
Les deep tech promettent de révolutionner la santé et la mobilité, entre autres, et de donner un nouveau souffle à la conquête spatiale. Coup d’oeil sur ce qui nous attend en 2030 et au-delà, avec Christophe Tallec.
Pas besoin d’une boule de cristal pour prévoir le futur, il suffit d’observer où vont les deep tech. Ces technologies disruptives promettent de révolutionner la santé et la mobilité, mais aussi de donner un nouveau souffle à la conquête spatiale. Dans cette course à l’innovation menée par les États-Unis et la Chine, la France n’est que 8e... pour l’instant. Car Bpifrance a dévoilé fin janvier un plan pour faire de la France un champion des deep tech d’ici cinq ans. Coup d’oeil sur ce qui nous attend dans l’espace, en 2030 et au-delà, avec Christophe Tallec, Partner & Co managing Director chez Hello Tomorrow.
Les deep tech investissent largement les domaines de la mobilité et de l’espace. Anita Sengupta, COO Airspace Experience Technologies et Ingénieure spatiale (ex NASA, Hyperloop One), prophétise ainsi que demain, la mobilité se pensera en 3D, incluant l’espace aérien et de nouveaux véhicules volants urbains. Êtes-vous d’accord ?
Christophe Tallec : Oui car en 2050, 68% de la population mondiale sera concentrée dans les villes, selon les Nations Unies. Ce chiffre monte à 75% pour l’Europe. Développer cette mobilité 3D et cet espace aérien encore non utilisé est donc un réel enjeu.
Demain, les véhicules volants seront permis, notamment par les approches de vertical take off and landing (VTOL), avec la promesse de réduire les congestions de la voirie. Ces véhicules représentent un vrai marché de cible pour des acteurs comme Airbus, Uber et Volkswagen. Pour l’instant, il y a surtout deux formats de véhicules : soit un drone avec 4 hélices, surtout développé en Asie, soit une sorte d’avion avec des ailes qui pivotent à 90° pour décoller verticalement. Lilium Jet, le gagnant 2016, a depuis levé 90M€ pour s’attaquer à ce marché, estimé entre 1 et 1,5 trillion en 2040.
Les États-Unis testent déjà la livraison d’organes par drone, pour aller plus vite. Google a obtenu l’autorisation d’opérer sur son projet de drone, Safran se positionne aussi… Cet écosystème est en train de s’organiser et de poser les bases de ce que sera demain l’espace aérien utile en milieu urbain.
En matière de New Space, quelles sont les innovations dont nous allons entendre parler ces prochaines années ?
C. T. : Depuis deux ans, on voit des solutions dans les lancements, dans la propulsion, dans les services développés dans des nouvelles orbites, comme le low Earth orbit. Pour l’instant, les constellations de satellites et les nouvelles formes de propulsion sont au coeur de l’innovation.
Le gagnant catégorie New Space du Hello Tomorrow Global Challenge, une compétition pour les start-ups deep tech, Atomos nuclear and space, propose ainsi une propulsion nucléaire plus durable. Il y a d’autres solutions qui viennent de l’IA et peuvent rapidement apporter de la valeur en matière de pilotage, ré atterrissage de lanceurs réutilisables, gestion de données…
Combien de temps pourrait prendre la démocratisation réelle du secteur spatial ?
C. T. : Il y a eu une première vague de miniaturisation de ces technologies et de réduction des coûts, par impression 3D notamment. L’espace devient plus abordable, des acteurs qui n’étaient pas historiquement du spatial se lancent, notamment aux États-Unis, où l'on a su mettre en place une vraie relation commerciale avec ces nouveaux acteurs. Résultat : le programme Space X a été développé en 10 ans.
L’Europe doit encore structurer son marché New Space et travailler plus avec ses start-ups. L’heure est au rapprochement entre les grands groupes historiques et ces nouveaux acteurs ; ArianeGroup, que nous accompagnons, a par exemple lancé avec le CNES une plateforme d’open innovation pour accélérer les collaborations et intégrer davantage les start-ups à la chaîne de valeur. Pour l’Europe, l’enjeu est aussi d’acquérir des compétences en équipements réutilisables. On a vu avec Space X que cela permet une réduction drastique des coûts. Je pense que cela va devenir un nouveau standard très rapidement dans l’industrie.
En 2030, le tourisme spatial sera-t-il une réalité ?
