Le fediverse, ce refuge pour internautes voulant fuir X

Une partie des X'os, lassée du tournant de la plateforme sociale d’Elon Musk, s'envole vers de nouveaux horizons. Parmi les destinations envisageables : le fediverse, un Web alternatif.

Le procès intenté par la société X-Corp contre le média The Onion a été la goutte d'eau de trop. Alors que ce site parodique américain, que l’on pourrait comparer à notre Gorafi national, a annoncé racheter aux enchères le site complotiste Infowars pour le détourner, Musk a fait barrage au transfert du compte X d'Infowars, qui compte la bagatelle de 640k abonnés. Une démonstration de force qui rappelle que le patron de X a la totale mainmise sur les comptes et contenus de la plateforme. Ce ressentiment, additionné à la transformation du réseau en machine de propagande au service d’un trumpisme triomphant, pousse les internautes vers d’autres horizons. Une grande majorité trouve refuge sur le réseau social Bluesky, mais d'autres lui préfèrent les médias sociaux alternatifs fédérés au sein du fediverse, ce Web alternatif.

La ZAD du Web

Pour Stéphane Couture, professeur agrégé au Département de communication de l’Université de Montréal, travaillant sur les logiciels libres et les médias alternatifs, le fediverse (mot-valise formé de federated et universe) renvoie à deux réalités. « Le plus souvent, il désigne un réseau interconnecté de plateformes en ligne décentralisées et, dans certains cas, uniquement celles qui communiquent ensemble par le protocole ActivityPub », explique-t-il.

Concrètement, ActivityPub est un ensemble de règles de communication qui permet à différentes plateformes de communiquer entre elles. Ce langage commun autorise les internautes à suivre un usager, à repartager et à liker son contenu depuis n'importe quelle plateforme du réseau. ActivityPub est notamment utilisé par Mastodon, la plateforme la plus en vue du fediverse, qui est composée « d'instances », nom donné aux différents serveurs connectés entre eux, mais autogérés, avec chacune leurs propres règles de modération et thèmes de discussion.

À côté de l’éléphant, on compte d’autres services comme Pixelfed, souvent présentée comme une alternative sans censure au pudibond et apolitique Instagram, Lemmy, équivalent libre de Reddit, ou bien Peertube, pendant libre, indépendant et décentralisé de YouTube. Certains sites comme WordPress sont aussi rattachés au fediverse, ce qui rend possible le partage d'un article de blog et la rédaction de commentaires sur d’autres plateformes.

Les jalons du fediverse

Les plateformes membres du fediverse sont à l'origine fédérées autour de valeurs communes, conformes aux idéaux des pionniers d'internet : l'absence de surveillance et de logique marchande, l'autodétermination des internautes, qui choisissent les contenus qui leur parviennent et décident des politiques de modération, et une forme d'indépendance, puisqu'ils peuvent changer de plateforme sans perdre leurs abonnés. Cet univers est en principe préservé de la pollution publicitaire et de la captation des données, et le risque de censure y est réduit. Threads, propriété de Meta, qui s'ouvrira à la publicité dès 2025, fait toutefois exception à la règle. Sa connexion au réseau suscite des réticences de la part de certains membres du fediverse, qui craignent qu'il ne capte les usagers de cet univers, ou le dénature en contrevenant à ses valeurs. D'autres y entrevoient, à l'inverse, une opportunité d'élargir la communauté.

Le fediverse peut-il rivaliser avec les réseaux sociaux mainstream ?

Malgré cette percée de Mastodon, force est de constater que la dernière émigration de X se fait majoritairement au profit de Bluesky, qui fonctionne avec un autre protocole de communication (l’AT Protocol) que ceux du fediverse. Pour Stéphane Couture, « l'ambition de Bluesky est de créer un BlueSky First, un univers BlueSky différent du fediverse, et pas seulement une plateforme ». Le ralliement d'usagers à ce réseau social mainstream, cofondé par l'ancien PDG de Twitter Jack Dorsey et investi par Blockchain Capital, est décrié par certains internautes, qui craignent que Bluesky ne retombe dans les mêmes travers que X. L'explication la plus probable à cette préférence des internautes, d'après le chercheur, c'est que « Bluesky est plus facile d'utilisation que le fediverse. Ce n'est pas la même expérience utilisateur ».