pexels-nubikini-386000

Tourisme et IA : l’hospitalité à l’épreuve de l’algorithme

Avec Bpifrance
© Nubia Navarro

L'intelligence artificielle trouve peu à peu sa place dans le secteur du tourisme. Pour enrichir l'accueil, non s'y substituer. Lors d'une conférence organisée par Bpifrance, chercheurs et professionnels ont confronté l'engouement technologique aux réalités du terrain.
Alors que l'IA s'impose dans le secteur, peut-elle enrichir l'expérience touristique sans la dénaturer ? Laurence Devillers, professeure à Sorbonne Université et directrice de la chaire HUMAAINE au CNRS, pose une condition : penser des usages spécifiques, sobres et contextualisés. Même exigence pour Mila Striukova, professeure à SKEMA Business School spécialiste des technologies émergentes. Les professionnels s'accordent sur un principe : la technologie doit servir la relation client, non la remplacer.

Le piège de la standardisation

« Tant qu’on sera sur du génératif, on sera sur quelque chose d’inexact », avertit Laurence Devillers. Face à l’euphorie ambiante, elle rappelle que « le réel en tourisme, c’est une question de sensations, une reconnaissance incarnée et en contexte ». Or, l’IA actuelle, surtout lorsqu’elle repose sur les grands modèles de langage, fonctionne sur des statistiques majoritaires. Une logique du plus probable qui peut s’avérer contre-productive dans un secteur qui valorise justement l’inattendu, l’insolite, le rare.

Autre écueil : l’uniformisation des contenus. « La machine fait un fourre-tout, une combinaison de bribes de textes, d’images venues de partout. Il n’y a pas de responsabilité là-dedans, c’est à nous de trancher. » poursuit-elle. Selon la chercheuse, il faut résister à l’illusion d’un cerveau artificiel « meilleur que l’humain ». Sa recommandation : spécialiser les outils, encadrer les usages, et surtout, faire preuve de frugalité. « Créez des systèmes français. Protégez vos données. Et surtout : montez en compétence. »

L’IA répond aux demandes, pas aux désirs

Mila Striukova partage cette analyse. Si certaines tâches peuvent être automatisées, l’essentiel de la valeur touristique repose sur la dimension émotionnelle. « L’IA peut répondre à une demande, pas à un désir. » Elle insiste : remplacer l’humain, ce n’est pas innover. « Ce qui compte, c’est la manière dont on repense l’utilisation, pas l’outil en lui-même. » Et de rappeler que les souvenirs mémorables d’un séjour ne tiennent pas à un chatbot efficace, mais à un personnel accueillant, un petit-déjeuner offert, ou un conseil insolite sur un restaurant peu connu. Ainsi, elle appelle à sortir du fétichisme technologique : « Les chatbots, c’est super pour les actionnaires, plus rarement pour les clients. »

Les professionnels cherchent l’équilibre

Du côté des professionnels du secteur, l’approche est plus pragmatique. Mathieu Pollet est cofondateur de LoungeUp, une plateforme spécialisée dans la gestion de la relation client en hôtellerie. Pour lui, l’enjeu est simple : fluidifier l’expérience sans déshumaniser. « L’IA s’immisce partout, mais personne ne sait vraiment où elle innove. » Il prône une stratégie d’observation et de vigilance, avec un impératif : ne pas réduire les investissements humains. « Former les équipes à sourire, à accueillir, c’est aussi important que les former à utiliser l’IA. »

Loin de fantasmer une IA tout-en-un, il rappelle les fondamentaux : « Réserver un hôtel, ça coûte cher. Il faut un beau site, des photos engageantes, un moteur de réservation simple. L’IA ne remplace pas tout ça. » Elle peut en revanche optimiser la relation client, anticiper les besoins, renforcer la fidélisation.Julien Touraine, expert data chez The Hostels Network, partage cette vision. « L’expérience doit donner l’impression que le système comprend l’utilisateur comme un humain, sans effort manifeste. » Une forme d'empathie algorithmique qui amplifie l'hospitalité sans s'y substituer.
L'IA peut toutefois enrichir les points de contact avec le client, du site web aux réseaux sociaux, en passant par les messages post-séjour. Martin Soler, CMO de Shiji Group, y voit un levier stratégique pour façonner une marque cohérente et performante : « L’IA vous permet de construire et améliorer le tone of voice de votre marque. » De quoi rendre l'expérience plus fluide, plus personnalisée, sans jamais perdre de vue l'essentiel : la relation humaine.

Alors que certains rêvent de réceptions sans réceptionnistes, les professionnels convergent sur un constat : dans le tourisme, l’intelligence artificielle ne doit pas faire oublier l’intelligence humaine. Mila Striukova propose plutôt de penser une « I.H.A. », une hybridation raisonnée entre intelligence humaine et artificielle. Une alliance complémentaire, sobre et incarnée, où la machine libère du temps… pour mieux cultiver l’essence de l’hospitalité.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire