
Et si la santé de demain venait de l’espace ? À 400 kilomètres au-dessus de nos têtes, la micropesanteur révolutionne silencieusement notre pharmacopée. Quentin Fabrega, responsable sectoriel santé chez Bpifrance, nous éclaire sur les promesses et les défis de cette frontière scientifique encore méconnue.
« Très tôt, la santé a été au coeur des missions d’exploration spatiale », raconte Quentin Fabrega, responsable sectoriel santé chez Bpifrance. L’objectif était alors de saisir l’impact de l’espace sur la santé humaine. « Le phénomène de l’impesanteur, l’exposition aux rayonnements cosmiques, les températures extrêmes mettent à l’épreuve le corps des spationautes. Ces effets sont similaires au vieillissement et à la sédentarité ». Au fil des missions, cette observation destinée initialement à garantir le bien-être des spationaute s’est révélée utile pour mieux comprendre certaines pathologies sur Terre. Ostéoporose, sénescence cellulaire, fragilités cardiovasculaires – autant de mystères qui peuvent intéresser la biotech et la medtech, éclairés par ce regard extraterrestre sur notre biologie. « Les années 2000 - avec la scientifique et spationaute Claudie Haigneré - ont aussi permis de mieux comprendre la physiologie humaine. Donc oui, la médecine spatiale peut bel et bien servir la médecine terrestre », reprend Quentin Fabrega.
Vers la santé et au-delà
Certains laboratoires pharmaceutiques et acteurs de la cosmétique ont bien compris le potentiel de la recherche en orbite, comme en témoigne les cas de la molécule du pembrolizumab. C'est en 2017 que ce traitement d'immunothérapie majeur développé par le laboratoire pharmaceutique américain Merck a été expédié vers la Station spatiale internationale (ISS) pour des tests de cristallisation. Les résultats se sont révélés prometteurs : « Les cristaux obtenus dans l'espace sont plus purs que sur Terre. Un effet possible de la micropesanteur » qui pourrait permettre « le développement de nouveaux modes d'administration de la molécule, ou encore un meilleur stockage à long terme, et de surcroît moins onéreux » . À ce jour, Merck n'a pas communiqué sur l'impact économique de ces découvertes spatiales.
Cette nouvelle frontière pharmaceutique attire désormais les acteurs émergents du New Space. En 2024, Varda Space, startup spécialisée en biotech spatiale, a tenté de reproduire l'exploit avec le Ritonavir, composant clé des traitements anti-VIH. L'expérience a révélé l'autre facette de cette innovation : ses défis logistiques et réglementaires. La capsule contenant les précieux cristaux s'est retrouvée en orbite prolongée, les autorités américaines – aviation fédérale et US Air Force – lui refusant l'autorisation d'atterrissage pour "raisons de sécurité". Résultat : six mois d'apesanteur forcée pour la capsule contenant les précieux cristaux…
Redescendre sur Terre
La production pharmaceutique spatiale à échelle industrielle relève donc encore de la science-fiction et Quentin Fabrega identifie trois obstacles structurels qui freinent cette ambition. D'abord, l'incompatibilité des volumes : « Les quantités [telles que pratiquées par les labos pharmaceutiques] ne sont pas compatibles avec une production spatiale. Les spationautes disposent d'équipements limités, pour des raisons financières, mais aussi de taille et de poids » . Ce plafond capacitaire réduit considérablement l'ambition : les expériences comme celles du pembrolizumab et du ritonavir « servent avant tout à comprendre des mécanismes, des phénomènes du vivant pour améliorer l'existant sur Terre » .
Le cycle logistique constitue le deuxième verrou. Si l'envoi présente déjà des complexités, le retour s'avère bien plus problématique : « Les opérateurs spatiaux peuvent emmener ce qu'on appelle la charge utile, l'équipement dans l'espace. C'est en revanche une toute autre histoire pour le rapatrier. Alors imaginez, des échantillons préservés (donc vivants, ndlr)... Le coût reste élevé : de 50 à 100 000 euros par kilo pour un aller-retour » .Un frein économique qui pourrait toutefois trouver sa résolution dans l'émergence d'un nouvel écosystème d'acteurs privés. SpaceX, mais aussi des entreprises plus spécialisées comme The Exploration Company, Space Cargo Unlimited ou Atmos Space Cargo développent des solutions centrées sur l'automatisation des capsules. Leur promesse : réduire les coûts tout en augmentant la fréquence des allers-retours.
Enfin, la dimension temporelle ajoute sa contrainte. Les chercheurs en orbite jonglent entre de multiples projets scientifiques, sans possibilité d'augmenter significativement les effectifs à bord de l'ISS. Et les délais de préparation et d’exécution des expérimentations spatiales - de 1 à 6 ans - sont peu compatibles avec le temps de la recherche pharmaceutique.
2025, l'Odyssée de la face
La réglementation constitue un défi aussi important que la logistique. « L'industrie pharmaceutique navigue dans un labyrinthe de contraintes drastiques : conformité des données, validation des molécules, protocoles propres à chaque marché… Si la NASA a négocié un accord avec les autorités américaines, ce n’est pas encore le cas côté européen ». Ce contexte réglementaire ouvre paradoxalement une brèche aux acteurs de la cosmétique, soumis à moins d'exigences. Pour Quentin Fabrega, cela explique pourquoi Estée Lauder ou encore le groupe Colgate-Palmolive Skin Health investissent dans la recherche spatiale. Résultat : les géants de la beauté deviennent les pionniers inattendus d'une transformation industrielle majeure. Nos futurs soins skincare pourraient ainsi préfigurer l'architecture d'une économie orbitale dont les règles s'écrivent en temps réel. D'un côté, des protocoles américains qui s'affinent ; de l'autre, une Europe qui cherche ses marques. Qui dictera demain les lois de l'apesanteur ?
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