bureau futur

JH/JF rech. bureaux du futur désespérément

Avec Onepoint
© FB via Midjourney

Quel est le futur du travail ? Bien malin celui ou celle qui pourrait répondre avec certitude à cette question, tant ses corollaires sont nombreux et profondément liés aux évolutions de notre société. On relève pourtant le défi, avec des experts du cabinet de conseil Onepoint. 

On pourrait aborder la tentaculaire question du futur du travail par sa dimension physique : celle de l’évolution du bureau. Longtemps l’espace privilégié du travail, il n’en est aujourd’hui qu’un parmi d’autres : la maison, l’espace de coworking ou même l’outil de visioconférence. Le bureau de demain plonge entreprises et travailleurs dans d’intenses réflexions : doit-il être plus virtuel ? Décentralisé, voire délocalisé ? Quelle place les outils technologiques doivent-ils y prendre ? L’IA va-t-elle devenir un collègue à part entière ? Et quelle place accorder à la productivité et à l'engagement de chacun dans tout ça ? 

Christelle Nédélec, directrice de mission transformation des organisations et nouvelles pratiques de travail, et Hugo Deschamps, ethnologue et expert en transformation culturelle et leadership, deux experts de Onepoint, ont accepté de répondre à nos questions en forme de chasse aux poncifs. Pas la peine de toquer : la porte du bureau de demain est toujours ouverte. 

Le 100% télétravail tue-t-il la productivité ?

Hugo Deschamps : L’être humain découpe le réel, nous sommes des êtres qui abordons le monde de façon classificatoire afin de mieux nous y mouvoir, afin de définir le dedans et le dehors, ce qui est et ce qui n'est pas. Jusqu’à récemment, il y avait lieu de travail et lieu de vie, qui n’étaient pas les mêmes. Aujourd’hui, on se retrouve avec des frontières brouillées entre ces espaces. Et cela remet en question beaucoup d’aspects de notre rapport au travail. 

Cela étant dit, la valeur productive ou non du télétravail peut varier en fonction de la nature même du travail, la culture de l’organisation, son rapport à l’autonomie, à la confiance, à la délégation. Ensuite, c’est lié aux caractéristiques de chacun : certains employés vont être plus productifs quand ils sont dans une forme de distance et dans leur espace à eux. D’autres, au contraire, vont se réaliser davantage dans les interactions régulières. La nature des tâches peut aussi jouer dans le rapport au télétravail, pour favoriser la concentration par exemple. 

Maintenant, si l’on se pose la question des avantages et inconvénients, bien évidemment que le temps que l’on ne passe pas dans les trajets peut être investi dans le travail. La flexibilité et l’autonomie du télétravail permettent de mutualiser son temps personnel et professionnel - même s’il ne faut pas non plus brouiller les espaces qui sont à la fois des lieux de vie et de travail. 

L’inconvénient, c’est que le 100% télétravail, malgré les outils, est moins producteur de facteurs permettant de développer la collaboration. Chez Onepoint, on a construit des espaces qui favorisent l’informel et la rencontre. Si l’on est pas sur site, il y a potentiellement moins de co-création ou de rencontres fortuites qui permettent de créer de nouvelles offres ou propositions de valeur. 

Christelle Nédélec : Le 100% télétravail ? Pourquoi pas mais surtout pas à tout prix. Cela ne peut pas correspondre à toutes les structures. Ce qui est essentiel, c'est d'organiser le télétravail en fonction des pratiques, des activités, de la culture de l'entreprise. Un conseil pour tous ceux qui s'interrogent sur la mise en place : il est nécessaire de se questionner sur les activités dites télé-fragiles et celles qui, au contraire, ont tout intérêt à être pratiquées en télétravail. La création, le maintien du lien entre les employés font partie des activités télé-fragiles. Qu’est-ce qui pourrait être mis en difficulté dans un contexte de 100% télétravail ? Il faut se poser la question pour pouvoir s’adapter et trouver des solutions.

Manager mieux, c’est manager moins ?

Christelle Nédélec : Pour moi, manager mieux, c’est manager de manière plus pertinente et juste. Il y a plusieurs dimensions importantes. La première est liée à personnalisation : le manager est là dans un but précis, celui d’accompagner au mieux ses collaborateurs et leur donner le cadre nécessaire. Nous sommes tous différents et le meilleur des managers sera d’abord celui qui saura s’adapter aux éléments de contexte et à son collaborateur. C’est aussi celui qui sait s’écouter lui-même et rester aligner avec ses valeurs. La notion de “justesse” est vraiment importante ici. 