C. T. : Depuis le début de l’histoire spatiale, 536 personnes ont été envoyées dans l’espace. J’espère que la prochaine décennie va décupler ce chiffre et que ce tourisme spatial sera la rencontre entre des activités de loisirs, qui financent les prochaines technologies et le futur de la conquête spatiale, et des activités de recherches. Demain, on aura sûrement des stations mixtes dans leur usage. Plusieurs véhicules sont en ligne de mire pour ce tourisme spatial, il y a une course entre USA, Chine et Europe pour capter ce marché, avec au maximum de la place pour 10 opérateurs. Dans ce contexte, les États-Unis ont pris de l’avance : avec sa solution Dragon, Space X a annoncé une première vente à un milliardaire japonais pour faire le tour de la Lune l’année prochaine.
Il y a aussi les premiers achats de tickets sur Blue Origin et Virgin Galactic, et d’autres acteurs européens pourraient émerger. En tout cas, le ticket du voyage sera de l’ordre de 200.000 euros les premières minutes de vol dans l’espace, donc un tarif très cher pour un temps très court. À partir de 2025, on va aller vers des solutions un peu plus abordables.
Il y a aussi une nouvelle orbite qui se cristallise : le lunaire et le sis lunaire (ce qui est autour de la Lune), avec des satellites mis en orbite lunaire pour atterrir sur la face cachée de la Lune, comme la Chine l’a fait récemment, ou des solutions d’aller-retour entre la Lune et la Terre pour transporter des marchandises. In fine, le marché du tourisme spatial, du lunaire et du sis lunaire servent tous à financer le Deep Space, donc la colonisation spatiale.
Coloniser l’espace vous semble donc une réalité ?
C. T. : Je pense qu’avec beaucoup de financements et beaucoup de réduction des coûts, ce sera possible d’ici 2050. Rien que l’envisager représente un intérêt scientifique énorme. En Chine sont ouverts les premiers simulateurs de colonie sur Mars, pour commencer à acculturer le marché et créer ces imaginaires collectifs. Aux États-Unis, des acteurs comme Elon Musk ou Jeff Bezos, qui ont grandi avec Star Trek et ont vu les programmes spatiaux de la Nasa s’arrêter, ont l’envie et l’ambition presque romantique de repartir à cette conquête. Il y a des solutions qui arrivent, comme la cryogénie ou le sommeil profond pour réduire le coût des premières missions habitées. En revanche ça n’ira pas aussi vite que ce que l’on pense. L’espace est environnement aride et très contraint, on multiplie par trois le planning donné.
Pourtant la Chine va vite, très vite… Elle conçoit actuellement un lanceur capable de transporter dans l’espace des charges supérieures à 140 tonnes d'ici 2030, soit plus que la Nasa ou le programme spatial européen. L’avenir de la conquête spatiale se joue-t-il déjà en Chine ?
C. T. : En terme de budget, l’ordre actuel du top 5 spatial c’est : USA, France, Chine, Russie et le Japon. On le sait peu, mais le Cnes représente le deuxième budget au monde, avec 2,4 milliards de dollars par an. La Chine est actuellement à 2, voire 2,2 milliards, mais elle va nous rattraper vite. En 2040, le marché de l’espace pourrait peser entre 1 et 2 trillions, contre 300 à 350 milliards de dollars par an à l’heure actuelle.
Dans cette économie, la Chine a décidé d’atteindre plus que le budget américain à l’horizon 2030, avec des dépenses allant de 3 à 6 milliards de dollars par an. La Chine va vite et investit beaucoup, avec des ambitions politiques renouvelées sur la course à la Lune et à Mars. Elle a aussi tendance à militariser les solutions commerciales qu’elle développe. Donc ça se réveille !
Cette militarisation de l’espace annonce-t-elle une guerre des étoiles à venir ?
C. T. : La dynamique internationale actuelle est très intéressante et peut rester dans l’ADN du spatial, c’est-à-dire de la compétition et de la coopération. Même si l’espace se militarise, c’est très surveillé car l’intérêt scientifique, avec des collaborations internationales pour faire avancer la recherche, prime. Comme le disait Nixon, une fois dans l’espace, il faut laisser son pays et sa nationalité derrière soi. C’est l’espèce humaine qui part à la conquête de l’espace. La création de valeur est partagée. En revanche, il faut réguler l’espace et ce qu’on y fait. L’Inde a testé en janvier un dispositif de destruction de satellites, ce qui a fait 400 débris en plus dans un espace déjà bien chargé en éléments orbitaux. Cela impacte le reste du monde.
Les technologies spatiales sont duales : elles peuvent être civiles et de défense. Donc c’est un vrai sujet. La France doit d’ailleurs faire des annonces à la fin de l’été en matière de défense spatiale. Mais les start-ups européennes du New Space oeuvrent surtout à rapprocher l’espace de l’économie du quotidien, à chercher de nouvelles solutions pour l’environnement. Je pense que la partie commerciale prendra le dessus parce qu’elle crée plus de valeur que le militaire.
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