
The Life of a Showgirl, le nouvel album de Taylor Swift fait un carton. Pourtant, il a déçu une partie de ses fans. Mais quoi qu’il en soit, la pop star confirme son statut de plus épatante meneuse de communauté du monde.
Encore un album numéro un aux États-Unis pour Taylor Swift ! The Life of a Showgirl, douzième opus de la queen de la pop est sorti le 3 octobre dernier et a décroché des records : 1,4 milliard d'écoutes en streaming, 135 millions de dollars de revenus – rien que sur la première semaine selon Bilboard. Mais derrière ces chiffres mirobolants, l’indéfectible communauté des fans se fissure : 200 000 d’entre eux se sont désabonnés de ses réseaux sociaux pour exprimer leurs désaveux. Sur 750 000 millions, ce n’est pas grand-chose. Mais pas rien non plus. Comment réagit Taylor, la plus grande meneuse de commu’... ?
La secret sauce Swift : le pacte parasocial
On ne devient pas mégastar mondiale de la pop par hasard. Et dans cette catégorie ultrapremium, chacune arbore sa spécialité. Beyoncé, qui talonne Taylor à la deuxième place du podium, a inventé la "pop haute couture" avec des expériences exclusives réservées aux élus. Taylor Swift, elle, a bâti son empire sur l’authenticité et la proximité avec ses fans – les fameux Swifties. Ils adorent sa musique et son talent d’autrice – selon eux, elle est une poétesse à la mesure d’un Dylan. Mais ce qui les touche au-delà de tout, c’est l’irrésistible effet miroir que provoquent ses textes. Taylor Swift chante tout haut ce que toute une génération vit tout bas. « Elle, c’est la copine de lycée qui a réussi. Tu sais bien qu’elle est montée à la ville et qu’elle a tout fait mieux que toi. C’est pas grave, tu es fière d’elle, et tu sais qu’elle aussi, elle en bave », résume Elodie, 29 ans, fan de toujours.
Ce lien-là ne date pas d’hier. Taylor Swift l’a tissé dès le départ quand en 2005, chevelure blonde en cascade, elle animait son premier cercle d’admiratrices sur Myspace. Elle répondait toujours aux messages, elle organisait des pyjama parties chez elle pour des concerts entre copines. Elle se voulait la petite fille de l’Amérique « normale ».
L'impératrice de l'Easter Egg
Taylor Swift est surtout une publiposteuse de génie. Elle a le parasocial dans la peau. Elle ne poste pas, elle raconte, elle crée une vibe, un récit. Et dans cette interminable conversation qu’elle entretient avec ses Swifties, chacun de ses disques tient lieu de révélation. Ses chansons livrent les codes de l’univers qu’elle a alimenté en ligne pendant des mois, bien avant leurs sorties. En plus du « vu à la TV », Taylor maîtrise le « Previously on Instagram… ». Elle est l’impératrice de l’Easter Egg – ces indices qu’elle cache partout – dans ses textes, ses photos, ses shows… et qui transforment ses fans en traqueurs de sens passionnés, en exégètes capables de discourir des heures sur les hypothèses les plus farfelues. Les Swifties se doutaient bien, par exemple, que la porte orange apparue pour la première fois dans le dernier tableau du dernier concert de la dernière tournée de Taylor et par laquelle la star a quitté la scène, ouvrait sur quelque chose d’autre – quelque chose d'énorme. Forcément. Oui mais quoi ? Les hypothèses ont tenu en haleine la communauté pendant des semaines avant de s'étioler. Les discussions se sont ré-enflammées quand le nouvel album est sorti et qu'il a dévoilé sa couleur, vous l’avez devinée : orange, bien sûr, comme cette foutue porte.
Quand l'effet miroir se fissure...
Mais pourquoi le fandom prétend avoir été massivement déçu par cette « vibe » orange (et paillette) ? Les reproches se cumulent. Un marketing outrancier – 38 versions de son album, des centaines de goodies cher et bas de gamme, de multiples partenariats avec des marques (des magasins Target à Starbucks en passant par Uber Eats, Insomnia Cookies…) jusqu’où TS va-t-elle pousser le racket de ses fans ? Des textes moins inspirés – TS se serait-elle mise à écrire avec l'IA ? Un usage poussif de l'argot GenZ – TS, 35 ans, serait-elle devenue une millennial vieillissante ? Mais au cœur des reproches, les fans ne sentent plus le lien qu’ils ont tissé avec la chanteuse débarquée de Nashville, malmenée par ses pairs et qui partageait avec eux les mêmes états d’âme.
