Le sigle de terrorgram sur un mur de briques blanches

Terrorgram : les réseaux terroristes d'extrême droite veulent mener un « Djihad blanc »

Sur Telegram et Signal, ils s'inspirent des méthodes de Daech pour enclencher une guerre civile et faire advenir une société suprémaciste.

« Le canal privé est prêt. Pour les vérifications, voilà l'exemple de candidature à m'envoyer. » Pour intégrer le canal en question, il faudra spécifier son âge, sa région, et envoyer une photo de sa main tenant un papier où est écrit « les Aryens français. »

Voilà quelques-unes des démarches à suivre pour intégrer l'une des 5 chaînes Telegram où se retrouvent près de 4500 néonazis français très remontés. Leur objectif : faire advenir une société organisée en fonction de la race. Depuis plusieurs années, le reporter indépendant Ricardo Parreira infiltre, cartographie et étudie l'extrême droite extraparlementaire. Dans Reflets, journal d’investigation en ligne, il livre les résultats d'une glaçante enquête sur l'essor du Terrorgram : les messageries cryptées où l'on discute en toute décontraction ventes d'armes, attentats et nettoyage ethnique. Surveillées par la DGSI, ces chaînes ouvertement terroristes nourrissent un agenda bien précis : contrecarrer le « déclin civilisationnel » et imposer une société dominée par les Blancs.

Les « boucles brunes » de Telegram

« Les terroristes suprémacistes français sont en roue libre depuis la dissolution de l'Assemblée. Avec les résultats du premier tour des législatives, cela part dans tous les sens, et sur Telegram l'obsession d'une guerre civile est de plus en plus palpable », affirme Ricardo Parreira dans une interview donnée à L'ADN. En ligne, la mouvance autoproclamée Terrorgram (néologisme composé de terror, terreur en anglais + Telegram) appelle à l'« autodéfense nationaliste ». Parmi les chaînes concernées, celles des groupes FRDeter et Division Aryenne Française. Là, le ton est très vite donné : éloge de la « race blanche », appels à « casser du bougnoule » et systématiser les ratonnades, incitations aux assassinats d'élus, fichage ou doxxing de personnalités de gauche, et fantasmes génocidaires. Les formules antisémites, suprémacistes et néonazies abondent. Parmi eux : les slogans américains « white boy summer » (l'été du garçon blanc), « white rural rage » (haine rurale blanche), ou encore la devise allemande invitant à la déportation « Ausländer raus » (dehors les étrangers).

À coups de montages photos, les idoles de ces internautes sont érigées en mèmes et en saints : le terroriste norvégien Anders Behring Breivik responsable de la tuerie de l'île d'Utoya au large d'Oslo de 2011 et l'australien Brenton Tarrant coupable du massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande en 2019. Dans leur manifeste rédigé en ligne, tous deux affirment vouloir lutter contre le « grand remplacement », théorie complotiste élaborée en 2011 par l'essayiste français Renaud Camus.

Capture d'écran issue du Terrogram français récupéré par Ricardo Parreira

« Il s'agit pour eux de déployer en Europe les techniques militaires et modes opératoires de Daech pour se débarrasser de toutes personnes considérées comme un ennemi : les migrants, les "étrangers", les LGBTQA+ et les militants de gauche. Leur plan est clairement tracé : mener des actions terroristes de sabotage pour créer des pénuries, générer des pertes financières, stimuler une crise économique et sociale débouchant sur le chaos et l'effondrement de la société pour, ensuite, la reconstruire sous un régime néonazi totalitariste », explique Ricardo Parreira à L'ADN. Dans sa série d'enquêtes publiée sur Politis, la chef de rubrique Nadia Sweeny analyse plusieurs occurrences devenues emblématiques de la mouvance française. Tout d'abord, le cas de Nicolas N., condamné en 2021 à 9 ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste. En 2015, il écrit sur Facebook : « Le terrorisme du style Daech : il ne nous reste que ça. (...) En prenant certaines villes moyennes, l’économie de l’État va s’écrouler. Tu laisses faire le travail.  (...) Si t’as plusieurs villes, ça bougera : c’est ce qu’ont fait les jihadistes en Irak. » Ensuite, le projet WaffenKraft, mené en 2018 par une cellule terroriste impliquant un jeune gendarme adjoint volontaire et mêlant références nazies et fascination pour Daech et Al-Qaida.

