
Depuis janvier 2024, la philosophe spécialiste de l’hybridation Gabrielle Halpern est en résidence à la Cité de l’Économie et des Métiers de demain. Pendant un an, elle part à la rencontre des acteurs économiques qui inventent un futur du travail hybride, plus adapté à une société qui change.
À lieu hybride, approche hybride. Pour explorer le travail de demain, la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain (CEMD), lieu d’innovation, d’expérimentation et de prospective de la région Occitanie installé à Montpellier, fait appel à la philosophie. Pas n’importe laquelle. Depuis janvier 2024, Gabrielle Halpern, philosophe spécialiste du sujet de l'hybridation, est en résidence au sein de la Cité et part à la rencontre des parties prenantes d’un monde du travail qui se réinvente. L’ambition : « réfléchir le futur pour les générations à venir et irriguer un écosystème dont les membres ne se rencontrent pas facilement », présente Jalil Benabdillah, vice-président de la région Occitanie en charge de l'économie, l'emploi, l'innovation et la réindustrialisation. Chef d’entreprise de son état, il favorise l’autonomie et la flexibilité dans ses méthodes de travail, dit-il. Cette étude mobilisant la philosophie appliquée pour l’ancrer dans le réel permettra de « montrer que c’est possible », ajoute le vice-président de la Région, et pourquoi pas « nourrir les politiques publiques » des retours d’expériences glanés sur le terrain.
Repenser les relations contractuelles
Car les actions et expérimentations existent, assurent Jalil Benabdillah et Gabrielle Halpern, mais elles sont souvent isolées, voire empêchées. La philosophe donne l’exemple d’une crèche installée au sein d’une maison de retraite. La cohabitation intergénérationnelle est riche et tout se passe bien, mais les réglementations sanitaires ne sont pas les mêmes pour les deux publics : ils doivent donc emprunter une entrée différente, ce qui rend impossible la pérennité du projet. Un exemple parmi tant d’autres pour démontrer que la rigidité du système laisse peu de place à l’exploration de fonctionnements alternatifs.
Les acteurs du monde économique sont donc friands de ces expérimentations collectives et surtout rigoureuses. Car si l’imaginaire hybride est désormais possible – on comprend bien par exemple les tiers-lieux et leurs pluri-fonctions – c’est désormais dans les détails qu’il faut agir. « La question des innovations juridiques revient beaucoup, rapporte Gabrielle Halpern. Comment repenser les relations contractuelles ? »
Pour illustrer cet enjeu, la philosophe prend l’exemple réel d’une chargée d’entretien dans une maison de retraite. Le travail est difficile et la rémunération limitée ; le poste difficile à remplir. Lors de l’entretien d’embauche, l’une des candidates fait savoir au recruteur qu’elle est passionnée de chant. Ce dernier invente alors pour elle un poste hybride où la nouvelle employée pourra effectuer son travail d’entretien à mi-temps, et se former sur le reste du temps pour créer à court terme une chorale avec les résidents de la maison de retraite. L’employée est davantage épanouie dans son travail, elle apporte à la vie collective de la maison et les pensionnaires et leurs familles portent un regard plus bienveillant sur le travail d’entretien qu’elle effectue ; gagnant-gagnant. Ne reste qu’à formaliser au mieux dans un contrat cette flexibilité choisie.
Rationalité économique de la solidarité
Au-delà de l’approche idéaliste d’un monde du travail plus solidaire et adapté aux besoins de chacun, la Cité de l’Economie et des Métiers de Demain revendique une approche rationnelle. « Bien sûr, il y a une approche altruiste. Mais il y a aussi une grande rationalité économique, fait valoir Jalil Benabdillah. Si vous ne le faites pas de vous-mêmes, cela va s’imposer à vous. » Il cite par exemple l’emprunt à impact, dont le taux d’emprunt est indexé sur les performances extra-financières de l'entreprise comme les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Autre enjeu majeur sur un continent vieillissant, la situation des proches aidants. En permettant aux salariés de s’occuper sereinement de leurs proches, un chef d’entreprise s’assure plus de productivité et moins de turnover, fait valoir l’entrepreneur.
Un discours qui commence à porter dans les milieux économiques, assure Jalil Benabdillah. Mais il reste à faire. C’est bien le but de cette mission, et avant tout en montrant l’exemple, souligne Gabrielle Halpern. « Ces entreprises qu’on rencontre et qu’on observe, c’est un peu comme une proof of concept », image-t-elle. Une proof of concept pour montrer qu’en matière d’entreprise et d’innovation sociale, il y a bien plus que le télétravail.
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