
Les pratiques sportives intenses, comme les ultra-trails, ont la cote. Mais après quoi courent leurs adeptes ?
Six jours de course non-stop, à peine deux heures de sommeil par jour, pour parcourir 360 kilomètres au cœur des Alpes suisses, en avalant une dizaine de cols et 26 000 mètres de dénivelé. La Swiss Peaks 360 est ce qu’on appelle un « ultra-trail », ces courses à pied qu’on pratique en milieu naturel sur de très longues distances. Ici, en plus de la distance, il y a l’ascension : la Swiss Peaks 360 équivaut à neuf marathons et à neuf ascensions du mont Blanc. Un défi hors norme qui mène le corps et l’esprit au bout du bout de leurs capacités. Albert Meige, entrepreneur parisien, raconte dans Kilomètre 360 (éditions Paulsen, 2025) cette expérience extrême qui séduit de plus en plus d'amateurs.
Six jours à courir seul, c'est long. À quoi pensiez-vous pendant cette course ?
Albert Meige : On est éveillé la plupart du temps, donc on pense à beaucoup de choses. Je n'ai jamais autant pensé à mes filles jumelles ! Quand le corps n'en peut plus, l'esprit prend le relais. On atteint un état de relaxation mentale inhabituel, presque inédit. On entre dans un état de conscience modifiée, en raison de l'extrême fatigue. C'est très bon pour la créativité, pour développer des idées.
La course à pied en montagne sert-elle votre activité professionnelle ?
A. M. : Je vois beaucoup de liens entre le monde de l'entreprise et la montagne, qui est un milieu intrinsèquement incertain et dangereux. D'autant plus avec l'ultra-trail : le danger est exacerbé par la grande fatigue. Quand on est décideur, on fait des choix qui sont parfois des questions de vie ou de mort pour l'entreprise. Malgré les incertitudes, on est obligé de continuer à décider et à agir. En pratiquant la randonnée ou la course en montagne, je me suis construit des cadres d'analyse qui me servent dans le milieu professionnel, et vice versa.
Vous avez un exemple ?
A. M. : Dans le livre, je raconte un accident qui nous est arrivé à ma femme et moi. Lors d'un séjour en Norvège arctique, d'où elle est originaire, nous avions prévu de randonner jusqu'à un sommet. Comme nous avions peu de temps, nous y sommes allés alors que la météo n'était pas idéale. Ma femme s'est cassé le tibia. Nous étions dans un voile blanc complet, il faisait -20 degrés. Il y avait un risque de complication et d'hypothermie pouvant entraîner la mort. En montagne, il faut rester ensemble. J'ai dû violer cette règle de sécurité classique. Je l'ai laissée seule pendant un certain temps pour aller chercher un sac de couchage. En montagne et dans l'entreprise, j'identifie deux leviers : l'anticipation et l'adaptation. En complément, il y a trois compétences clés : la résilience, l'intuition et le jugement. Cette dernière, c'est la capacité à prendre des décisions circonstancielles, en fonction des conditions très spécifiques du terrain et de sa propre expertise. C'est ce qu'on retrouve en entreprise, quand les taxes d'import changent ou en cas d'instabilités géopolitiques, par exemple.
Le récit de la course est ponctué d'anecdotes sur vos précédents défis sportifs. Vous tirez des leçons de chaque expérience. Qu’avez-vous appris ?
A. M. : On apprend des choses sur soi-même : comment je réagis au stress, à la fatigue… On apprend des choses sur ses pratiques : comment gérer la prise de décision. Le troisième niveau est plus méta : quel mécanisme je mets en place pour m'assurer que je retiens la leçon. Apprendre de ses erreurs, c'est difficile. Tant que l'erreur ne porte pas préjudice, on n'apprend pas. L'accident avec ma femme, on aurait pu l'éviter. Maintenant, on fait de manière systématique un post mortem après chaque randonnée hardcore. On a une grille et on note : Qu'est-ce qui a bien et moins bien fonctionné ? Qu'est-ce qui aurait pu mal se passer ? C'est une méthode d'analyse qui peut servir dans le monde de l'entreprise.
Dès l'ouverture du livre, vous racontez un épisode délirant en fin de course. Vous parlez aussi de troubles cognitifs, de troubles de la mémoire. Ce genre d'épreuve a-t-il des effets sur le cerveau ?
A. M. : C'est lié au manque de sommeil, car il joue un rôle important pour fixer les souvenirs. J'ai observé plusieurs types de bizarreries. J'ai des périodes de black-out. J'ai complètement oublié huit heures de la course. J'ai aussi une pièce en trop. Je me revois sous un chapiteau en train de manger de la polenta et ça sent les pieds. Je n'arrive pas à replacer ce souvenir sensoriel très précis dans la chronologie. Avec la fatigue, les capacités cognitives s'effondrent. Tout devient compliqué, même les tâches les plus simples. Il y a une dissociation entre le corps et l'esprit. Parfois le corps avance de manière automatique et l'esprit se met en sommeil. Parfois le corps n'en peut plus et l'esprit le pousse dans ses retranchements. Je ne suis pas dualiste, mais c'est une bonne façon d'éprouver le dualisme cartésien.
Avant la Swiss Peaks 360, vous avez signé une déclaration de responsabilité qui atteste que vous avez conscience des risques de blessure pouvant même entraîner la mort. C'est un risque que vous êtes prêt à prendre ?