Les origines de Terrorgram

C'est aux États-Unis que la sphère Terrorgram se met peu à peu en place à partir de 2017 afin de renforcer les communications entre des groupes accélérationnistes militants. Parmi eux : des groupuscules issus du forum Iron March, plateforme néonazie et néofasciste fondée en 2011 et dissoute 6 ans plus tard ; The Base, organisation paramilitaire accélérationniste formée en 2018 par Rinaldo Nazzaro qui continuerait de diriger l'entité depuis la Russie ; et Atomwaffen Division, réseau terroriste néonazi développé en 2013 et responsable d'une vingtaine d'assassinats dans le monde, et première entité occidentale à revendiquer le droit de mener « un Djihad blanc » et une « charia blanche ».

« Le mouvement Terrorgram a connu différentes itérations en fonction de la naissance ou du démantèlement des groupes, mais le but était de constituer un réseau informel d'une multitude de chaînes et de canaux Telegram diffusant une esthétique, des manifestes et des écrits communs », explique Mathieu Colin, spécialiste des idéologies extrémistes. Parmi ces écrits : Siege, série d'essais écrits dans les années 80 par le néonazi américain James Mason, l'un des premiers pamphlets faisant l'apologie des tactiques accélérationnistes terroristes, le manifeste The Great Replacement du terroriste Brenton Tarrant baptisé en hommage à l'essayiste français, manuels d'instruction pour mener des attaques, manier des armes ou construire des explosifs. Et bien sûr, toute une ribambelle de propagandes visuelles, présentant les « Saints » de la mouvance. En plus des terroristes Anders Breivik et Brenton Tarrant encensés sur le Terrorgram français, la frange américaine de la sphère met en avant d'autres figures : Adolf Hitler, Timothy McVeigh, terroriste et vétéran de l'armée américaine exécuté en 2001, Dylann Roof, responsable du meurtre de 9 Afro-américains à Charleston en Caroline du Sud, ou encore Oskar Dirlewanger, dirigeant d'une brigade SS qui aurait reçu de la part d'Himmler « carte blanche pour violer, piller, torturer et massacrer » en Europe de l'Est. Lentement mais sûrement, Terrorgram internationalise et essaime son modèle, notamment avec la naissance de la Sonnenkrieg Division au Royaume-Uni, ou de la Feuerkrieg Division dans les Pays baltes, des groupes inspirés par Atomwaffen.

Capture d'écran issue du Terrorgram américain
Capture d'écran issue du Terrorgram américain
Capture d'écran issue du Terrorgram américain

Concrètement, quelles actions violentes sont directement imputables à Terrorgram à ce jour ? Selon Mathieu Colin, Payton Gendron, coupable de l'attentat de Buffalo dans l'État de New York en 2022, aurait été largement inspiré par Brenton Tarrant ; Juraj Krajčík, responsable la même année de l'attentat de Bratislava, citait explicitement Terrorgram. Le projet d'attaque des centrales électriques de Baltimore en 2023 par Bandon Russell, fondateur d'Atomwaffen, aurait lui aussi été influencé par le réseau. « Pour l'instant, l'objectif est certes de radicaliser et d'inspirer des actes de violence, mais surtout de désensibiliser par rapport à l'emploi de la violence ou à ses conséquences. Il ne s'agit pas de radicaliser l'ensemble de la société, mais bien de pousser sa communauté, des gens déjà acquis à la cause, à procéder à des actes violents, par le biais du partage, de l'utilisation ou la glorification de l'ultra-violence, notamment djihadiste, puisque ces réseaux sont en effet fascinés par la force de l’esthétique de Daech ou Al Qaida », analyse le chercheur. « Le forum Iron March ne comptait que quelques milliers de membres, mais leur travail de propagande a ruisselé sur différents groupuscules et organisations d’extrême droite dans le monde », rapporte Ricardo Parreira à L'ADN.

Avant Terrorgram

Au Royaume-Uni, le ministère de l’intérieur britannique entendait en avril dernier faire interdire les différents canaux du Terrorgram, désigné comme « un réseau de terroristes néofascistes », indique Le Monde. En France, le ministère de l'Intérieur recensait en mai 2023 une dizaine d'attentats terroristes déjoués depuis 2017 liés à des groupuscules d'extrême droite, faisant de la mouvance la seconde menace après les attentats islamistes. Une situation alarmante qui ne s'est pas produite ex nihilo, et serait notamment alimentée par les discours des partis politiques. Dans son enquête, le reporter précise : « L'extrême droite parlementaire et ses programmes politiques ne reposent sur rien d'autre qu'une traduction sémantique des idéologies défendues par les franges les plus radicales de l'extrême droite depuis plus de cinquante ans. Les termes comme "guerre civilisationnelle", "submersion migratoire" et, bien évidemment, la "préférence nationale ou le "grand remplacement" sont des exemples frappants du transfert idéologique qui s'opère entre l'extrême droite parlementaire et extraparlementaire. »

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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