
On l’imagine fluide dans son genre et ses relations, libérée des normes de la monogamie, voire du désir sexuel. Loin des clichés, la vie affective des moins de 25 ans est-elle si différente de celle de leurs aînés ? Pas si sûr.
Les jeunes ne baisent plus : c’est ce qu’on peut lire à longueur d’articles, de sondages en enquêtes d’opinions. Celle qu’on nomme la génération Z, soit les moins de 25 ans, ne serait pas intéressée par la sexualité. D’après une enquête IFOP de février 2024, plus d'un quart des 18-24 ans initiés sexuellement n'ont eu aucun rapport sexuel au cours de l'année écoulée. Une véritable « récession sexuelle », causée par les écrans et des mœurs dissolues. Octave, 17 ans et futur étudiant en psychologie, semble pourtant plutôt rangé. En couple exclusif depuis un an avec une fille qu’il a rencontrée au lycée, il estime que, grâce à la vision de la sexualité « plutôt décontractée » de sa famille, il ne s’est jamais senti mal à l’aise avec ce sujet. « Nous savons que c’est important et que ça ne doit pas être tabou, je pense que cela m'a aidé », témoigne-t-il.
Sans tabou et sans non-dits
Pour Martin non plus, 15 ans, lycéen, la sexualité n’est pas un sujet de tension : « Ma mère n’a jamais eu de tabou pour m'expliquer certaines choses. Quand j'étais enfant, elle m'a expliqué l'homosexualité sans intolérance. Arrivé au collège, pareil pour des sujets comme les IST, le préservatif, le consentement… », se rappelle-t-il. D’après lui, cela lui a permis de continuer ses recherches en ligne. « Je pense qu’il est plus simple de parler de sexualité et de relations amoureuses, aujourd’hui. Ma mère m’a dit que ses parents n’en parlaient jamais », ajoute Gabrielle, 18 ans et étudiante en communication. Selon une enquête menée par OpinionWay et les Apprentis d’Auteuil en octobre 2023, 63 % des jeunes de 16 à 20 ans déclarent s’informer sur la sexualité auprès de leurs proches ; et 42 % des garçons et 29 % des filles regarder du porno pour en apprendre plus sur le sexe. Une prévalence de la pornographie qui vient remplir le vide des séances d’éducation à la sexualité, pourtant obligatoires dans le parcours scolaire depuis 2001. « Nous sommes dans une période où il y a beaucoup d’informations, et il faut les aider à faire le tri »,constate Marion Ghibaudo, animatrice de prévention de l’association Egalilal.
L’after #MeToo
Les moins de 25 ans ont surtout vécu un moment majeur dans le domaine de l’intime : le phénomène #MeToo. « Je pense que ça m’a fait prendre conscience du nombre de victimes. C’est là qu’on se rend compte que ça arrive tous les jours à plusieurs femmes. Je me disais, au lycée : “si ça se trouve, j’ai croisé 10 hommes qui ont déjà agressé des femmes” », raconte Gabrielle, qui assure pourtant avoir toujours confiance dans la gent masculine, « je suis juste plus sur mes gardes ». Pour Martin, MeToo est un combat qu’il soutient et qui lui a ouvert l’esprit. « J’essaye d’apprendre des choses aux autres garçons, car je sais comment on pense et comment on est conditionnés. J’ai envie que les femmes se sentent à l’aise », ajoute le lycéen.
Mais si la plupart des jeunes interrogés connaissent le mouvement #MeToo, beaucoup estiment avoir été trop jeunes pour en saisir l’ampleur, et les plus jeunes ne sont malheureusement pas exclus des statistiques de violences sexistes et sexuelles. Louna, 17 ans, a ainsi vécu plusieurs années de relation « très toxique » avec un garçon de son âge, qui l’a poussée à avoir des relations sexuelles avant son entrée au lycée. « Je suis une grande lectrice, et je pense que ça a influencé ma vision de l'amour et de la sexualité. Par exemple, je pensais que c’était mon rôle de “sauver” mon ex qui n’allait pas bien, ou tous les clichés un peu dangereux qu’on peut retrouver dans la romance », explique-t-elle.
« L’implication du numérique a fait évoluer plein de choses, en bien ! »
Pour autant, l’essor des questions féministes et LGBTQIA+ dans l’espace public et sur les réseaux sociaux a eu de l’impact. « J’ai découvert le féminisme "moderne" sur les réseaux sociaux, post-MeToo, et ça a eu une influence sur ma vision des relations », pense Louna, qui y a notamment découvert sa bisexualité. « L’implication du numérique a fait évoluer plein de choses, en bien ! Les jeunes ont un plus large vocabulaire lié aux questions LGBTQ, aux questions de genre… », remarque Marion Ghibaudo dans ses interventions. Ainsi, Louane, 17 ans, en couple depuis trois ans avec une fille, considère qu’elle a appris à appréhender les relations amoureuses grâce à certains comptes sur les réseaux sociaux. « Avec l’aide des conseils que certains couples donnent, et les republications que ma copine peut faire, je peux comprendre aussi ce qu’elle aime. » Une influence des écrans parfois critiquée par les adultes. « Ils se comparent mais ils oublient que chaque génération se fait influencer par des références culturelles. Les mœurs changent et heureusement, surtout quand on voit certaines blagues de l’époque… », soupire Martin.