A. M. : La montagne est un milieu qui peut être hostile, donc il y a toujours un risque d'accident, de décès. Par ailleurs, on compte sept fois plus d'accidents chez les hommes que chez les femmes, donc je me sens particulièrement concerné. Le risque est moindre en compétition, car tout est organisé. Enfin, je dis peut-être ça pour me rassurer ! Mais le risque existe dans toutes les pratiques sportives.
Qu'est-ce qui vous attire dans ce genre de défi ?
A. M. : Je fais depuis toujours des randonnées très longues et très dures. J'aime bien les défis, car ils permettent de fixer un objectif. C'est ma passion pour la montagne qui m'a amené au trail et à l'ultra-trail. J'ai fait une première course de 100 kilomètres en Norvège arctique à travers les montagnes, en autonomie, pas en compétition. Ça faisait dix ans que j'avais monté ma boîte. A posteriori, je me suis demandé si ce n'était pas une façon de m'évader. En faisant cette traversée, j'ai découvert de nouveaux états mentaux et émotionnels intéressants que j'ai eu envie d'explorer. L'exploration, c'est ce qui m'a conduit à courir.
La pratique de la course à pied a explosé. En France, on compte 12,4 millions de coureurs, dont 1,4 million d'adeptes du trail. Comment analysez-vous cet engouement ?
A. M. : Je pense qu'il y a une volonté commerciale de pousser vers le trail. C'est un relais de croissance pour l'industrie – les marques de nutrition, d'équipement, etc. Le marché du ski, même s'il continue de monter, va irrémédiablement décliner. Il y a aussi une course à la performance exacerbée par les plateformes comme Strava. C'est à celui qui fait le plus vite, le plus long. Dans le monde du trail, j'ai vu des formes d'addiction assez surprenantes. Des trailers qui s'entraînent malgré des blessures ou au détriment de leurs relations familiales et sociales. Pour ma part, j'ai fait quatre compétitions, et la Swiss Peaks 360 était mon dernier dossard. Je ne suis pas très grégaire. Ce que j'aime en montagne, c'est la solitude et la contemplation. J'ai un regard assez critique sur les compétitions d'ultra-trail. Elles facilitent une pratique qui est très dure physiquement et mentalement, mais beaucoup de coureurs ne connaissent rien à la montagne.
Dans votre récit, vous mentionnez les aventures sportives avec votre femme et vos filles. Pourquoi est-ce important de partager ça en famille ?
A. M. : Avec ma femme, on partage la même passion pour la nature et les activités difficiles, c'est le ciment de notre couple. J'imagine que ça crée des tensions quand ce hobby n'est pas partagé. Bien sûr, on a adapté les expériences aux filles. Les défis sportifs se sont transformés en défi pour nous : comment rendre ça passionnant pour elles ? Les enfants sont beaucoup plus résistants qu'on ne le croit. Elles ont bivouaqué sur la neige pour la première fois quand elles avaient à peine 3 ans. Maintenant, elles suivent leurs propres chemins.
À LIRE : Albert Meige, Kilomètre 360, Éditions Paulsen, 2025
La course à pied médiatique, et en particulier l'ultrafond médiatique, est de plus en plus comique. Et les acteurs médiatiques sont de plus en plus crédibles.
Bravo pour cette expertise. Néanmoins, ne pensez vous pas qu'il soit preferable d'apprendre à deplacer ses limites plutot que de trop s'en approcher ou de les depasser? En montagne cela conduit à l'accident voir à la mort. Que pensez vous d'une approche ou accueillir sa vulnérabilité permettrait de trouver sa vraie puissance plutot que de rester dans la toute puissance?
Belle soirée à vous
Benoit
Grande relaxation mentale ... mais avec des troubles cognitifs !
La course à l’échalote de la c......e ...
Mr MEIGE évoque des épreuves extrêmes mais il existe avant d'aborder ces épreuves, d'autres épreuves un peu plus courtes, comme de 30 à 80 km par exemple et avec un dénivelé de quelques centaines à quelques milliers de mètres. Elles sont logiquement accessibles après avoir couru de 10 à 20 km avec dénivelé. Toutes ces épreuves, si elles n'ont pas trop d'inscrits, permettent de courir seul à certains moments et de profiter des paysages. De plus, leurs coûts d'inscription sont plus modestes. Donc avant d'aborder des épreuves extrêmes, il faut cultiver son expérience personnelle dans ces épreuves, présentes sur l'ensemble du territoire français.
pour la dissociation du corps et de l'esprit, les hallucinations sont très courantes en ultra-trail même si la 1_re fois çà peut faire peur et être très bizarre même si pour en avoir il n'y a pas besoin d'aller sur une telle course mais "juste" 170 km avec 10 000 D+ voir beaucoup moins peuvent suffire à cause de la fatigue physique + mentale + manque de sommeil.
rien que sur l'UTMB j'en avais eu dès la 1ère nuit donc après moins de 12h d'effort puis presque non-stop durant la 2ème nuit et de nombreux coureurs ont eu des hallucinations sur cette course qui dure moins de 48h dnas un environnement beaucoup moins sauvage que la SwissPeak 360
Pure connerie que ces défonces absurdes pour gogos.