Raphaël Halet

Raphaël Halet : « Si c'était à refaire, je prendrais plus de documents »

Le lanceur d’alerte à l’origine du scandale LuxLeaks est revenu au cours d’une conversation profonde et captivante sur ses motivations. Plongée dans l’histoire de cet homme ordinaire qui a participé à dévoiler un scandale d'envergure mondiale.

Depuis 2012, l'affaire LuxLeaks a secoué la sphère financière internationale en révélant des pratiques d'évasion fiscale à grande échelle orchestrées par des multinationales au sein du Grand-Duché du Luxembourg. Raphaël Halet, ancien employé de PriceWaterHouseCoopers (PwC) et deuxième lanceur d'alerte de l'affaire, a joué un rôle clé dans la mise en lumière de ces pratiques. Cet homme ordinaire qui a participé à dévoiler un scandale d'envergure mondiale était l’invité du Cercle des Assises de la Cybersécurité

Au cours d’un échange avec le directeur éditorial de L’ADN Studio Guillaume Ledit, Raphaël Halet est revenu sur cette affaire qui a changé sa vie. Une affaire digne d’un polar mâtiné de saga judiciaire, qui le place dans la filiation de lanceurs d’alerte tels que Daniel Ellsberg, Erin Brockovich ou encore Edward Snowden. Mais comment cet homme discret, issu d’un milieu modeste en Lorraine, s’est retrouvé au cœur d’un des scandales financiers les plus importants de ces dernières années ?

Une question de justice

Mai 2012. Dans une maison d’un village de la campagne messine, résonne le générique de Cash Investigation. L’émission du soir est en partie consacrée à un scandale fiscal en provenance du Luxembourg : des sociétés échapperaient à l’impôt grâce à des montages financiers mis en place par PwC. Stupeur sur le canapé : Raphaël Halet reconnaît les documents qu’il voit passer tous les jours au travail. « Les pièces du puzzle se sont mises en place », précise celui qui a multiplié les petits boulots avant de trouver ce job qui lui fait franchir la frontière avec le Grand-Duché quotidiennement. « J’étais une petite main, mais je me suis rendu compte que j’étais au cœur du réacteur. » Employé au sein du service fiscalité, Raphaël Halet a en effet pour mission de superviser la numérisation des documents.

Une activité qui lui donne accès aux déclarations fiscales de grandes entreprises, absentes des premières révélations de Cash Investigation, fondées sur les documents transmis par Antoine Deltour, auditeur pour PwC au Luxembourg. « Durant quelques jours, de nombreuses questions éthiques et morales me traversent, mais je prends très vite la décision » de diffuser des documents confidentiels, confie le lanceur d’alerte. Pourquoi ? « Parce que je voulais, à mon niveau, aider à corriger une injustice », expose-t-il. C’est d’ailleurs ce qu’il écrit au journaliste Edouard Perrin, parce que son nom figurait au générique de l’enquête de Cash Investigation : « Je souhaite dénoncer ce scandale fiscal auquel je participe malgré moi, participer modestement à ce que les règles changent, ne serait-ce qu’un tout petit peu. » Sur une boîte mail « morte » (les document sont laissés en brouillon), Raphaël Halet envoie les déclarations fiscales des entreprises qui, selon lui, pourraient intéresser l’opinion publique française : Ikea, Amazon, ou encore Arcelor-Mittal. Des documents utilisés dans le cadre d’un deuxième Cash Investigation diffusé en juin 2013, mais aussi dans le cadre d’une enquête internationale coordonnée par l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), qui donne à l’ensemble le nom de Luxembourg Leaks. Et à partir de là, la machine s’emballe. 

Lanceur d’alerte, occupation à risque

« PwC a la pression », précise le lanceur d’alerte, « et donc, il vont me la mettre ». Et pas n’importe comment. En contournant le droit, l’entreprise obtient du tribunal de grande instance de Metz une ordonnance sur requête utilisée en général dans les affaires de contrefaçon. Résultat : les gendarmes débarquent chez Raphaël Halet, en compagnie d’un serrurier, d’un représentant de PwC et d’un expert informatique. Sa femme apprend à ce moment-là les agissements de son mari, hospitalisé à l’époque. Des preuves sont saisies et la pression contraint le lanceur d’alerte à divulguer les mails envoyés à Edouard Perrin.

La firme n’en reste pas là et une convocation chez l’huissier prend la forme d’un interrogatoire qui dure des heures entières. Le lanceur d’alerte, acculé, finit par signer un accord secret avec son entreprise. Au menu : une interdiction totale de parler à qui que ce soit dans cette affaire, sous peine de devoir régler 10 millions d’euros de préjudices. Et pour s’assurer de la bonne conduite de son désormais ex-salarié, PwC exige que sa femme se déplace et signe également le document : « Ça a été le coup de grâce. Avec l’hypothèque sur la maison, on a eu peur de tout perdre, peur pour les enfants. Ces années ont été très compliquées. » 

Jusqu’au procès en première instance, en 2016, au cours duquel l’existence de l’accord est révélée par l’avocate d’une autre partie. Raphaël Halet peut alors libérer sa parole et exposer publiquement les raisons de son geste. Une prise de conscience de son statut de lanceur d’alerte, qui le conduit à une lutte judiciaire acharnée pour qu’il soit reconnu en tant que tel. C’est enfin chose faite, depuis le 14 février 2023 : « La CEDH m’a reconnu officiellement comme lanceur d’alerte, sur l’ensemble des critères qui définissent ce statut. C’était, avec mon mariage, le meilleur moment de ma vie. »

Une conclusion positive de plus de dix ans de combat intime et de lutte judiciaire. Dans la salle, les questions fusent. Parmi elles, celle-ci : « Et si c’était à refaire, après tout ce que vous avez traversé ? » « Je referais la même chose », répond du tac au tac un Raphaël Halet débonnaire. « Enfin, non : j’en prendrais plus ! »

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