Des jeunes dans une classe avec des cerveaux-casques digitaux

« ChatGPT ? Fais mes devoirs » : l'IA est-elle un outil de triche ou un copilote de l'apprentissage ?

© FB via Midjourney

Depuis que ChatGPT est entré dans la vie des étudiants, les profs ont vu déferler les copies entièrement rédigées par l’IA. Un effet de mode ou un bouleversement de l’école ?

« J'ai arrêté de donner des devoirs à la maison, c'est peine perdue, la moitié des élèves me rendent un texte qui n’est pas de leur cru. Du coup, je réserve l'écriture de texte au travail en classe. » Professeure d'anglais dans un lycée du Val-de-Marne, Servane a récemment changé ses méthodes d'enseignement et ce n'est pas la seule. Sur le subreddit r/Enseignants, beaucoup de témoignages vont dans le même sens. « J'essaie de faire plus d'évaluations qui demandent de la créativité, ou des évaluations orales », raconte Hugo*, professeur en sciences biologiques dans un institut universitaire suisse, tandis que Florien, professeur d’allemand en lycée, se questionne sur « la confiance qu'on peut accorder à ses élèves ».

ChatGPT, l'antisèche ultime

Derrière ce nouveau manque de confiance, un coupable revient sans cesse : le grand modèle de langage ChatGPT gratuit pour tous, et donc pour les élèves, depuis novembre 2022. L'IA génératrice de texte est devenue la bête noire des professeurs de collège et de lycée, qui trouvent sa trace dans de nombreuses copies. « C'est devenu un sujet de blagues dans la salle des profs, poursuit Servane. On se partage les pépites de copié-collé des élèves. Il y a quelques semaines, une prof de philosophie nous a montré une rédaction entièrement générée par ChatGPT. On pouvait lire la phrase ‟en tant qu'intelligence artificielle, je n'ai pas d'opinion personnelle”, recopiée telle quelle. D’autres sont plus rusés. Ils génèrent un texte à la maison, l’apprennent par cœur, et le recrachent pendant le devoir en classe. Ce n’est techniquement pas de la triche, mais je ne suis pas certaine que l’élève ait compris quoi que ce soit au cours. »

D’abord pris au dépourvu, les profs ont développé depuis des techniques pour repérer les tricheurs. La plus évidente consiste à comparer les différences de niveaux de langue entre ce que produisent les élèves habituellement et leurs copies. Servane détaille à quel point la triche peut manquer de subtilité. « Je me retrouve soudainement avec des copies qui ont un niveau de vocabulaire et une structure de phrase très alambiquée. Si j'ai un doute, il suffit de leur demander de m'expliquer ce qu'ils ont écrit. En général, je constate qu’ils ne comprennent pas les phrases qu'ils ont utilisées. » Pour Bérénice*, prof de lettres modernes au lycée, la pauvreté du travail rendu est également une marque de reconnaissance de ChatGPT. « Ils ne savent pas utiliser cet outil, et cela donne des réponses très vagues qui ne correspondent que partiellement au sujet. Il n’y a pas de références précises au texte, les citations ne renvoient à rien, les idées ne sont pas développées. La note obtenue ne peut pas être bonne. » S'ajoutent à cela les détails étranges comme le fait que des élèves rendent trois copies presque identiques, que d'autres rendent un pavé de texte très long là où une simple phrase était demandée. Au-delà des cas avérés de triche, les profs déplorent une forme de « standardisation » du travail des élèves. « Je constate un usage massif en classe d’anglais, révèle Jean-Laurent, prof dans le secondaire. C'est un outil technologique, mais qui bouscule les lignes et qui uniformise tout ce qui touche à la réflexion et au travail en autonomie. » 

« ChatGPT est devenu ma deuxième maman »

Entre profs et élèves, un jeu du chat et de la souris semble s'être installé. Toute une panoplie d'outils est apparue dans le sillage de ChatGPT et promet de détecter des textes copiés depuis une IA. Ces derniers sont imparfaits et ne donnent que des estimations, parfois totalement fausses, du taux d’utilisation d’une IA. Mais ils servent à dissuader les élèves. C'est ce que raconte Zachary, lycéen de 15 ans. « Quand on a découvert ChatGPT au début de l'année 2023, on l'a tous utilisé pour faire tout ce qu'on trouvait chiant, notamment les exposés, les plans de rédaction ou les contenus de présentation PowerPoint, explique-t-il. Ça a changé la manière dont on faisait les devoirs à la maison. Au lieu de copier-coller depuis différents sites, ce qui est un peu laborieux, on pouvait avoir un devoir entièrement fait en moins de 15 minutes. J'ai dû l'utiliser cinq ou six fois, mais je me suis fait prendre à cause d’un outil qui détecte les IA. Après ça, on est plusieurs à avoir lâché l'affaire. On n’utilise plus trop ChatGPT, mais on essaie les alternatives qui sont plus difficilement détectables. »

Malgré les craintes, la plupart des élèves ont essayé cette nouvelle technologie. Certains profs interrogés estiment leur usage massif « surtout de la part des élèves en difficulté », d'autres parlent d’une triche qui concerne 10 % de leurs élèves. En octobre 2023, un sondage organisé par la plateforme d'apprentissage de l'anglais ISpeakSpokeSpoken indique que 74,2 % des étudiants ont déjà utilisé ChatGPT pour leurs cours et 52 % pour leurs devoirs à la maison. En avril 2024 un autre sondage portant sur 560 étudiants mis en ligne par la plateforme d’orientation scolaire Diplomeo montrait que 79 % des 16-25 ans utilisent un outil d’IA pour leurs études ou leur orientation, et, parmi eux, 55 % l’utilisent au moins une fois par mois. Près de 8 jeunes sur 10 admettent l’utiliser pour s’aider pendant leurs cours. Si les cas flagrants de triche sont bien souvent repérés à cause de maladresses ou d’un usage trop simpliste, l'intelligence artificielle est bel et bien entrée dans la vie des jeunes internautes, à la manière d'un Google ou d'un Wikipédia.