Masculinistes : « Leurs propos sont plus extrémistes sur les réseaux que dans la vraie vie. »
Pourtant, les espaces en ligne ne sont pas tout roses : entre cyberviolences et propagation de fausses informations, le poids des algorithmes est lourd. « Depuis deux ans, on se retrouve face à des discours qui peuvent aller jusqu’à du complotisme, un retour à une remise en question de l’égalité entre les sexes, entre les races », s’inquiète Marion Ghibaudo. Une inquiétude que partage le Haut Conseil à l’Égalité, qui dans son rapport de janvier 2024 sur l’état du sexisme en France alertait sur la propagation des idées masculinistes chez les jeunes hommes, en ligne mais aussi hors ligne. « Autour de moi, pas mal d’hommes véhiculent des propos très stéréotypés, LGBTphobes, sexistes… Mais la plupart du temps leurs propos sont plus extrémistes sur les réseaux, car dans la vraie vie ils assument moins. Certains trouvent ça plus stylé d'être un connard qu'être engagé et progressiste », analyse Martin. « Les filles sont plus féministes et sensibles aux questions queers que les mecs de mon âge. Après, je n'ai pas l'impression que les garçons soient plus conservateurs qu'avant. Ils sont moins informés et intéressés que les filles sur certains sujets, mais ça ne me semble pas pire que les générations précédentes », nuance Louna. Les questions d’égalité apparaissent toujours centrales, même pour une génération que l’on pensait débarrassée de ces interrogations.
« Je ne me vois pas dans une relation trop fermée. »
En juin 2024, l’Institut national d’études démographiques (Ined) publiait une étude intitulée « Couples, histoires d’un soir, sexfriends : diversité des relations intimes des moins de 30 ans ». On y apprenait que chez les jeunes « le couple y occupe une place centrale mais coexiste avec des histoires éphémères et des relations qui brouillent les frontières entre amitié et sexualité ». Le couple monogame n’a pas disparu et a toujours un rôle de pilier chez les jeunes générations. « Je pense qu'aujourd'hui il y a une multitude de visions de l'amour et de la sexualité qui coexistent. Ce n'est pas plus simple parce qu'il y a plus de choix, moins de modèles uniques, mais du coup chacun peut trouver ce qui lui convient », estime Louna, qui a par exemple découvert le concept de polyamour sur les réseaux sociaux. « C’est quelque chose qui continue de m'intéresser et qui, après cinq ans d'une relation possessive, inspire mes futures relations. Je ne me vois pas dans une relation trop fermée, et je sais que, tant que la situation est équilibrée, je n'aurai pas de problème à ce que mon/ma partenaire voie d'autres personnes », ajoute la jeune fille de 17 ans.
« Je crois que certaines choses n’ont pas beaucoup bougé »
Si des modèles alternatifs existent, l’intervenante d’Egalilal Marion Ghibaudo tient à nuancer. « Sur les questions de couple, je crois que certaines choses n’ont pas beaucoup bougé : les fantasmes liés à l’amour passionnel, des modèles hétéronormés… Par exemple, quand on se met ensemble, c’est pour la vie. Ces injonctions sont posées par les adultes, et ce sont des modèles qu’on retrouve même dans la fiction, où le garçon est autoritaire et la jeune fille, douce et fragile. » Des modèles qui font « accepter la violence », souligne Marion Ghibaudo, regrettant le manque d’histoires d’amour plus inclusives et égalitaires.
Les injonctions de genre auxquelles peuvent faire face les plus jeunes n’ont pas beaucoup changé non plus. « J’ai l’impression d’être soumis à une image de l’homme qu’on voit dans les pubs, grand, fort et musclé », déplore Martin. Louane, quant à elle, soupire en évoquant les réflexions que sa mère inflige à sa copine, « pour qu’elle s’habille moins comme un garçon ». Des injonctions que certains déconstruisent, comme Gabrielle. « Je suis toujours moi-même, quitte à être critiquée parce que je rote, que je parle fort en ne croisant pas toujours les jambes. Parfois, après coup, je me dis "ah ! t’as parlé super vulgairement, c’est pas joli dans la bouche d’une fille" alors qu’en fait je peux parler comme je veux », rigole-t-elle.
Alors, la génération Z est-elle si atypique dans ses relations amoureuses ou sexuelles ? Pas vraiment. « Ce qui me rassure, c’est que ce sont des jeunes qui se posent plus facilement et rapidement la question des violences, du consentement, du respect », constate Marion Ghibaudo. Une génération tout en paradoxe, qui revalorise l’amitié et les relations plus libres tout en s’ancrant sur le couple monogame et les stéréotypes de genre. Une jeunesse, qui, à la différence de ses aînées, reçoit un flot continu d’informations sur la vie affective et sexuelle…, ce qui peut l’aiguiller, si elle évite de se noyer dedans.
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