Une échelle de couleur dans une ville

Ne passez pas l’IA à l’échelle ! Passez votre business à l’échelle avec l’IA

L'IA... ce sont ceux qui en font le moins qui en parlent le plus. Consacrons donc un peu de temps à la manière dont les différents types d'IA peuvent être déployés. Toujours un peu de pourquoi, mais beaucoup plus de comment.

Amy Webb, la brillante futuriste, experte de l’évolution des technologies rapporte qu’à Davos, en janvier 2024 « l'IA était un sujet omniprésent. Elle revenait dans chaque réunion, à chaque dîner, et dans presque toutes les conversations que j'avais. Que nous parlions d'Intelligence Artificielle Générale, de préoccupations éthiques et des implications sur le travail, tout le monde voulait savoir quel rôle jouerait l'IA. Combien de temps pour atteindre l'Intelligence Artificielle Générale ? Que faire à propos de la confiance ? Quel est l'avenir du travail ? Les défis émergents en cybersécurité ? Des tonnes de questions sur l'avenir. Cependant, j'ai remarqué une sévère asymétrie d'information : les leaders veulent tous parler de l'IA, mais ils ne sont pas à jour sur ce que c'est, ce que ce n'est pas, et pourquoi cela compte dans un sens pratique ».

La remarque d’Amy Webb illustre un paradoxe qu’on observe dans de nombreuses entreprises : les métiers et le management sont d’une part, fascinés par l’IA et d’autre part, peu engagés dans ses mises en œuvre.

Aujourd’hui, la démarche adoptée par les entreprises pour lancer et industrialiser des cas d’usage Data & IA, se résume en trois points : (1) une collecte bottom-up des besoins auprès des métiers pour identifier les cas d’usage (2) une agrégation de ces besoins afin de permettre l’alimentation des cas d’usage et bâtir une Data Platform capable de les supporter et enfin (3) une contribution auprès des Directions Métiers dans le cadre du déploiement de la roadmap au gré des priorités métiers, de la disponibilité des données et des possibilités techniques – les trois étant fortement évolutives

Si les atouts de cette approche sont clairs : fédérer les initiatives Data & IA avec une coordination globale, projeter l’entreprise dans une démarche de transformation et capitaliser sur des compétences techniques rares, … ses limites le sont également : une majorité de cas d’usage à faible potentiel, une architecture Data soumise à de nombreuses demandes souvent incompatibles, de longs délais de livraison qui sous-estiment les efforts autour de la Data Governance, notamment autour de la qualité des données, positionnée sur le chemin critique des projets, lorsqu’on ajoute à cette liste le coût de la conformité et de la complexité, on comprend la frustration des acteurs sur ce sujet.

Notre premier enjeu est de focaliser l’adoption de l’IA par les Directions Métiers dans une optique de transformation d’entreprise car ils sont les seuls garants de la création de valeur. Afin de démarrer sur de bonnes bases, un bref détour par l’histoire de la révolution de l’électricité devrait nous éclairer …

Les trois familles d’IA

Que s’est-il passé entre 1882, date du lancement de la première centrale électrique et le lancement de la première chaîne de production en 1914 ? Durant cette période, on observe un cycle d’innovation en trois temps, à savoir :

  1. L’Invention du moteur électrique par Frank Sprague en 1886 a permis de substituer les moteurs électriques aux machines à vapeur dans de nombreuses activités industrielles, cependant cette évolution n’a pas été immédiate. Les industriels n’étaient pas impressionnés par les économies réalisées par les moteurs électriques au regard de l’investissement associé ! Pourquoi ? Selon Tim Hartford, un économiste et essayiste britannique dont les analyses sont très prisées outre-manche : « Parce que pour tirer profit de l'électricité, les propriétaires d'usines devaient penser de manière fondamentalement différente ». Il faudra attendre près de 40 ans pour qu’un industriel fasse basculer l’industrie dans un mode « électro-centrique ». Avant cela, les moteurs électriques ont commencé à tourner dans les activités à faible intensité énergétique, comme la joaillerie pour laquelle les machines à vapeur étaient particulièrement inadaptées pour s’étendre lentement à d’autres activités industrielles.