Taylor Swift a écrit les douze chansons de cet album pendant son gigantesque Eras tour, tournée mondiale de 150 dates qui a généré 2 milliards de dollars de bénéfices. Ce contexte de tournée la plus lucrative de l’histoire de la musique explique sans doute pourquoi les fans voient le fossé se creuser entre leur quotidien et celui de leur star. Désormais, quand Taylor prétend rêver d’un pavillon avec « une allée et un panier de basket » (dans sa chanson Wish List), ils ont du mal à croire en la sincérité de l’artiste, milliardaire et pluri-propriétaire.
Le coup du séquoia, la métaphore qui ne passe pas
Et puis Taylor est amoureuse. Et elle en fait un peu trop autour de son bonheur. Depuis juillet 2023, elle s’affiche au bras de Travis Kelce, joueur de football américain. Épaules larges, jambes bien campées, mâchoire carrée, Taylor Swift nous en dit plus sur ce physique avantageux dans sa chanson Wood où elle use de la métaphore du séquoia pour vanter l’appareil génital de son amoureux. «Un séquoia, ce n'est pas difficile à voir – Son amour était la clé qui m'a ouvert les cuisses... » On a entendu pire en matière de crudité..., mais cette confidence non sollicitée a été jugée en-deçà des qualités d’écriture attendues de Taylor.
Au-delà de tout, c'est ce que la star n'évoque pas qui fait débat. Taylor paraît ignorer les tumultes de son temps : rien sur la situation politique de l’Amérique, rien sur la guerre de Gaza, pas un mot pour le climat... Les inquiétudes de sa génération sont juste absentes. Au contraire, Taylor flirte avec les codes de la tradwife prête à tout sacrifier pour son homme. Une sortie à l’émission de Jimmy Fallon a enflammé la toile. Taylor déclare avoir renoncé à chanter sur la pelouse du Super Bowl où l’équipe de Travis Kelce allait jouer, minimisant sa performance par rapport à celle des joueurs de football. Un aveu de soumission qui paraît d’autant plus absurde à sa communauté que Taylor domine son homme et par sa fortune personnelle et par l’intérêt populaire qu’elle suscite.
Bref. Les fans ne s’identifient plus – l’effet miroir se fissure.
L'art de faire parler quand on ne veut plus rien dire
Les médias le savent, Taylor Swift est le plus gros attrape-clics du moment. Page Six, média américain qui décortique la vie des people, écrit tous les jours plusieurs articles sur elle et lui attribue jusqu’à 10 % de leur audience totale. Pourtant, Taylor Swift n’est pas du genre à se raser la tête ou à blasphémer. Son incroyable particularité : arriver à faire parler d’elle sans jamais franchir aucune ligne rouge. Elle sait comme personne entretenir - en même temps - l’image de la fille d’à côté, encore simple et encore accessible, et celle de l’icône, mystérieuse, qui ne se prononce que par énigmes.
Alors que la culture troll s’impose partout, avec ce pénible besoin d’imposer les discours les plus clivants pour occuper tout l’espace, Taylor Swift use d'une tout autre stratégie. Elle laisse ses fans se dépatouiller dans un millefeuille d’hypothèses. Est-ce que Taylor a basculé du côté républicain ? Peut-être que oui. Prône-t-elle une vie de tradwife ? Peut-être que non. La réponse pourrait être entre les deux, ou un peu des deux. Ou carrément ailleurs. C’est ce « pas très clair » qui permet d'agiter les esprits, mais sans jamais aller jusqu'à rompre.
Quand elle annonce la sortie de son nouvel album, c’est dans le podcast que son copain anime avec son frère – tout simplement, à la cool et en famille. Elle tient le micro pendant plus de deux heures, un débit d'eau tiède mais distrayant, pour finir, au bout d’une heure et demie, par révéler la pochette de son nouveau disque. Le tout a généré un demi-milliard de vues – Taylor se la jouant à la fois comme tout le monde et phénoménale comme personne. C'est là l'exploit qui confirme que TS est bien plus que la petite showgirl qu'elle prétend être. Elle est – et demeure – la plus grande meneuse de revue capable de faire danser 750 millions de fans.







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