

Les deux artistes se sont rencontrées en 1989 puis mariées en 2011, et l’amour est leur leitmotiv comme l’indique leur logo : leurs deux visages collés et encerclés par un cœur. Cette passion résonne comme la dernière provocation moderne. Elles reçoivent beaucoup de lettres de dévotion, qu’elles adorent révéler : « J’ai montré une photo de vous pendant une conférence sur l’art contemporain. Des applaudissements spontanés du public ont alors retenti », « Vous êtes deux belles âmes, c’est ce dont le monde a besoin », « Vous exprimez la beauté de la folie, c’est juste génial ». Et tout le reste leur paraît simplement superflu : « Oui, l’art est une question d’humanité, d’amour et de beauté », concluent-elles, dans un sourire. Encore un sourire.

A CONSULTER

evaadele.com

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  1. […] sont représentés les personnages racisés. Ses collègues veillent sur d’autres minorités — les personnes LGBT+, les victimes d’islamophobie ou d’antisémitisme, etc — afin que leur réalité ne soit pas […]

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