2. À partir des années 1890, de nombreux produits industriels conçus autour de l’électricité, comme la machine à coudre en 1889, l’aspirateur en 1908 ou encore le climatiseur électrique en 1911 arrivent sur le marché. Ces produits sont avant tout destinés aux habitants des grandes métropoles américaines, familiers avec l’utilisation de l’électricité et disposant d’un accès à une source d’électricité. De fait, il s’agit des premiers produits de l’ère industrielle à « disrupter » leurs industries, celles des machines à coudre manuelle, de l’entretien des sols ou encore des ventilateurs. Ces produits restent longtemps minoritaires mais préparent le terrain à de nombreuses autres innovations.

3. Enfin, en 1914, le lancement de l’usine de production de Ford donne le cap à suivre pour l’industrie afin de pleinement utiliser le potentiel de l’électricité dans le système de production mais aussi pour anticiper la baisse des prix qui en résulte et son impact sur la consommation et les modes de vie. En 1914, l’économie est entrée dans une nouvelle ère !

Trois professeurs de l’université de Toronto, Ajay Agrawal, Joshua Gans et Avi Goldfarb ont, à l’instar de Mark Twain, noté les rimes de l’histoire entre ce cycle et celui de l’IA. La phase initiale, où le moteur électrique se substitue aux machines à vapeur sans pour autant réaliser des gains économiques significatifs fait écho avec la phase qui s’achève sur les applications d’IA ciblées. L’émergence de nouveaux produits comme l’iPhone ou la Tesla et déjà les premiers assistants basés sur l’IA générative est caractéristique de la seconde phase du cycle quant à la troisième phase, admettons que nous sommes impatients de découvrir le Henri Ford de l’IA

Dans leur analyse économique de l’IA, nos trois auteurs observent que (1) la grande majorité des cas d’usages et des IA déployés pour y répondre couvrent des décisions précédemment réalisées par l’entreprise et (2) que ces IA n’impactent pas l’organisation : les banquiers détectaient les risques de fraude avant l’IA, tout comme les distributeurs réalisaient des prévisions de ventes ou les compagnies aériennes réalisaient de la maintenance prédictive sur leurs avions. Aujourd’hui, ces activités sont – pour le volet prédictif – largement réalisées par des IA. Ils ont désigné ces IA de « AI Point Solution » que nous traduirons par IA ciblée (j’ai modifié les termes utilisés par les auteurs sur les différentes catégories d’IA en les traduisant, les versions d’origine n’éclairent pas le lecteur).

De façon plus formelle, les auteurs estiment qu’au-delà des questions usuelles sur les cas d’usage et leurs solutions (business case disponibilité et qualité des données, famille d’algorithme, …), qui doivent être posées, il est nécessaire d’analyser les solutions IA suivant deux axes de travail additionnels permettant d’anticiper leur maturité à l’adoption :

  • La solution IA s’insère-t-elle dans un processus de décision déjà existant ou à l’inverse, apporte-t-elle une nouvelle prise de décision et/ou modifie-t-elle le processus de décision auquel elle participe ?
  • Les décisions prises par l’IA sont-elles indépendantes du reste de l’organisation ou à l’inverse, impactent-elles des décisions d’autres acteurs dans l’organisation, voire dans l’écosystème de l’entreprise ?

