Une série de cartes Pokemon

« Grading » : ce nouveau métier qui régule notre passion pour le vintage

© Thimo Pedersen

Depuis la pandémie de Covid, le business des cartes Pokémon fleurit. Derrière cette tendance, un métier méconnu est devenu un rouage essentiel. Plongée chez ceux qui authentifient et assurent la « gradation » de ces cartes.

Depuis son lancement au Japon en 1996, la Pokémon Compagnie a écoulé plus de 30 milliards de cartes à jouer. Si les enfants restent le cœur de cible, l’engouement pour la collection de petits bouts de carton colorés a gagné les jeunes adultes. Ces derniers ont ajouté au plaisir de la collection celui de la spéculation avec des cartes pouvant valoir plusieurs milliers d’euros. Mais pour attribuer sa valeur à une carte, il faut passer par une étape essentielle, celle de la notation, ou du « grading » comme on dit dans le milieu. Et c’est le job de PCA Grade que nous avons rencontré.

Bienvenue dans le circuit de la notation

Il faut sonner à l’interphone, se faufiler jusqu’au fond du hall de cet immeuble du XVIᵉ arrondissement de Paris, pour accéder à une porte blindée siglée du logo de l’entreprise. Dans la petite entrée, des vitrines exposent des cartes de collection scellées dans leurs écrins individuels. On trouve des cartes Magic, Dragon Ball Z, One Piece…, mais surtout Pokémon. À l’approche du bureau d’accueil, le sac d’une cliente en est rempli : près d’une centaine de cartes, en vrac, dont l’état et la qualité de conservation seront évalués dans de petites salles inaccessibles au public et aux allures de laboratoires de police criminelle.

Dans le studio de notation des cartes de collection PCA Grade, dont Pokémon représente 90 % du travail, 6 000 à 8 000 cartes sont ainsi mensuellement scrutées par les « noteurs », afin de leur attribuer une note de 1 à 10, voire 10 + dans le cas d’une carte parfaitement neuve et bien imprimée. Après la livraison par les clients, le circuit est bien huilé : double notation à l’aveugle (le deuxième noteur ne connaît pas la note du premier), validée ou non par le chef noteur qui attribue la note finale à la carte. Les coins, les bords et la surface sont passés au peigne fin à l’aide de puissantes lumières pour déceler la moindre rayure ou le plus imperceptible cornage. L’illustration est elle-même carrément digérée par une IA pour s’assurer de son parfait centrage sur la carte. Un travail de précision qui séduit les amateurs, et fait de PCA une référence de la notation dans le milieu.

Sur les 500 cartes notées chaque jour, 400 sont certifiées et scellées. « Le but est de donner une note à la qualité de la carte, et pas une valeur », insiste Julien*, 33 ans, ancien noteur chez PCA, et collectionneur Pokémon depuis la sortie des premières séries à la fin des années 90. « Certains clients veulent juste apporter un bel écrin à leur carte, tandis que d’autres sont des spéculateurs purs et durs. »

1 200 euros pour un Pikachu

Ces spéculateurs surfent en effet sur un phénomène qui fleurit depuis le Covid et les confinements successifs. La hype autour des cartes de collection a été dopée et alimentée par des influenceurs comme Michou ou Squeezie qui se sont mis à ouvrir des boosters (des petits emballages contenant plusieurs cartes aléatoires), et « le prix des cartes a explosé après la pandémie », raconte Julien. Effectivement, entre 2019 et 2021, les ventes de cartes vintage ont explosé de 574 % rien que sur le site eBay. Depuis, les nouvelles éditions – ou « séries » – sont épuisées en seulement quelques jours et régulièrement, « les cotes monstrueuses » incitent à acheter davantage pour revendre encore plus cher. Le phénomène touche tous les types de profils, de l’acheteur très occasionnel au client de plus en plus connaisseur.

Dans la série sortie en novembre 2024, une carte alternative de Pikachu neuve a atteint la valeur de 1 200 € avec une note de 10, de quoi attirer tout un réseau de professionnels qui veulent manipuler le marché. Après s’être coordonnés, ils revendent à prix d’or des cartes hautement estimées et dont ils épuisent ensemble les stocks. Il faut aussi prendre en compte le trafic de contrefaçons. « Sur 5 000 cartes, peut-être que 50 sont fausses », estime Julien au doigt mouillé. Un nombre néanmoins modéré et maintenu stable, expliqué par la facilité à reconnaître les fausses cartes. Motif holographique, impression, verso de la carte… « On le voit en une demi-seconde », assure l’ancien noteur. Qui voit parfois passer des clients qui se sont fait rouler.

Mépris de classe

Outre les manipulations de marchés menées par des professionnels bien rodés, des particuliers en tous genres spéculent aussi. Les puristes les appellent les « scalpeurs », et ils sont plutôt mal vus dans la communauté Pokémon. Une défiance qui agace le noteur, pour qui ce clivage est ridicule et démontre plutôt un caprice de privilégiés. Car parmi les spéculateurs particuliers se trouvent aussi « des jeunes qui veulent juste arrondir leurs fins de mois ». Julien dénonce sans détour que « dans un contexte social et politique très compliqué où les classes précaires sont encore plus précarisées et les riches encore plus riches, il y a presque un mépris de classe », orchestré par les collectionneurs privilégiés aux frais de ceux qui essaient de s’en sortir. « C’est très culpabilisant », martèle-t-il encore.

Au-delà de ces divisions, le business des cartes de collection continue de prendre de l’ampleur, au risque de saturer le marché. La dernière série de cartes qui sort ce mois de janvier 2025 connaît déjà des ruptures de stock. « Les gens sont de plus en plus nombreux à vouloir leur part du gâteau, mais le gâteau ne grossit pas », philosophe Julien.

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