
Avec son logo émoji (🤗) et son positionnement open source, la start-up française valorisée 4,5 milliards de dollars pourrait assurer une brique de souveraineté à l'Europe.
Avant d’être en couverture du Time, à la gauche de Sam Altman et de vingt-huit des cent personnes les plus influentes dans l’IA en 2023, Clément Delangue était un ado comme les autres. Ou presque. En 2010, à seulement 20 ans, il achète à vil prix des mobylettes et autres minimotos sur des sites chinois et les revend sur eBay. Il deviendra l'un des plus gros vendeurs. Son activité lui permet même d'entrer en stage dans les locaux de la plateforme de e-commerce. La même année il crée un premier projet déjà tourné vers le partage : « Une plateforme pour prendre des notes collectivement en cours et les partager de manière ouverte, ce qui permettait à des personnes n’ayant pas les moyens ou les opportunités d’étudier dans de grandes écoles d’accéder à des cours de Stanford ou du MIT et de suivre différents parcours. »
Mais c’est lors d’un salon, où il représente eBay, qu’il rencontre le fondateur de Moodstock (vision par ordinateur), qui l’initie au machine learning, encore très niche à l’époque. Fasciné, il rejoint Moodstock (plus tard racheté par Google), avant de créer en 2016 Hugging Face aux côtés de Julien Chaumond et Thomas Wolf. Une bibliothèque en libre accès permettant de créer et de contrôler sa propre IA grâce à des modèles ouverts, des jeux de données et des applications décentralisées... bref tout le contraire des mastodontes du secteur comme OpenAI.
Vous voyez plutôt Hugging Face comme une communauté ou une entreprise ?
Clément Delangue : C’est une entreprise qui soutient une communauté, celle des AI builders. Nous essayons de trouver le juste équilibre entre la création d’outils gratuits pour la communauté, la promotion de l’open source, et la mise en place d’un modèle économique viable. Nous sommes récemment devenus rentables grâce à notre offre premium entreprise, tout en maintenant 99 % de notre usage gratuit et open source. La partie payante, destinée aux grandes entreprises privées qui ne contribuent pas forcément à la communauté, finance ainsi la partie open source gratuite. C’est un cercle vertueux : en augmentant notre monétisation, nous pourrons réinvestir dans la plateforme et avoir encore plus d’impact. C’est assez excitant.
Pourquoi cet accès à la création d’IA vous semble nécessaire ?
Clément Delangue : Aujourd’hui, il y a environ 50 millions de développeurs logiciels dans le monde, qui définissent la technologie pour six milliards d’individus. C’est une concentration importante des capacités. Avec l’IA, nous pourrions peut-être avoir 200 ou 500 millions de personnes capables de contrôler, de maîtriser et de construire l’intelligence artificielle pour tout le monde. Cela permettrait d’être beaucoup plus inclusif et de donner plus d’impact à chacun.
L’open source peut-il participer à assurer notre souveraineté technologique ?
Clément Delangue : L’IA est une brique technologique fondamentale, il est donc essentiel qu’un maximum de personnes puissent la comprendre et la contrôler. Sinon, nous courons le risque d’une hyper-concentration du pouvoir, des richesses et du contrôle entre les mains de quelques-uns. De la même manière que tout le monde peut créer sur Internet, il faut que chacun soit capable de concevoir de l’intelligence artificielle.
Hugging Face évolue aussi grâce aux apports de ses utilisateurs…
Clément Delangue : Le collaboratif est un moyen de se focaliser sur des problématiques importantes pour tous. On le voit avec les questions d’éthique et d’environnement. Grâce à notre approche, des initiatives émergent, comme la possibilité de classer les modèles en fonction de leur consommation d’énergie.
Aujourd’hui, des entreprises peuvent-elles créer leur propre chatbot via Hugging Face ?
Clément Delangue : Cela dépend, mais oui, toutes les entreprises peuvent désormais créer leur propre système d’IA pour un large éventail de tâches grâce à l’open source. Elles partent de modèles pré-entraînés qu’elles retravaillent, optimisent et spécialisent pour leurs besoins spécifiques. Cela leur permet d’obtenir des solutions plus adaptées, moins coûteuses, plus rapides et qu’elles peuvent réellement contrôler.
L’IA ne se limite évidemment pas aux chatbots. Quels autres domaines prennent de l’importance sur Hugging Face ?
Clément Delangue : Nous avons commencé avec beaucoup de modèles textuels, mais nous avons désormais de nombreuses applications dans les images, l’audio, la vidéo, ainsi que dans la biologie et la chimie, où il existe un fort potentiel. La robotique prend également une place croissante. Il y a encore quelques années, on développait de la robotique sans vraiment utiliser d’intelligence artificielle. Aujourd’hui, de plus en plus d’utilisateurs adoptent notre bibliothèque open source LeRobot, qui permet à tout un chacun d’entraîner des modèles et de concevoir son propre robot.
Plutôt que d’acheter un robot vendu par Tesla à 50 000 dollars, où tout est contrôlé par Tesla, l’idée est de permettre à chacun d’entraîner et de contrôler son propre robot, chez soi. C’est une perspective enthousiasmante : une robotique qui ne serait pas un outil de contrôle, mais un moyen de donner du pouvoir à tout le monde.
Pourquoi avoir choisi un émoji comme logo ?
Clément Delangue : À l’origine, c’était une blague. Nous voulions être la première entreprise à avoir un emoji pour nous représenter lors d’une introduction en Bourse, plutôt que les trois lettres habituelles. Nous pensions le changer à un moment mais la communauté l’a adoré dès le début. Elle a commencé à l’utiliser partout sur les réseaux sociaux et même à créer des vêtements à son effigie, alors nous avons décidé de le conserver.
quel bonheur de voir que l'entreprise peut etre collective et oeuvrer durablement pour le bien commun. C'est la voie vers laquelle nos pouvons tous nous mo biliser pour la transition economique et sociétale et comme l'alternative à la société de puissance et segrégationniste de Trump & Co...