
En quelques années, les robots ont trouvé leur place dans les salles d’opération françaises. Ces assistants technologiques accompagnent désormais les chirurgiens dans leurs interventions les plus complexes, modifiant en profondeur leurs habitudes de travail. Bilan et analyse avec Peggy Rematier, responsable sectorielle Filière Santé à la Direction de l’Innovation chez Bpifrance.
« Aujourd’hui, 70% des prostatectomies sont réalisées avec des machines », affirme Peggy Rematier, responsable sectorielle Filière Santé à la Direction de l’Innovation chez Bpifrance. Une petite révolution : « La présence des robots dans les salles d’opération s’est vraiment démocratisée, poursuit l’experte. Notamment pour les chirurgies de précision - dans le cas de cancers de la prostate. Certains chirurgiens urologues formés à l’utilisation du robot Da Vinci ne veulent plus opérer autrement ».
Da Vinci superstar
La pratique n’est pas nouvelle. Issus de développements destinés à l’origine à opérer à distance les astronautes dans l’espace et les soldats sur les zones de combat, les premiers robots font leur entrée dans les blocs opératoires dans les années 80. Technique peu invasive, la robotique chirurgicale permet au chirurgien d’opérer via des instruments articulés insérés dans le patient, ce qui améliore la dextérité et la précision des gestes. Autrement dit, le chirurgien opère dans le bloc mais à distance du patient.
En 2001, une étape supplémentaire est franchie grâce à Jacques Marescaux, chercheur auprès de l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif, qui réalise depuis New York l'ablation de la vésicule biliaire d'une patiente hospitalisée à… Strasbourg.
Il faudra toutefois attendre le milieu des années 2000 pour voir cette approche se démocratiser, notamment avec la commercialisation du robot Da Vinci, fabriqué par la medtech américaine Intuitive Surgical.
Pour Peggy Rematier, la robotique chirurgicale est en train de transformer en profondeur les pratiques médicales à travers le monde. car « elle permet aux hôpitaux, sous pression financière, de se différencier, d’attirer les meilleurs chirurgiens et de séduire les patients grâce à une image d’innovation ». Offrant précision et confort, l’assistance à la chirurgie minimalement invasive permise par la robotique représente en outre une révolution majeure pour les interventions longues et risquées.
En 2024, des premières preuves cliniques montrent que la chirurgie assistée par robot est équivalente à la chirurgie traditionnelle. « Un signe fort pour l'adoption de cette technologie ».
Un chirurgien (robot)guidé
Dans la pratique, à quoi ressemblent les opérations assistées par robot ? La réalité des salles d’opération est moins impressionnante et futuriste que ne le présageait l’expérimentation à distance de Jacques Marescaux. Dans le cas d’une intervention assistée par le robot Da Vinci, « le chirurgien est dans le bloc opératoire, mais manipule à distance le robot à partir de joysticks. Il opère, mais est assis à quelques mètres », explique Peggy Rematier.
Une évolution décisive pour certaines interventions complexes, notamment la chirurgie de la prostate. « Certaines parties anatomiques comme l’urètre ne doivent absolument pas être touchés sous peine d’engendrer des problèmes d’incontinence et des dysfonctionnements érectiles », commente Peggy Rematier. Le chirurgien effectue alors ce qu’on appelle une laparoscopie robotisée. « Les instruments passent par deux petits trous. Le robot permet au praticien d’être assis lors de longues opérations et donc, de rester plus alerte », conclut-elle.
Il existe aussi un deuxième type de robots, qui guident le chirurgien par l’image. Cette approche se développe tout particulièrement dans le cadre d’opérations orthopédiques, notamment du genou. « L’imagerie du patient sert de base pour planifier la chirurgie, calculer à quel endroit placer la prothèse, ou couper, sous quel angle et à quelle distance », poursuit Peggy Rematier. Dans ce cas, la machine sert de guide, de super-assistant. « Elle empêche les mauvais gestes », conclut-elle. Outre l’orthopédie, l’approche est utilisée en neurologie et est en développement pour la pose de valves cardiaques.
Et demain ?
Demain, tous les chirurgiens seront-ils assistés par des robots ? Pour Peggy Rematier, c’est tout à fait possible : « On peut imaginer que demain, le robot aura appris comment tel chirurgien opère, et donc pourra l’assister de la manière la plus personnalisée possible ». Cette personnalisation s’accentuera à mesure que se numérisera la salle d’opération. « C’est l’un des grands apports de la robotique chirurgicale. Toutes ces données peuvent être directement digérées et analysées par des logiciels, au lieu de demander à un être humain de décortiquer des heures de vidéo ! ». Mais pour arriver à ce futur d’une chirurgie personnalisée et plus sécurisée, quelques freins subsistent...
Premier obstacle : le coût. Un robot Da Vinci vaut entre 1,5 et 2,5 millions d'euros, tandis qu'un modèle guidé par l'image, comme l'Epione de Quantum Surgical, coûte un million d'euros, et le Rosa de Zimmer environ 700 000 euros. « Outre ce frein financier, ces techniques peinent à démontrer leur valeur universellement, commente Peggy Rematier. Lors d’une opération chirurgicale, chaque patient réagit différemment chaque chirurgien a ses habitudes et chaque chirurgie ne bénéficiera pas de la même manière de la robotisation».
Pour autant, le marché mondial de la robotique chirurgicale ne connaît pas la crise. La capitalisation d’Intuitive Surgical (derrière Da Vinci) atteint 170 milliards de dollars tandis que son concurrent approche des 100 milliards. « À titre de comparaison, la capitalisation boursière de Renault s’élève à 12 milliards, soit quinze fois moins », rappelle Peggy Rematier. Et la France compte bien participer à la fête. Sur les 500 entreprises du marché, 30 sont tricolores. La France se positionne donc à la troisième place derrière les États-Unis et la Chine. Alors, cocorico ?
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