Le lieu parisien La Colonie de l'artiste Kadder Attia est un genre de laboratoire des nouveaux questionnements politiques, où l'on expérimente un verre à la main.
Kader Attia est un passeur de savoirs, un « artiste rebouteux » (comme l’a qualifié le président du jury du prix Marcel Duchamp) : il interroge le monde, ses mouvements, ses soubresauts et fait de sa pratique artistique un vecteur de transmission mais surtout de guérison. En s’intéressant aux conséquences et aux cicatrices laissées par des siècles d’hégémonie occidentale, il propose une lecture de l’Histoire au croisement entre pensée postcoloniale et politique du « care » . Ce nouvel espace, pensé et conçu conjointement avec son frère et ses amis les plus proches, est destiné à être une caisse de résonance de nos problématiques contemporaines.
Au carrefour entre pensée, art et activisme, La Colonie est « un lieu de savoir-vivre et de faire-savoir ». Un lieu de vie d’abord : une plate-forme de rencontres et de discussions, ouverte aux échanges entre cultures savantes et cultures populaires ; un espace de création ensuite, mais voué à stimuler le décloisonnement et les échanges au niveau microlocal ; un symbole d’engagement, enfin, né de la volonté de créer de nouvelles narrations politiques. La Colonie fait partie de ces espaces hybrides qui favorisent les fertilisations croisées et permettent d’ « ouvrir les voix » (comme le suggère le titre du documentaire de la réalisatrice Amandine Gay sur les femmes afro-descendantes, invitée de La Colonie lors de la sortie de son film). À La Colonie, il est en effet question des sujets qui cristallisent certaines de nos tensions : comment penser, dire et vivre l’héritage colonial ? Quelles pratiques artistiques en ont émergé et continuent de l’interroger ? Comment articuler la multiplicité des identités à l’heure où les menaces communautaristes gangrènent les sociétés démocratiques ?
Pour questionner ces enjeux tout en soulignant leur complexité, La Colonie choisit de faire entendre des voix multiples. Pour son ouverture, elle recevait le théoricien de l’arte povera Michelangelo Pistoletto, puis des cycles de conférences dédiées aux grands penseurs de la condition noire (Frantz Fanon, Édouard Glissant). Plus récemment le lieu ouvrait ses portes au rappeur Kery James pour qu’il y commente les débats politiques avec ses invités tous issus des banlieues parisiennes.
L’approche de Kader Attia, loin d’être démagogue, est au contraire marquée par la volonté de réinvestir la poésie et l’émotion pour éclairer le champ politique. Comme si l’art était finalement le dernier moyen d’apaiser les craintes et d’exorciser les traumas. Car ne vous y trompez pas, La Colonie est certes une référence un brin provocatrice au passé colonial des nations européennes, mais le terme y est ici barré, comme pour souligner qu’il est nécessaire de tirer un trait pour avancer sur la voie de la guérison.
À VISITER
La Colonie, 128 rue La Fayette, 75010 Paris.
Crédit photo : Kristiansen
Cet article est paru dans la revue 10 de L’ADN : Pouvoir et contre-pouvoirs / Jeux d’influence. A commander ici.
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