
L’intégration de l’intelligence artificielle dans son moteur de recherche va obliger le géant du web à revoir totalement son modèle économique basé sur la publicité.
Imaginez que vous possédiez un quasi-monopole sur le marché publicitaire du web et que votre nouvel outil d’intelligence artificielle vous oblige à revoir votre modèle économique. C’est plus ou moins la situation dans laquelle se trouve Google qui est en train de mettre au point son assistant de recherche baptisé SGE, pour search generative experience. Plutôt que de proposer une série de liens hypertextes, cet outil est censé fournir une sorte de synthèse écrite qui répond parfaitement à la requête posée. Non seulement ce fonctionnement s’avère très coûteux en ressources serveur, mais il empêche aussi l’affichage de liens sponsorisé qui représentent plus de la moitié des revenus d’Alphabet, soit la coquette de somme de 175 milliards de dollars par an. L’expression « se tirer une balle dans le pied » n'a jamais pesé aussi lourd que dans ce cas précis.
Payer pour faire de la recherche web ?
Pour pallier ce problème, le Financial Times dévoile que Google envisage de faire payer cette fonctionnalité sous la forme d’un abonnement premium. Si ce projet semble être encore dans les limbes, la firme a rassuré ses clients en indiquant qu’elle n’envisageait pas de mettre fin au sponsoring et serait donc en train de chercher une solution qui consiste à nous faire payer la recherche ET à inclure de la publicité en même temps. De quoi poser de grosses questions d’éthique (quid d’un résultat généré par IA et « sponsorisé » par une marque ? ) et installer une situation paradoxale vis-à-vis du concept même du premium. S’ajoute à cela l’inquiétude bien légitime des éditeurs de site web et notamment des médias qui risquent de voir le nombre de visites diminuer à mesure que les internautes se contenteront de résumés générés par écrit.
Éviter « l’emmerdification » des plateformes
Si cette histoire de premium n’est pour le moment qu’une option envisagée, elle marque un véritable tournant dans la manière dont on envisage l’utilisation du web depuis près de 30 ans. Depuis les premiers portails web comme Yahoo! aux moteurs plus récents, ces outils ont toujours été libres d’accès. Mais ce paradigme est en train de changer avec l’arrivée de l’IA générative. On sait déjà que Google traite les écrits générés par intelligence artificielle et ceux écrits par des humains de la même manière. On sait aussi que Google Book prend désormais en compte des livres de mauvaise qualité générés par IA. Entre les liens sponsorisés et les résultats de moins en moins pertinents, Google perd son principal attrait qui consistait à connecter des requêtes précises à des réponses précises données par d’autres internautes dans des forums plus ou moins spécialisés. Étant donné que ces informations fournies par des pairs et des experts sont en train d’être noyées sous un tsunami de contenus de basse qualité, les internautes se tournent vers d’autres plateformes comme TikTok qui est tout aussi bordélique, mais offre au moins l’illusion d’accéder à des conseils donnés par d’autres humains.
Vers un web à deux vitesses
Le futur du web tel qui se dessine pourrait être le suivant : on se retrouverait d’un côté avec des moteurs de recherche toujours gratuits, mais incluant des résultats de mauvaise qualité générés par des IA, et de l’autre des moteurs de recherche payants et assistés par une IA qui générerait une synthèse. Avant que Google ne se décide à sauter le pas, il existe déjà un modèle de ce type qui nous est rapporté par 404media. Il s’agit de Kagi, un moteur de recherche fondé en 2018 et lancé l’année dernière, dont la formule payante atteint la somme astronomique de 10 dollars par mois. En échange, il ne montre pas de publicités et diminue la visibilité des liens menant vers des sites contenant trop de sponsors et de traqueurs. Il mène aussi ses recherches sur de multiples moteurs de recherche généralistes et spécialisés comme Google, Yandex, Mojeek, Brave ou Wikimedia Commons et pense proposer dans un avenir proche des résumés de recherche boostés à l’intelligence artificielle. Nous nous dirigerons donc sûrement vers un monde qui se divisera en deux catégories. Ceux qui vont subir l’IA et ceux qui payeront pour être servis par cette dernière.
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