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Uber, WeWork, Theranos... Trois séries qui écornent les licornes

Les séries Super PumpedWeCrashed et The Dropout racontent les heurs et les malheurs de trois licornes de la nouvelle économie. Mais que disent-elles du monde des affaires contemporain ?

Les licornes se ressembleraient-elles toutes ? Pas vraiment. Mais un peu quand même si l’on en croit le récit que livrent trois séries. Super Pumped raconte Uber et sa stratégie de joueurs de poker ; WeCrashed, l’échec cuisant de l’entreprise de coworking WeWork, et The Dropout carrément l’escroquerie de Theranos qui œuvrait pourtant dans le domaine de la santé. Au cœur de ces trois histoires, trois leaders des temps nouveaux récitant le même mantra : « Fake it, till you make it ». À traduire, en gros, par : « Faites semblant jusqu’à ce que vous puissiez le faire ». Tous trois exercent à longueur d’épisodes leur force de conviction bien plus que toutes autres compétences. Jusqu’à essaimer leurs névroses et leurs mensonges : Travis Kalanick demande aux salariés d’Uber d’être avant tout des « trous du cul » capables de tout pour atteindre leurs objectifs tandis qu’Elizabeth Holmes de Theranos pousse les siens à mentir sciemment sur l’efficacité du produit.

Licornes ou bourriques ?

Ces trois séries documentent comment trois des modèles les plus en vue de la net économie ont échoué à s’implémenter dans le monde réel. Car le fake it ne résiste pas au monde réel. Cette seconde génération de géants de la tech semble n’avoir retenu de leurs prédécesseurs que leurs croissances exponentielles, sans frottement. C’est oublier que les Google, Facebook et consorts n’ont pas bâti leurs empires sur du fake. La chaîne logistique d’Amazon est redoutable d’efficacité, les produits Apple ne font pas que dans le beau. Certes Jeff Bezos et surtout Steve Jobs (qu'Elizabeth Holmes révère) se sont souvent comportés comme des mégalomanes caractériels, mais ils ont su délivrer des produits qui collent au marché, au moins autant et si ce n’est plus qu’à leurs rêves.

Diffusées par des plateformes qui sont partie prenante de l’aventure numérique, ces séries s’évertuent donc à nous présenter l’ivraie du capitalisme et sa galerie de portraits d’escrocs plus ou moins illuminés. Bref, les bourriques des licornes.

Est-ce qu’Adam Neumann (WeWork) est un dilettante inconséquent et Elizabeth Holmes (Theranos) une dissimulatrice pathologique ? Ou sont-ils simplement des gens qui ont trop cru aux vertus cardinales d’un monde libéral : le mérite individuel, la croissance, le profit et la conquête ? Qu’est-ce qui chez eux est si fascinant pour qu’ils soient parvenus à convaincre des investisseurs aguerris au business, au mépris des plus élémentaires logiques économiques ? Comment tout le système – médiatique et politique – a-t-il pu écouter ces entrepreneurs pitcher sans jamais remettre en cause leur storytelling à dormir debout ? Dans WeCrashed, seul un des investisseurs a la lucidité de dire à Neumann : « Tu ne fais pas la révolution, tu loues des bureaux avec du kombucha gratuit. »

Stream baby stream

Ces histoires de licornes au modèle improbable sont diffusées par des licornes au modèle parfois lui-même incertain (Apple TV+, Disney+, Starz ou Canal+). Ces plateformes de streaming ont pour métier de nous raconter de bonnes histoires en captant notre attention le plus longtemps possible. Les trois séries s’étalent donc sur 8 ou 9 épisodes. Soyons clairs, un film ou une mini-série aurait suffi. Du coup, leurs notes auprès des téléspectateurs ne sont pas à la hauteur des attentes qu’elles avaient pu susciter. On touche là la limite de cette amusante mise en abyme. C’est trop long. On assiste à des épisodes entiers qui illustrent les errements et la mégalomanie de leurs personnages principaux : sexisme et brutalité dans le cas de Travis Kalanick (Uber), messianisme halluciné et auto-aveuglement névrotique pour les deux autres… Avant que ces travers ne déclenchent leur chute, trois ou quatre épisodes plus tard.

