Vers la ville régénératrice

Vers la ville régénératrice

© friche urbaine rue Jules Noutour à Lille

Gagner en résilience et en durabilité, pouvoir faire face à la raréfaction des ressources et aux aléas climatiques… Est-ce que la ville peut devenir régénératrice ?

De Singapour à Shangaï, de New York à Toronto, de Paris à Berlin, la mue écologique des métropoles est en cours. Mais malgré les efforts entrepris depuis plusieurs années pour faire baisser les émissions de CO2, ils apparaissent encore comme insuffisants. Les grandes agglomérations contribuent toujours à l'augmentation des températures et à la crise environnementale, et produisent massivement de la pollution et des déchets. Il y a urgence à faire évoluer le modèle actuel, et la ville régénératrice pourrait bien être une fort bonne option.

Nouvelles capacités urbaines

Dans un souci d'efficience, la ville régénératrice vise tout d'abord à mieux exploiter le bâti inutilisé – parkings et bureaux inoccupés, friches désaffectées. Il représente un gisement foncier particulièrement important, estimé en France à 75 millions de mètres carrés, soit les trois quarts de la superficie de Paris. Une réserve bienvenue à l’heure où, avec le ZAN (Zéro Artificialisation Nette), les métropoles manquent d'espace.

Pour autant, l'objectif désormais n'est pas seulement de rénover l'existant, mais de régénérer des actifs obsolètes dans une visée écologique, sociale et humaine. Symbole de ce changement, le groupe Nexity a lancé, en 2023, Nexity Héritage, sa filiale dédiée à la régénération urbaine, afin de « contribuer à façonner des villes plus résilientes, inclusives et agréables à vivre pour les générations présentes et futures. » Ainsi, début 2024, à Paris, dans le 7e arrondissement, Nexity Heritage a entamé la restructuration de l'ancien siège du Conseil régional de la région Ile-de-France pour en faire un site qui accueillera à la fois un centre d'affaires et une résidence pour étudiants.

Dans la même logique, la Société Publique Locale Lyon Part-Dieu va transformer, d'ici 2029, 300 000 m2 de bureaux en surfaces mutables pour créer un quartier créatif et solidaire, ouvert à toutes les activités et à tous les citadins. Autre exemple de cette nouvelle donne à Montpellier où, à l'initiative de l'ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), le quartier des Cévennes a été entièrement renouvelé pour proposer un vaste panel de nouveaux services aux habitants, et leur permettre de tisser de nouvelles relations entre eux.

Grâce à l'hybridation des usages et des populations, le tissu urbain devient plus dynamique, plus vivant et plus égalitaire, tandis que ce type d'opération permet de recourir aux matériaux bas carbone et aux sources d'énergie renouvelables. La ville régénératrice doit être un terrain favorable à la mixité sociale, à l'activité économique et à la baisse des émissions de CO2.

Résister au stress hydrique

Autre évolution notable, ce nouveau modèle est pensé pour préserver les ressources indispensables à la vie quotidienne des citadins, et de réduire tous les gaspillages. Il s'agit là encore de tirer parti de ce qui est présent sur le territoire. Cela vaut pour toutes les ressources en tension, et plus particulièrement pour l'eau, dont le déficit particulièrement marqué menace le fonctionnement des métropoles. En 2023, à Berlin, dans le quartier de Grünau, la municipalité a mis en place un ingénieux dispositif de récupération des eaux de pluies, qui s'écoulent désormais dans de gigantesques bassins pouvant stocker jusqu'à 3 millions de litres. Pour faire face au stress hydrique, la capitale allemande entend devenir une "ville-éponge" qui absorbe et renouvelle cette ressource au lieu de s'en débarrasser dans les égouts.

Dans la même dynamique, toujours en 2023, la métropole de Lyon a lancé le deuxième acte du programme "Ville perméable" qui prévoit, d'ici 2026, la désimperméabilisation de nombreux quartiers sur une superficie totale de 400 hectares, soit 10% de la surface de la ville, pour que les pluies puissent s'écouler dans les nappes phréatiques afin de les recharger. Par ailleurs, avec un aménagement similaire à celui de Berlin, le campus de Lyon-Tech-la Doua a mis en place de grands réservoirs d’infiltration qui retiennent l'eau de pluie, pour lui laisser le temps de pénétrer progressivement dans le sol.