Ensuite, il y aussi la question du vouloir et du pouvoir manager mieux. Vouloir, c’est par exemple accepter de céder certains rôles - on associe souvent au manager la dimension du contrôle. Quelle autonomie veut-on laisser au collaborateur pour qu’il soit plus productif ? Peut-on laisser plus d’autonomie au manager pour qu’il soit meilleur dans son rôle ? Que veut-il lui-même ? La culture de son entreprise lui permet-elle d’évoluer dans sa fonction ? Vouloir et pouvoir, ce sont deux conditions importantes pour un management plus pertinent. 

Hugo Deschamps : C’est très variable. Nous n’avons pas tous les mêmes attentes et les mêmes besoins dans la relation de manager ou de managé, si je puis dire. Certains collaborateurs ont besoin d’avoir un cadre très précis, d’autres moins. Il n’y a pas d’absolu dans ce domaine-là. On peut concevoir qu’il y a deux dimensions dans la relation manager-collaborateur : la première, c’est que différents accords cadrent la relation de manière très explicite dans ce qui est pris et donné de parts et d’autres de la relation. Le contrat de travail, le règlement intérieur, l’accord de branche, etc. 

Mais il y aussi des non-dits et implicites dans la relation qui vont au-delà du contrat de travail. Il s’agit des attentes et des besoins spécifiques propres à chaque collaborateur et à chaque manager. Et on a tout intérêt, pour clarifier cette variabilité du besoin, de venir expliciter ces attentes de telle sorte que l’on dépasse une nature de relation transactionnelle - céder une part de sa liberté sous forme de temps de travail pour recevoir une rétribution pécuniaire - pour être dans une relation qui transforme et permet d’évoluer sur des ressorts profonds, intrinsèques. On peut considérer cela comme une forme de contrat de collaboration entre manager et collaborateur - quelque chose qui va dans le sens du besoin de la personnalisation de la relation managériale, l’une des tendances de l’époque dans l’organisation du travail. C’est une opportunité à la fois pour le collaborateur et le manager d’évoluer dans leurs fonctions. 

Un autre élément : le besoin d’avoir des collaborateurs “autonomes et responsables”, qui est souvent exprimé par les entreprises, n’est pas traité au bon niveau. Pourquoi ? Nous avons des clients qui expliquent communiquer sur ce sujet, en l’intégrant par exemple à leur charte de valeurs. Mais au niveau des collaborateurs, cela ne se traduit pas dans les pratiques quotidiennes car les conditions de l’autonomie et de la responsabilisation ne sont pas en place. Par exemple, quand on regarde l’organisation, on se rend compte qu’il y a de très nombreux niveaux hiérarchiques au sein desquels les décisions opérationnelles sont l’objet de demandes auprès de multiples réseaux hiérarchiques. Bref, les modes de fonctionnement eux-mêmes entraînent une forme de déresponsabilisation et de déficit d’autonomie. Il faut être vigilant sur ce type d’injonctions contradictoires et regarder l’entreprise comme un système dans lequel il peut y avoir de la dissonance. Il est important d’être congruent entre l’intention et ses conditions de réalisation.

La Gen-Z est-elle si différente des autres dans son rapport au travail ? 

Hugo Deschamps : Je pense qu’elle est différente sur au moins deux points. La première, c’est le rapport à l’autorité ou au management au sens statutaire du terme. Il y a une forme d'horizontalisation des rapports sociaux, influencée notamment par les réseaux sociaux où chacun peut donner son avis sans aucune considération de hiérarchie. On retrouve cette horizontalisation dans le rapport au travail, sur le statut et le titre notamment. Ceux-ci ont beaucoup moins de valeur pour cette génération. 

La seconde différence, c’est celle des vecteurs d’engagement et d’attractivité des collaborateurs. Il y a un plus grand intérêt envers l’engagement sociétal de l’entreprise. Dans le regard de cette génération, l’entreprise n’est plus seulement un acteur économique mais doit devenir un acteur social sur les sujets de diversité, d’inclusion et d’écologie. Ce sont des critères qui sont scrutés et peuvent être un deal maker ou deal breaker. 

