
Tandis que les réseaux sociaux tapent sur la culture woke, le fanzine réapparait, comme un espace d’expression alternatif aux voix marginalisées. On est toujours mieux servi que par soi-même.
Fabriquer un fanzine n’est pas compliqué. Cela peut même se faire avec des extensions ongulaires rose pastel. On plie, on replie, on coupe d’un côté, on replie le tout comme un accordéon, et le tour est joué : on obtient un mini-fanzine de 6 pages intérieures, comme nous le présente dans une vidéo vue près de 307 000 fois la jeune tiktokeuse espagnole @walnutss. Marche aussi si on a les ongles peints en vert pistache comme @outonearthprod et que l’on défend l’idée d’une « queerecology ».
Les tutoriels pour créer sa propre publication papier se multiplient sur TikTok, Insta, YouTube, Pinterest et sur l'e-shop Etsy, sous les hashtags #zinemaking #zinester #zintock. Cet engouement, le média spécialisé en design It’s Nice That le met sur le compte d’un retour à la création Do It Yourself et Craft et donc aux techniques analogiques. De façon plus pessimiste, on pourrait mettre ça sur le dos d’un climat de plus en plus pesant avec des réseaux sociaux qui sont en train d’ouvrir une quatre voies aux discours misogynes, homophobes et complotistes. Dans l’impasse, les générations Y et Z qui ont grandi avec Internet ressortent ciseaux et papier pour créer leurs propres supports d’expression, séduits par les origines militantes du fanzinat. À l’ancienne donc.
Safe place punk et queer
Contraction de « fanatic » et de « magazine », le fanzine est apparu aux États-Unis dans les années 1930 sous l’impulsion d’une poignée de passionnés de science-fiction, avant d’infiltrer les milieux underground dans les années 1970, et plus particulièrement le mouvement punk à l’origine de l’esprit Do it Yourself. Libre et expérimental, le fanzine gagne en popularité auprès des cercles militants et des communautés « en marge ». Biberonnées au Riot Grrrl Manifesto et aux zines des autrices punk et queer américaines Kathleen Hanna et Michelle Tea qu’elles découvrent au sein d’un collectif féministe, Nelly Slim et son amie Marcia Burnier ont l’idée de créer leur fanzine féministe et queer It’s Been Lovely But I Have to Scream Now. « Notre volonté était, comme nos idoles, de créer notre propre espace d’expression, notre safe place, et de saisir les moyens de production à notre portée pour diffuser nos voix dissidentes », souligne la trentenaire Nelly Slim. Actif de 2017 à 2019, It’s Been Lovely… a eu droit à son anthologie en octobre dernier aux éditions Cambourakis.
Archives nationales
Les zinesters affirment que l'esprit subversif des fanzines s’est largement propagé au travers des blogs, newsletters et forums. Même qu’il serait l’ancêtre des réseaux sociaux, si l’on considère que les zines musicaux dans les années 1990 comportaient des hotlines permettant de mettre en relation et de se rencontrer entre fans. Pour autant, le fanzine repose sur sa matérialité. La forme importe autant que le fond : « C’est une production qui n’a de sens que si elle prend corps, ajoute Nelly Slim. Le fanzine, de sa conception à son impression jusqu’à sa diffusion, est queer, car il défit la notion de normativité. » C’est ce que défend aussi bec et ongles Théodore, 32 ans, à la tête du Club Goudourothée. Créé en 2018, il détourne les dessins animés de notre enfance en romances lesbiennes et se veut un incubateur à talents « pour montrer combien la communauté lesbienne est drôle et inventive », tout en revendiquant son aspect « objet collector ». Autre volonté qui motive l’impression papier ? Faire archives. C’est cet aspect que valorisent les fonds constitués par la Fanzinothèque à Poitiers, le Fanzinarium à Paris ou encore Uzine au Havre. Pour Ophélie, 34 ans, enseignante au collège à Lyon, si elle a créé en 2016 « Les Ciseaux Fanzine », qui redonne place dans le récit national aux femmes et personnes LGBT+, c’est avec l’idée « d’apporter (sa) pierre à l’édifice ». Le prochain numéro sera d’ailleurs consacré aux archives lesbiennes : « Je suis en contact avec des structures associatives, des centres d’archives nationaux et départementaux, des bibliothèques… Je me rends compte à quel point le fanzine est un élément clé de nos mémoires marginalisées. »
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