« Quand ChatGPT est sorti, c'est devenu ma deuxième maman, explique de son côté Jessie, une étudiante en humanités qui précise utiliser l’IA tous les jours. Ça a remplacé Google pour de nombreuses requêtes, car je le trouve plus simple d’utilisation. Je lui demande des tutos pour faire des travaux chez moi ou cuire des œufs, c’est lui qui organise mon temps de travail de la manière la plus optimale possible. » Même constat pour Balthazar, étudiant en humanités également, qui a fait de l’IA son copilote au quotidien. « C’est un outil formidable pour t’introduire dans un univers que tu ne connais pas, raconte-t-il. Récemment, je me suis mis à suivre la F1. Gemini de Google (une IA alternative qui est censée pouvoir se connecter à Internet pour récupérer des informations) m’a expliqué tout le vocabulaire technique. »

Une nouvelle béquille d'apprentissage ?

Si les collégiens et les lycéens utilisent ChatGPT comme une béquille qui remplace la réflexion, les étudiants post-bac ont des pratiques plus élaborées. C’est le cas de Balthazar qui a un bagage universitaire vis-à-vis du traitement des sources – son parcours l’a amené à faire de l’Histoire – mais a aussi été accompagné par son beau-père, passionné par l’outil, et un ami d’enfance qui a fondé une entreprise spécialisée en intelligence artificielle. « Je fais ces études un peu par obligation, explique-t-il. Du coup, j’utilise les IA comme un copilote d’écriture sur les matières qui m’ennuient le plus. Je ne me suis jamais fait prendre, mais il faut dire que je ne me contente pas de faire un bête copié-collé. Je l’utilise vraiment. Je passe une bonne demi-heure à le paramétrer en lui expliquant le contexte du devoir. Souvent, je me fais passer pour un prof qui a besoin d’un corrigé précis à l’exercice demandé, ça me permet d’avoir de meilleurs résultats. Je lui demande aussi de me faire une check-list méthodologique. J’utilise aussi Google Gemini pour me trouver des sources qu’il va chercher sur Cairn, un portail consacré aux publications en sciences humaines et sociales. Ensuite, je lui soumets un paragraphe basique, puis je lui demande de le corriger, de le réécrire pour que ça colle au style d’un étudiant de licence, et je lui demande d’apporter des précisions, des informations en plus, etc. À la fin, j’arrive à rendre un devoir en une journée de travail au lieu d’une semaine et j’obtiens un 14 au lieu d’un 4. »

Que ce soit pour tricher ou pour copiloter ses productions, la question que pose l’utilisation de ChatGPT reste la même : l’IA va-t-elle altérer la manière dont on apprend ? Marwan, professeur dans un lycée de région parisienne, apporte de la nuance. « Le danger de l'usage de cet outil concerne d'abord les travaux en autonomie, explique-t-il. Auparavant, une recherche Google donnait suffisamment de résultats délirants pour au minimum forcer les élèves à creuser, donc à étudier la question et les réponses potentielles. ChatGPT et les autres outils IA crachent une réponse pondérée qui semble être la bonne. Que cela soit vrai ou non, le résultat est envoyé, généralement tel quel, et l'outil réalise une partie du travail de réflexion sans profiter à l'élève. » C’est pour cette raison que des professeurs ont commencé à intégrer l’outil dans leurs cours et plaident pour une utilisation raisonnée et intelligente. C’est le cas de Nathalie, professeure de SVT au collège, qui intègre Google Gemini dans le corrigé des devoirs. « De temps en temps, je l'utilise en classe entière et en clair pour faire de la correction, explique-t-elle. Je fais passer un sujet de brevet dans Gemini, et l’on compare le rendu avec la correction officielle. L'exercice est intéressant, notamment parce que l'IA fait des raisonnements tronqués, ce qui permet de faire de la remédiation. » L’enjeu sera de transmettre aux élèves assez de savoirs pour graduer la qualité des sources, et de connaissances techniques pour qu’ils sachent dialoguer avec les IA.

Pour Julien Annart professeur invité à l’HEPL (Haute École de la Province de Liège), l'IA permet de dresser un constat sans appel sur l'échec de la culture scientifique à transmettre sa démarche et son importance. « J’estime que le rapport aux sources reste la grande difficulté à laquelle est confrontée cette nouvelle génération d'étudiants, explique-t-il. Ils ont beaucoup de mal à distinguer une bonne source d'une mauvaise, par exemple. Quand ils vont sur Wikipédia, ils ne regardent jamais le bas de la page et tiennent pour acquis tout ce qui s’apparente à du savoir disponible en ligne, peu importent ses origines. Les IA comme ChatGPT viennent accentuer ce problème, étant donné qu’elles fournissent des informations parfois vraies, parfois fausses, avec une bonne capacité de synthèse. Ceux qui n’ont pas été éduqués à remonter jusqu’aux sources et qui consomment ces outils plutôt que de les utiliser pour produire de l’intelligence seront forcément désavantagés. »

* le prénom a été modifié

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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