Répondre à ces questions permet de faire émerger trois familles de solutions pour l’IA :

  • Les solutions d’IA ciblées qui réalise une prise de décision réalisée par un humain sans affecter d’autres décisions au sein de l’organisation comme par exemple, la classification des mails, la détection de la fraude par l’IA ou encore la prédiction de maintenance pour les avions. La grande majorité des cas d’usage actuellement traités dans l’entreprise entrent dans cette catégorie.
  • Les solutions d’IA intégrées à un produit, un service ou encore un processus, qui apportent de nouvelles décisions (ou altèrent le processus de décision) sans affecter significativement l’organisation, comme l’automatisation par l’IA de la gestion des sinistres en cours chez de nombreux assureurs ou le déploiement de tracteurs autonomes lancé par John Deere émergent de plus en plus en entreprises mais restent minoritaires.
  • Les solutions d’IA interactives qui appliquent de nouvelles décisions qui affectent l’entreprise et parfois, son écosystème comme cela est le cas pour la gestion de la supply chain.

Le tableau suivant présente une synthèse de cette classification :

 Type de décisionImpact de la décision sur les processus et l’organisation ?
IA cibléeExistanteNon
IA intégréesNouvelleNon / limité
IA InteractivesNouvelleOui

De prime abord, cette classification appelle plusieurs remarques :

  • L’adoption d’une Technologie à Usage Général comme l’IA ou l’électricité s’étend sur plusieurs années et suit un cycle qui pousse les entreprises à innover progressivement afin d’en générer une valeur de plus en plus forte.
  • L’impact économique et la complexité de l’IA, de la conception au déploiement, augmentent à mesure que l’entreprise progresse de l’IA ciblé à l’IA Interactive. Cette évolution ne peut se faire sans une forte progression de la maturité IA de l’entreprise, mais encore faut-il savoir penser et définir cette maturité.
  • Enfin, cette progression doit aussi être accompagnée dans les entreprises par une volonté et une capacité d’innovation autour l’IA et des Business Models. Le talent managérial est plus difficile à répliquer que la technologie et la combinaison des deux, offre de nouvelles perspectives pour une entreprise qui sait assurer le bon mix.

Afin d’assurer l’adoption de l’IA en entreprise, il n’y a pas d’alternative à l’implication forte du management et des métiers sur les initiatives et projets IA ! Ce sont eux qui sont capables de penser les applications à venir de l’IA et ce sont eux qui devront les porter. Une fois ce point acquis, la prochaine étape est d’identifier les premiers domaines d’application à explorer pour lancer des IA ambitieuses pour l’entreprise.

Cet article fait partie d'une série d'articles proposés par Patrick Darmon. Pourquoi et comment l'IA doit devenir une technologie socle de nos entreprises ?

Premier volet : L’intelligence artificielle est-elle soluble en entreprise ?

Deuxième volet : Révolution de l’Intelligence Artificielle… ou simple rêve ?

Troisième volet :  L'IA, combien ça coûte et est-ce que cela vaut le coup ?

Quatrième volet : Quelle stratégie adopter pour intégrer de l’IA générative dans son business ?

Patrick Darmon est associé chez Fizz venture, cabinet de conseil en data & IA.

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commentaires

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  1. Avatar André dit :

    Je suis très déçu après la lecture de cet article. Il passe d'après moi à côté des enjeux majeurs de l'IA, à savoir ses conséquences néfastes à grande échelle sur les sociétés et les individus.

    En adoptant rapidement des nouvelles technologies sans être attentifs à toutes leurs externalités, on risque de sauter à pieds joints dans la gueule du loup qu'on perçoit comme un agneau.

    Quelques ressources pour éclairer mon propos :

    (a) INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : TOUS LES DANGERS EN 1 VIDÉO par Anatole Chouard, vulgarisateur scientifique et conférencier
    https://tournesol.app/entities/yt:8ALbJgY8aMY

    (b) Risks of artificial intelligence, par le mouvement PauseAI
    https://pauseai.info/risks

    (c) Algocratie, Vivre libre à l'heure des algorithmes par Arthur Grimonpont
    https://www.actes-sud.fr/catalogue/sciences-humaines-et-sociales-sciences/algocratie

    (d) Algorithmes : la bombe à retardement par Cathy O'Neil
    https://arenes.fr/livre/algorithmes-la-bombe-a-retardement/

    Bref, des ressources y'en a plein, je suis sûr qu'on en trouve même sur le site de l'ADN : )

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