Christelle Nédélec : Oui et non ! Le rapport au travail reste très important et source de motivation. Mais l’origine de la motivation est différente des générations précédentes. C’est une génération qui a un avis très marqué et affirmé sur son employeur ou les personnes qu’elle souhaite rejoindre dans le monde professionnel. 

Je pense que cette génération est différente sur la notion d’appartenance. Elle se sent plus proche d’une mission ou d’un projet que d’une entreprise. Je choisis de rejoindre telle ou telle entreprise parce qu’elle est engagée sur ce sujet ou ce type de missions. Alors que dans les générations précédentes, il y avait une certaine fidélité ou un sentiment d’appartenance à l’entreprise. Le nom de l’entreprise était cité dans les conversations - aujourd’hui on va citer le type de missions sur lesquelles on travaille. 

Le collaborateur augmenté par l’IA est-il une chimère ?

Hugo Deschamps : Si on fait un pas de côté, on réalise que les êtres humains sont des êtres de significations. Ils ont la maîtrise de la fonction symbolique, à savoir le langage et ce que cela permet en termes de création de collectifs sociaux d’appartenance. 

Mais nous sommes aussi des êtres d’outils, dans le sens où nous sommes constamment en train de créer des outils pour démultiplier nos capacités cognitives et physiques, la voiture, le téléphone portable ou le piano par exemple. Et l’IA s’inscrit là-dedans. On pourrait penser que c’est une rupture, mais c’est une continuité dans cette façon qu’à l’être humain d’être dans l’extension de soi via ce qu’on pourrait appeler des prothèses matérielles ou cognitives. Elle permet à certains égards d’être plus productif, voire de générer des idées que nous n’aurions pas eu par nous-même, traiter des masses d’informations de façon plus effective, etc. L’IA augmente donc l’humain cognitivement. 

Mais elle augmente aussi d’une autre manière, à laquelle on ne pense pas spontanément. Tout cet espace, cette nature de tâches comme la productivité ou l’efficacité, ne recouvre pas le champ de ce qu’est un être humain dans toute sa richesse et sa complexité. L’humain augmenté demain, c’est aussi l’humain augmenté dans ses soft skills et son relationnel. L’IA n’est pas créative en soi, n’a pas d’intuition, ne pense pas dans un corps et n’a pas d’esprit critique ou de capacité d’influence.

L’augmentation du collaborateur de demain est aussi liée à sa capacité à se développer sur ces dimensions. La valeur de l’humain au travail va concerner des enjeux qui ne sont pas couverts par l’IA en termes d’attributs proprement humains. Je ne saurai pas vous dire si l’IA va toucher tous les métiers, en revanche ce que je vois venir, c’est que tous devront s’interroger sur leur valeur travail.

Christelle Nédélec : Il faut considérer l’IA comme un outil qui sera un accélérateur de temps. Un outil qui va faire partie de notre quotidien et qui doit nous questionner, notamment sur la question des softs skills. Plus il y a de technologies, plus la dimension humaine est attendue. Personne n’a envie d’être entièrement dans le virtuel, donc il y aura assez naturellement une augmentation de la dimension humaine pour créer un équilibre. 

Il y a certains métiers qui vont être plongés dans ce sujet de manière forte et à court terme. Les questionnements au sein des entreprises sont souvent les mêmes : est-ce que cela peut m’être utile dans mes missions ? Comment l’implémenter ? Faut-il réfléchir à l’IA dès aujourd’hui ? Comment l'IA va modifier nos métiers ? Qu'est-ce qui va être vraiment remplacé ? Ce sont des questions très génériques mais beaucoup d’entreprises en sont à ce stade d’interrogations.

Pour moi, la seule erreur serait de camper sur ses positions, et penser que dans cinq ou dix ans les choses n’auront pas évolué. Le monde change et c’est important pour les entreprises de s’interroger, se poser des questions, regarder ce qu’il se fait ailleurs. Tout en restant sincère avec ce qu’elles sont et sans paniquer face à ces chamboulements. Il faut y aller pas à pas et se fixer des étapes, tant pour les sujets liés à l’IA et la technologique que pour celles liées aux modalités de travail. La notion de qualité est extrêmement importante pour évoluer, parce que cela crée de la confiance, mais aussi des réflexes et des mécanismes pour continuer d’avancer dans le bon sens. 

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