Alors que toutes ces plateformes semblent chercher absolument à créer leur Bûcher des vanités 3.0, Netflix a préféré consacrer une série à Anna Delvey (Inventing Anna), cette fausse héritière voulant créer une fondation d’art contemporain à son nom pour intégrer la haute société new-yorkaise. Pas beaucoup de nouvelles technologies dans cette histoire, mais toujours et encore le même mantra qui semble bien être un de ceux de l’époque : « Fake it, till you make it ».

Super Pumped (Starz/Canal+)

Co-fondateur d’Uber, Travis Kalanick est un businessman agressif hanté par la peur de se faire voler sa startup par ses investisseurs, comme ça lui était arrivé avec son entreprise précédente. Il assume donc un positionnement de bad boy de la Silicon Valley : encourageant la compétition entre ses employés, admettant le sexisme de ses équipes, exploitant ses chauffeurs, et considérant toute réglementation comme un affront inadmissible à sa vision. Le tout, ironie de l’histoire, grâce aux conseils avisés de sa mère et de sa petite amie. Joseph Gordon Levitt (Inception, The Dark Knight Rises, Lincoln…) fait merveille en manipulateur speed et testostéroné. On ne sait d’ailleurs pas s’il s’impose ici pour remplacer Kevin Spacey (House of Cards) dans les rôles de méchants à Hollywood, ou s’il copie trop le jeu du même Spacey.

WeCrashed (Apple TV+)

Pour Jared Leto (Dallas Buyer Club, Blade Runner 2049…), c’est plus clair. Il y a longtemps que son étrangeté lui permet de jouer des personnages négatifs curieusement fragiles comme ici Adam Neumann, créateur de WeWork. Cette boîte de coworking qui s’étend sur tous les continents a été valorisée à plus de 50 milliards de dollars. Avant qu’on s’aperçoive qu’elle était structurellement déficitaire et que contrairement aux licornes du monde virtuel, il n’y avait aucune raison que ça s’arrange à terme. Partageant son mode de vie dispendieux, sa femme Rebekah, improbable actrice/ prof de yoga/ ambianceuse en chef de la boîte est parfaitement campée par Anne Hathaway (Le Diable s’habille en Prada, The Dark Knight Rises) ; elle le soutient dans son rêve fou de devenir le premier, voire le seul fournisseur de bureaux au monde. Rêve qui s’est arrêté net en 2019, avant même la pandémie et l’essor du télétravail, avec un article au vitriol en Une du Wall Street Journal. Il s’en est sorti avec un patrimoine de presque un milliard de dollars qui l’aide à relativiser son échec.

The Dropout (Disney+)

Alors qu’elle n’est qu’en deuxième année à Stanford, Elizabeth Holmes imagine une machine portative qui permet de faire analyser son sang à partir d’une simple goutte. Quinze ans plus tard, elle a levé des centaines de millions et parade à la une des magazines et au bras des people, devenant même membre du conseil d’administration de la faculté de médecine d’Harvard, un comble lorsqu’on a lâché les études. Mais sa société, Theranos, n’est pas parvenue à sortir la moindre analyse concluante. Et son aventure s’est terminée par un procès retentissant suite auquel elle encourt toujours 20 ans de prison. Elle s’obstine aujourd’hui encore à répéter comme un mantra qu’elle n’a pas vraiment trompé son monde mais échoué à délivrer à temps. Amanda Seyfried (Mamma Mia!, Twin Peaks, Mank…) donne sa fragilité ambiguë à ce personnage dont on ne sait jamais si elle se laisse manipuler par son mentor et amant ou si elle le manipule comme tous les autres.

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