
Une simple règle de trois pourrait nous aider : apprendre mieux, aimer plus, agir vraiment. Explications.
Entre l'inflation, l'emballement des inégalités, le réchauffement climatique, les tensions géopolitiques, les guerres... ce ne sont pas les crises qui manquent. Mais sommes-nous préparés à les affronter ? Ou devrait-on, pour résoudre nos problèmes, changer les modes de pensée qui les ont engendrés ? Selon Nicolas Escach, maire adjoint de la ville de Caen, directeur du Campus de Caen (Sciences Po Rennes), et Alexandre Beaussier, directeur de l’innovation du cabinet Humans Matter, c'est clair : il est temps de modifier nos méthodes. Explications.
Extension du domaine du cognitif : apprendre de 1001 manières
Au moment où les savoirs sont disponibles en quelques clics, que les IA génératives peuvent les agréger, changeons nos méthodes d'apprentissage.
- Dès l'école, nous avons appris à mémoriser des savoirs afin de les restituer dans une logique de « je sais » ou « je ne sais pas ». Mais apprendre ne passe pas seulement par nos capacités de mémorisation, nos compétences logico-mathématiques ou verbo-linguistiques. Pour comprendre un sujet, d’autres canaux peuvent être activés : l’intuition ou l’émotion par exemple... Par ailleurs, apprendre a pour but non pas de réciter pour obtenir une bonne note, mais de comprendre. Et on le fait d’autant mieux en mobilisant toutes nos formes d’intelligence.
- Travailler avec d’autres permet d’envisager un sujet sous des angles très différents et de mieux saisir sa complexité. Pourtant, si on survalorise les personnalités capables de répondre vite en imposant leurs visions du monde, on apprend peu à échanger les points de vue, à réfléchir ensemble, à être non pas dans la démonstration rhétorique, mais dans l’activation d’une réflexion ouverte qui aborde en profondeur les questions.
Exemple : À Sciences Po Rennes (Campus de Caen), dans le cadre d’un projet à déployer sur une ville, Nicolas Escach a demandé à ses étudiants de rencontrer toutes les parties prenantes : les citoyens, les élus, les entreprises... Pour restituer les résultats de leur enquête, ils ont écrit et joué une pièce de théâtre devant les personnes qui avaient consulté, permettant ainsi à tous de mieux comprendre le sujet et d’envisager ensemble des solutions.
Réhabilitation de l’affectif : aimer son sujet
Doit-on aimer son travail pour mieux le faire ?
- L’amour déplace des montagnes. Certes. Mais a-t-on besoin « d’aimer » un sujet pour mieux l'aborder ? Pour Nicolas Escach et Alexandre Beaussier, envisager un travail uniquement sous la forme de rapports ou d’analyses chiffrées ne peut pas suffire. Le terrain, la rencontre des acteurs..., donnent plus d’ampleur aux réponses. Et décuple l’intérêt qu’on porte à la question.
- Prendre un vrai plaisir à comprendre des environnements qui ne sont pas le nôtre, c’est réaliser qu’on peut trouver beaucoup de satisfaction dans l’expérience inconfortable du déplacement : « Ça ne m’intéressait pas et maintenant ça me passionne. » C’est aussi reconnaître sa capacité d’ouverture, qualité par ailleurs indispensable à tout exercice de transformation.
Exemple : Pour étudier la question des océans avec ses étudiants, Sciences Po les emmène en mer. Une expérience physique, directe, avec les éléments, mais aussi avec les acteurs des industries de la pêche, de l’énergie, des migrants..., autant de contacts qui amplifient l’étude en salle de cours. Beaucoup d’étudiants développent un tel intérêt pour ces sujets, qu’ils décident d’en faire leur métier.
Vers le conatif, et au-delà : savoir qu'on va passer à l'action
Comment impulser le désir de faire ? Au-delà de la compréhension des phénomènes, savoir qu’on peut avoir un impact...
- Selon la théorie sociocognitive du psychologue américain Albert Bandura, l’envie d’agir se met en place quand on a la conviction qu’on peut avoir un impact sur soi, sur les autres, sur le monde. En clair, si tout le monde se sent écrasé par le système, persuadé "qu'on ne peut rien y faire", personne ne s’engage à le changer.
- Beaucoup de nos actions sont tournées vers le process : je fais tourner le système en mode automatique. Je rédige des comptes rendus, des analyses, des rapports... Cela est parfois utile. Mais cela peut favoriser la sclérose du « je ne me pose pas de questions, j’applique, je maintiens », au détriment de la dynamique « je perçois, je comprends, je rectifie... » qui permet aux organisations de changer.
Exemple : Pour valider des compétences, souvent, les étudiants rendent une copie qui sera notée. À Sciences Po, on leur demande de produire un contenu qui sera partagé : un podcast, une conférence, un manifeste... Il s’agit non pas d’obtenir une note, mais d’être en lien avec les acteurs du sujet et de générer un effet.
Cet article est paru dans le numéro 34 de la revue de L'ADN, que vous pouvez vous procurer chez votre libraire ou en cliquant ici.
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