
L’arrivée de l’IA bouleverse les recrutements dans les startups de la tech qui privilégient des ingénieurs expérimentés au détriment des jeunes diplômés.
Depuis plus de 30 ans, nous avons été bercés par la même histoire : un jeune étudiant très geek qui développe une idée de génie dans le garage de ses parents puis qui a levé des millions pour lancer son application/réseau social. Ce mythe d'une jeunesse connectée, qui posséderait de natura des compétences techniques et une vision qui casse toutes les règles, a largement été exploité par les grandes entreprises de la Silicon Valley (Microsoft, Apple et Meta pour ne citer qu'elles), au point d’être repris dans la pop culture. Seulement voilà : l’arrivée de l’IA est en train de revoir cette légende. Avec l'IA, les jeunes sont juste devenus des incompétents un peu encombrant.
Les recrutements des jeunes en recul de 50 %
Alors que le secteur de l’IA tente de maintenir ce mythe à coups de « vibe coding », technique qui promet à n’importe qui de devenir un génie de l’informatique, le marché de l’emploi renvoie une autre réalité. D’après le rapport State of Talent de la société de capital-risque SignalFire, relayé par Business Insider, les recrutements de débutants dans les Big Tech ont diminué de plus de 50 % par rapport aux niveaux d'avant la pandémie. Du côté des startups, les nouveaux diplômés représentent moins de 6 % des embauches, avec des nouvelles embauches en baisse de 11 % par rapport à 2023 et de plus de 30 % par rapport aux niveaux de 2019.
Les raisons de cette diminution sont multiples. Il faut tout d’abord prendre en compte la réduction globale des embauches dans ce secteur depuis 2022, réduction qui est en fait le contrecoup des années post-Covid, durant lesquelles les faibles taux d’intérêt ont provoqué une explosion des emplois ainsi qu’une forte inflation. Dans un contexte de restriction économique, les startups de série A sont 20 % plus petites qu’en 2020 et embauchent donc bien moins de personnes.
C’est dans ce contexte particulier que l’IA vient enfoncer le clou. Les entreprises vont privilégier les CV des cadres moyens et supérieurs, qui se trouvent « augmentés » grâce aux larges modèles de langage. Les tâches à portée restreinte, qui étaient auparavant confiées à des ingénieurs débutants, sont à présent automatisées, tandis que les employés plus expérimentés passent plus de temps à créer des prompts efficaces, vérifier la génération de code, et surtout intégrer les outils à grande échelle.
Les codeurs, ces nouveaux ouvriers
Cette nouvelle façon de travailler change profondément la culture au sein des entreprises. Dans un article du New York Times, on apprend que les ingénieurs d’Amazon sont de plus en plus incités à utiliser l’IA pour augmenter leur productivité et permettre à l’entreprise de rester dans la course face à la concurrence. On évoque en interne des réductions d’effectifs de moitié pour certaines équipes, avec les mêmes objectifs d’écriture de code. Chez Google, des hackathons sont organisés en interne pour créer des outils IA susceptibles d’ « améliorer leur productivité quotidienne globale » tandis que 30 % du code déployé par le groupe a été généré par des prompts et revu par des ingénieurs.
Si la suppression des tâches fastidieuses peut être vue comme une forme de progrès, elle change aussi la nature même du travail des ingénieurs, qui voyaient l’écriture du code comme une forme d’activité créative et artisanale. Assistés par des IA qui génèrent de manière autonome de grandes portions de programmes, les ingénieurs se retrouvent dans un rôle répétitif de simple relecteur, qui enlève une grande partie de la réflexion et de la créativité qui étaient demandées auparavant. Si l’on ajoute à cela un rythme de production largement accéléré, on retrouve les mêmes bouleversements qui ont accompagné la révolution industrielle du XIXe siècle, caractérisée par un asservissement du travail des ouvriers au rythme des machines. Ouvriers automobiles, manutentionnaires dans les entrepôts Amazon et codeurs cool de la Silicon Valley…, même combat ?
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