
Des chercheurs viennent d’éclaircir un des nombreux mystères de l’univers, celui des écailles de lézards. L’évolution de leur couleur répondrait à un système de calcul élaboré pour développer des ordinateurs.
Pourquoi les zèbres sont-ils rayés, tandis que les girafes sont, elles, tâchées ? Qui n’a jamais entendu poser cette question enfantine ? Et pourtant pas si enfantine que ça…. car, avec l’évolution des nouvelles technologies, les chercheurs ont désormais cette capacité à révéler le monde à l’échelle nanoscopique. Poils, écailles, plumes, sont désormais prêts à révéler leurs secrets quant à leur structure et leur évolution. Parmi ces révélations, il est désormais avéré d’un point de vue scientifique que les changements de couleur de peau des animaux, du poisson clown au léopard, et les dessins qu’ils produisent sont dus à des interactions microscopiques qui se déroulent au niveau cellulaire ; des changements qui décrivent parfaitement les équations du mathématicien Alan Turing.
Pour autant, un animal échappait encore à la règle : le lézard ocellé.
Son mécanisme est différent. Le passage de l’animal du brun, lorsqu’il est jeune, à un dessin vert et noir à l’âge adulte ne se produit pas seulement au niveau cellulaire, mais également à l’échelle des écailles toutes entières, qui changent de couleur une à une. Problème : les équations du mathématicien Alan Turing, impliquant des interactions au niveau cellulaire (ici pigmentaires), sont impuissantes à modéliser ce phénomène.
Pour comprendre pourquoi le patron de coloration s’organise à l’échelle des écailles plutôt qu’à celle des cellules biologiques, deux doctorantes, Liana Manukyan et Sophie Montandon, ont suivi la coloration de plusieurs lézards pendant quatre ans, depuis leur sortie de l’oeuf jusqu’à l’âge adulte. Elles ont reconstruit la géométrie 3D et la couleur du réseau d’écailles au moyen d’un système robotique à très haute résolution, développé précédemment dans le laboratoire de Michel Milinkovitch (professeur au sein du Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE et Chef de Groupe au SIB Institut Suisse de Bioinformatique).
Les chercheurs (biologistes, physiciens et informaticiens) ont alors observé que non seulement les écailles changent de couleur du brun au noir ou au vert, mais qu’elles continuent, une fois le lézard adulte, de passer du noir au vert et du vert au noir. Cette observation étrange a poussé le Professeur Milinkovitch à formuler une hypothèse : le réseau d’écailles forme un «automate cellulaire», un système computationnel inventé en 1948 par le mathématicien John von Neumann et qui a permis de matérialiser la question de l'autoreproduction des machines. Les automates cellulaires sont des réseaux abstraits composés de cellules qui communiquent avec les cellules directement voisines. Cette communication se concrétise par un changement d’état (chaque cellule change d’état en fonction de l’état de ses voisines). Dans le cas des lézards ocellé, ils correspondent aux écailles et non aux cellules biologiques : les écailles changent effectivement de couleur en fonction de la couleur des écailles voisines. Ces lézards seraient le premier cas de véritable automate cellulaire de von Neumann apparaissant chez un être vivant.
L’analyse du changement de couleur sur quatre ans a permis aux chercheurs suisses de confirmer l’hypothèse du professeur Milinkovitch: les automates cellulaires comme systèmes de calcul ne forment pas simplement un concept abstrait imaginé par John von Neumann, mais correspondent également à un processus naturel généré par l’évolution biologique.
« C'est très surprenant de retrouver sur la peau d'un animal le système de calcul qui était utilisé pour développer des ordinateurs », explique le biologiste Michel Milinkovitch.
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