Féministe et queer, le « new adult cinema » se développe en Europe et aux États-Unis. Une nouvelle vague de réalisatrices de films pour adultes célèbre la diversité des corps et des genres tout en mettant en avant les notions de respect et de consentement. Un bol d’air dans une industrie ultranormée.
Créer une alternative au porno mainstream
Si les esthétiques sont diverses, les intentions convergent. L’objectif : contrer la domination hégémonique du porno dit « mainstream » qui inonde Internet grâce aux plates-formes gratuites comme Pornhub ou YouPorn.
Erika Lust est une réalisatrice et productrice suédoise installée à Barcelone. Avec sa société de production Lust Films, elle est l’une des pionnières de ce mouvement, porté majoritairement par des femmes : « dans la majorité des productions pornographiques les réalisateurs sont des hommes. Le propos est donc centré sur le plaisir masculin et les femmes sont réduites à la passivité, présentées comme soumises. L’imagerie est très réduite, elle est centrée sur les organes génitaux et un enchaînement de positions. »
Les tenantes du cinéma pornographique non mainstream évitent délibérément de reproduire ces représentations normées. Elles entendent mettre en scène des rapports sexuels plus proches du réel avec un focus porté sur le plaisir partagé, le respect et le consentement mutuels. Un cinéma dans lequel les hommes ne sont pas que des machines, et où les femmes sont représentées comme actrices de leur propre sexualité et de leurs désirs.
J’ai réalisé que je n’étais pas la seule à vouloir un porno différent. J’ai compris qu’il y avait une réelle attente quand les gens ont commencé à m’écrire pour me faire part de leurs fantasmes et me demander de les mettre en scène à l’écran - ERIKA LUST
Le female gaze comme antidote à l’artificiel
Ce regard nouveau, porté sur des sexualités plurielles, fait écho au mouvement sex-positive né aux États-Unis dans les années 1970 et incarné par des figures comme Annie Sprinkle ou Linda Williams. Un mouvement qui invite à reconsidérer les tabous associés aux sexualités et à les envisager de manière positive. Avec son projet XConfessions, Erika Lust a souhaité s’approcher au plus près des fantasmes de son public. « Mon premier film The Good Girl a été téléchargé plus de 2 millions de fois. À ce moment-là, j’ai réalisé que je n’étais pas la seule à vouloir un porno différent. J’ai compris qu’il y avait une réelle attente quand les gens ont commencé à m’écrire pour me faire part de leurs fantasmes et me demander de les mettre en scène à l’écran. J’ai donc mis en place une plate-forme participative sur laquelle ils pouvaient contribuer. C’est comme ça qu’est né XConfessions : c’est un projet crowd-sourcé depuis le début ! »
En quelques mois, la réalisatrice a pu tourner plus de 100 courts-métrages, réunis en 10 volumes. Elle s’emploie également à réaliser des vidéos éducatives, en partant du principe que la pornographie mainstream ne doit pas constituer le seul discours référent : « Je vois bien que la plupart des adolescents se familiarisent avec la sexualité à partir de ce qu’ils voient en ligne. C’est la raison pour laquelle il y a un grand besoin de porno « éthique » qui leur apprenne les notions de consentement, de respect et de plaisir. »
Montrer des sexualités et des corps différents
Shine Louise Houston est une réalisatrice et productrice américaine. Elle dirige le studio Pink&White Productions à San Francisco et l’antenne de distribution PinkLabel. Elle fait du porno « queer » : un porno qui conteste la norme hétérosexuelle dominante. Le queer est un mouvement large et pluriel, qui célèbre la fluidité des genres et la diversité des corps et des races. Sur les plateaux de tournage de Pink & White Productions comme dans ses courts-métrages, The Crash Pad Series, on voit des femmes, des hommes, des transgenres, des hétérosexuels, des lesbiennes, des gays, des femmes de couleur. « En tant que femme noire et queer la raison pour laquelle j’ai commencé à faire du porno c’est principalement parce que je voulais voir plus de gens comme moi à l’écran. »
Réalisatrice à part dans une industrie américaine dominée par des réalisateurs masculins et blancs, Shine Louise Houston revendique la dimension militante de ses créations. Elle choisit d’ailleurs de faire payer pour avoir accès aux contenus mis en ligne.
Payer pour mater
Contrairement aux plates-formes dites « tubes » (YouPorn, Pornhub, etc.), le contenu disponible sur les plates-formes comme Four Chambers (de Vex Ashley), Xconfessions (d’Erika Lust) ou The CrashPad Series (de Shine Louise Houston) n’est pas en accès libre. Erika Lust insiste sur les avantages de ce business model : « beaucoup de gens sont en demande d’un contenu de qualité, auquel ils peuvent s’identifier. En conséquence, cette audience, qui est autant masculine que féminine, est prête à payer pour avoir accès à ce contenu. » Les revenus générés permettent de garantir un salaire, ainsi que des conditions de travail décentes pour tous les protagonistes – au premier rang desquels on trouve les actrices et les acteurs.
Cette condition est d’ailleurs l’un des éléments que mettent en avant les réalisatrices de la nouvelle vague du cinéma porno : sans traitement juste, équitable et une rémunération correcte, il n’y a pas de porno féministe et queer. Erika Lust et Shine Louise Houston sont aujourd’hui des businesswomen à la tête de sociétés florissantes ; néanmoins, beaucoup d’actrices et de réalisatrices survivent encore dans une économie précaire.
Célébrer le porno comme médium créatif
Chaque année des festivals, comme le Berlin Porn Film Festival ou le What The Fuck?! Fest à Paris,célèbrent cette création plurielle et indépendante. Une manière de mettre en avant une communauté soudée et grandissante : « J’ai été impressionnée la première fois que je me suis rendue au Berlin Porn Film Festival, je me suis enfin dit que je n’étais pas seule, et c’était incroyable de voir ces gens rassemblés pour célébrer la pornographie comme un art, presque un artisanat », raconte Shine Louise Houston.
Faire communauté est en effet indispensable puisque ce genre cinématographique demeure minoritaire et surtout stigmatisé. Les témoignages comme ceux de l’ancienne actrice Ovidie, désormais réalisatrice de documentaires et auteure, sont là pour rappeler à quel point les stigmates sociaux sont fort dès lors que l’on évolue dans l’industrie pornographique, qu’elle soit mainstream ou indépendante. Une façon de rappeler que les nouvelles lois du genre sont en permanence à réécrire.
Cet article est paru dans la revue n°13 de L'ADN "Sexe(s) et Genre(s)"
Je serais tenté de poser la question suivante, qui pourrait peut-être servir l'intérêt général :
LE PORNO-MAINSTREAM serait-t' il une alternative partielle au financement de la "C' est CUL" ?
Le bien-être n' est-t' il pas un antidote à la maladie ?
A méditer........................