Preuve de l'efficacité de ce type de dispositif, les nombreux aménagements "éponge" de Los Angeles, ont permis à la ville, en février 2024, de recueillir 32,5 millions de litres d'eau, soit suffisamment pour alimenter plus de 100 000 foyers pendant un an, lors d'un épisode pluvieux particulièrement intense qui n'a duré que trois jours.

Outre la capacité à régénérer les réserves hydriques, ce type d'agencement perméable absorbe en grande partie les inondations et les crues dans un contexte de multiplication des évènements météorologiques extrêmes et d'augmentation du niveau des océans, ce qui permet aux villes de mieux résister à ces phénomènes.

Renaturer différemment

La renaturation joue un rôle essentiel pour mettre en place un modèle urbain régénératif. Aujourd'hui, l'enjeu n'est cependant plus seulement d'étendre les espaces verts et d'augmenter le nombre d'arbres, mais de reconstituer des écosystèmes dynamiques, identiques à ceux que l'on trouve dans la nature, en sélectionnant des espèces qui interagissent entre elles et qui peuvent se reproduire spontanément en ville. Ce processus de réensauvagement vise à maximiser les services rendus par la végétalisation pour refroidir les bâtiments, ombrager les espaces publics et désimperméabiliser les sols, mais aussi pour restaurer des conditions climatiques agréables en améliorant la qualité de l'air et en atténuant les variations de température.

Pour parvenir à ce résultat, l'architecte Vincent Callebaut a imaginé, au-dessus de la Seine, entre les 12eme et 13ème arrondissements de la capitale, un prototype de passerelle recouverte par plus de 20 000 plantes, arbustes et arbres, majoritairement des essences à bois dur et à croissance lente - pins, cyprès, if, mûrier, aubépine, chêne, hêtre, charme, cormier, houx - et des végétaux disposant de trichomes au niveau microscopique - oreilles d’ours, clématites, molènes - qui peuvent, par une action conjuguée, capter à la fois les particules fines et le CO2 présent localement dans l'atmosphère, créant ainsi un microclimat sain, réoxygéné et rafraîchissant. À Séoul, dans le même esprit mais à une échelle plus large, le réensauvagement de la rivière Cheonggyecheon a permis, grâce à la création de six kilomètres de corridors verts, de faire baisser de 3 à 5 degrés la température dans la journée et de purifier l'air à l'échelle locale.

En reconstituant les écosystèmes et les relations symbiotiques qui existent entre les plantes, cette nouvelle façon de renaturer est également un atout pour préserver la biodiversité car, contrairement aux zones rurales, les villes sont épargnées par la déforestation, la destruction des habitats naturels, et la stérilisation des sols par les produits phytosanitaires, ce qui en fait des écrins propices au développement de la faune et de la flore. Elles peuvent, de ce fait, protéger les espèces qui sont en danger. C'est le cas des pollinisateurs, dont la survie est menacée partout dans le monde, comme en témoigne le déclin accéléré des abeilles mellifères, alors que ces insectes jouent un rôle essentiel dans la reproduction végétale, et donc dans l'alimentation humaine.

En 2023, pour favoriser leur préservation dans les métropoles, la Commission Européenne a conçu un "Guide pour les villes respectueuses des pollinisateurs" afin que les gestionnaires des sols puissent créer des aménagements favorables à leur épanouissement. En France, le Fonds vert, un dispositif d’aides financières pour la transition écologique des territoires, a notamment pour objectif de doubler la superficie des sites pouvant les accueillir et les sauvegarder.

Toutes ces initiatives visent à mettre en œuvre des environnements urbains qui régénèrent les biotopes et qui accélèrent la décarbonation.

Co construire la ville

La ville régénératrice est entièrement modelée au bénéfice des citadins, afin de leur garantir une meilleure qualité de vie et une meilleure résilience face au choc climatique. De ce fait, et afin d'éviter toute incompréhension, il est logique de les associer à la conception des dispositifs qui seront mis en œuvre. À l'heure de l'emballement climatique, la ville régénératrice entend pousser en avant ce nouveau pacte, celui de la co-construction avec les populations. C'est d'ailleurs de cette manière que le projet de renouvellement du quartier des Cévennes a pris forme.

Ainsi, avec un champ d'action bien plus large que les modèles précédents, la ville régénératrice propose une conception globale et révolutionnaire de la métropole de demain, plus inclusive et plus partagée, mieux armée face aux crises, intrinsèquement moins polluante, écologiquement et socialement dynamique. C'est un changement culturel majeur dans la façon de penser le rôle des villes qui, au lieu de dérégler le climat, pourraient demain être en mesure de le régénérer.

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