
Longtemps abreuvée sans restriction, l’industrie française pourrait être secouée à l’avenir par des problèmes d’approvisionnement en eau dans un contexte de sécheresse et d’une consommation toujours croissante de la ressource. Face à ces défis, une watertech à la française s’organise. Entretien avec Romane Bilbault, responsable de l’accélérateur Eau chez Bpifrance.
Elle abreuve directement et alimente indirectement - grâce à l’agriculture - la population mondiale. Elle est l’une des garantes du bon fonctionnement de l’industrie. L’eau est un enjeu aussi bien politique et social, qu’économique. Et pourtant : « Du fait du changement climatique, la ressource en eau douce est de plus en plus variable, et évolue tendanciellement à la baisse. Sur de nombreux territoires, notamment en été, il n’y aura régulièrement pas assez d’eau pour satisfaire toute la demande », énonce Romane Bilbault, responsable de l’accélérateur Eau chez Bpifrance et une des expertes qui œuvre dans le cadre du projet Demain à documenter le sujet de la gestion de l'eau par les industriels français.
D’après l’Institut des ressources mondiales (World Resources Institute), près de 4 milliards de personnes vivraient déjà en situation de stress hydrique élevé. Une menace qui n’épargne pas la France (59e sur le classement de 164 pays). En 2017, sur les 208 milliards de m3 d’eau douce renouvelés chaque année, 32 milliards ont été prélevés pour alimenter les besoins des activités humaines. Sur ces 32 milliards, 5 n’ont pas été restitués aux milieux aquatiques - cours d'eau, lacs, étangs, milieux humides, estuaires ou lagunes. En outre, la multiplication des épisodes de sécheresses met en péril le rechargement des nappes souterraines, traditionnellement alimentées par les infiltrations d’eaux de pluie. C'est le cas, par exemple, dans les Pyrénées-Orientales où une sécheresse extrême qui perdure depuis 3 ans a poussé les nappes à leur plus bas niveau historique, entraînant une situation de crise de l'eau qui s'est pérennisée dans le Roussillon.
Eau Précieuse
Fort heureusement, tout n'est pas perdu, mais les difficultés grandissantes d'accès à la ressource impliquent de repenser nos modèles. En France, l’agriculture est ainsi le secteur le plus gourmand en eau (57 % de la consommation totale), devant l’eau potable (26 %), le refroidissement des centrales électriques (12 %) et l’industrie (5 %), d’après les chiffres du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Si elle ne constitue pas le secteur le plus consommateur, l'industrie n'en demeure pas moins vulnérable face à la raréfaction de l'or bleu. Elle utilise en effet beaucoup d’eau, nécessaire au refroidissement des pièces métalliques, au nettoyage ou au traitement de surface, notamment dans le secteur automobile. « Tous les industriels, sauf ceux du secteur de la production électrique, peuvent se voir imposer des réductions de leurs prélèvements en eau lors des épisodes de sécheresse, impactant directement la continuité de leur activité » , commente Romane Bibault.
Pour autant, « nombre de PME/ETI industrielles ne sont pas encore conscientes de ce risque », confie Romane Bibault. Cette méconnaissance s'explique par l'abondance historique de l'eau qui a longtemps rendu impensable toute rupture d'approvisionnement : « Le coût actuellement faible du mètre cube, entre 2 et 4 euros, contribue également à cette dangereuse inertie. Avec les pénuries qui s'annoncent, ce prix pourrait grimper jusqu'à 10-15 euros dans les années à venir. Il est urgent de sensibiliser les industriels au sujet. »
Less is more
La bonne nouvelle est que différentes mesures ont déjà été mises en place, émanant à la fois du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, de la Filière française de l’Eau, et de Bpifrance. L'objectif : soutenir le développement d’une watertech à la française, susceptible de proposer des solutions techniques à une meilleure gestion et protection des ressources en eau.
« Aujourd’hui, il y a environ 5 000 entreprises qui sont actives dans le secteur de l’eau pour un chiffre d’affaires total estimé à 22 milliards d’euros », énonce la responsable de l’Accélérateur Eau chez Bpifrance. L’accélérateur Eau, qui a accompagné une trentaine d’entreprises du secteur pendant 18 mois, vient justement de présenter sa 3ème promotion. Les entreprises accompagnées officient aussi bien dans le traitement, le stockage des eaux industrielles, leur réutilisation, mais aussi dans la collecte et la redistribution des eaux usées. Certains acteurs proposent également des solutions liées à l’optimisation du cycle de l’eau. « Jusqu’à présent, l’offre était plutôt resserrée autour de la problématique de la qualité de l’eau, commente Romane Bilbault. Mais pour anticiper les pénuries, la question de la quantité est désormais cruciale et des solutions émergent, notamment pour favoriser la sobriété hydrique et le recyclage ».
Bpifrance s’est également associée à l’ADEME pour permettre aux PME et ETI industrielles de piloter leur consommation d’énergie, de matière et d'eau, grâce au dispositif Diag Eco-Flux. Un outil qui permet d'optimiser efficacement ses dépenses énergétiques..., et d'améliorer sa rentabilité.
Ces mesures viennent à point nommé dans le contexte du plan Eau, initié en 2023 par le gouvernement français, qui fixe à 10 % la réduction des prélèvements en eau d’ici 2030 tandis que le pays a initié un grand mouvement de réindustrialisation. Or, on estime que les prélèvements de l’industrie ont diminué de 1,8 % par an entre 1995 et 2020 en raison du phénomène de désindustrialisation. Réindustrialiser reviendrait donc à « augmenter la consommation de l’eau par l’industrie », préviennent les experts Domitille Legrand et Olivier Lluansi dans une tribune parue dans le quotidien Le Monde. Pour eux, comme pour Bpifrance, le salut passera bel et bien par « l’amélioration des procédés et l’innovation technologique ».
Bel effort mais le problème 11 fois plus important en termes de consommation d’eau est l’agriculture ! Hélas les moyens publics mis en œuvre pour réduire ses besoins restent des plus réduits : l’incitation à des cultures économes en eau est insuffisante voire inexistante, la recherche plus que légère sur le thème, l’information aussi et les économies sur l’eau potable trop rares. Pourtant 57% de la consommation d’eau est concernée !
Bonjour, c’est excellent l’article, comme explication et très réfléchi.
Maintenant il FAUT AGIR… La mise en place des actions passera par les « 4 R » - Réduire - Recycler - Réutiliser et REFUSER le tout à l’égout (qui remplis les rivières, les mers et les océans)