
Éviter le mot viol. Des accusés qui utilisent la voix passive. Beaucoup de silences. Et des surperlatifs qui disent combien nous avons du mal à nommer avec justesse l'inacceptable.
Deux mois après le retentissant procès Mazan, Mathilde Levesque, docteure en langue et littérature françaises, a choisi de se pencher sur les discours des différentes parties entendues pendant les trois mois d'audience : minimisation des faits, inversion des rôles et difficulté à prononcer le mot viol… L'autrice livre son analyse dans l'essai Procès Mazan, une résistance à dire le viol (éditions Payot, parution le 5 mars). Interview.
Dès le début du procès, le président de la cour veut parler de scènes de sexe, et non de viols. La victime Gisèle Pelicot refuse et insiste justement sur ce terme de viol. Pourquoi cet évitement ?
Mathilde Levesque : L'évitement n'a pas les mêmes enjeux selon les personnes qui l'utilisent. En ce qui concerne les propos de Roger Arata (le président de la cour criminelle du Vaucluse, ndlr), c'était au début du procès. En fait, il y avait deux tensions contradictoires portées par les vidéos d'un côté, et de l'autre côté, le respect de la présomption d'innocence. La cour a souhaité en respecter le principe et ne pas utiliser tout de suite le nom du crime dont il s'agit d'évaluer si les accusés sont coupables ou non. Par contre, pour les accusés qui sont les premiers à savoir ce qu'ils ont fait et dans quelles conditions, le fait de ne pas employer le mot viol relève d'un autre enjeu. Cela consiste à détourner le mot, donc à contourner la réalité, compte tenu des implications lourdes qui sont associées à la prononciation de ce mot. Certes, la matérialité des faits est évidente et n'a pas été remise en question. Mais dans le Code pénal, il faut à la fois la matérialité et l'intentionnalité. C'est pour cela que la parole était fondamentale dans ce procès, car tout reposait sur la parole des uns et des autres, puisque la matérialité n'était pas soumise à débat. Le procès s'est joué sur la force des mots du début à la fin.
Comment s'est exprimée la déresponsabilisation des accusés pendant le procès ?
M. L. : L'utilisation de la voix passive a été une particularité de ce procès. Il y avait 49 accusés, plus un, Dominique Pelicot, qui a été une cible systématique de la défense. Un des accusés « est dupé », cet autre est « manipulé », ou encore « entubé ». Ces voix passives traduisent une manipulation de la part de Dominique Pelicot, aussi bien avancée par les accusés que par leurs avocats. À les entendre aussi, tout se serait fait de manière mécanique : « C'était mon corps, mais pas mon cerveau », « j'étais un zombie », « c'est moi sur la vidéo, mais c'est ce n’est moi » …
Vous évoquez également de nombreux silences lors du procès…
M. L. : Les silences que j'ai pu observer ont une fonction un peu genrée et n'ont pas les mêmes enjeux selon la personne. Gisèle Pelicot s'est peu exprimée et a assez peu réagi à ce qui se disait pendant les audiences. Son silence était difficile à interpréter lorsqu'il n'était pas accompagné de gestes ou d'une autre parole proférée, même pour elle-même. Du côté des accusés, le silence, c'est aussi le refus de dire, et de manière plus ponctuelle, des interruptions, c'est-à-dire les moments où ils sont dépassés par leur propre parole et qu'ils sentent qu'ils vont dire quelque chose qui ne va pas convenir, préférant se taire.
Vous évoquez une inversion des rôles pendant le procès, qui concerne-t-elle ?
M. L. : D'abord, celle que verbalise Gisèle Pelicot : « On dirait ici que la coupable, c'est moi. » C'est un cri d'indignation. Il est inadmissible qu'on puisse, dans des stratégies de défense, tenter de lui trouver une quelconque responsabilité. Ensuite, cela concerne les témoins, les femmes et mères des accusés, et je vous remercie de poser la question, parce que je trouve que ce sont les grandes oubliées de ce procès. Il y a eu une forme de rejet à leur égard car on considère qu'elles défendent l'indéfendable. Mais elles sont citées à comparaître par la défense. D'autre part, elles sont proches des accusés, en lien avec eux. Ce sont des femmes majoritairement, qui n'ont pas eu connaissance des faits alors qu'elles ont été interrogées à ce propos. Dans la première partie de leur audition, le président de la cour leur laissait la parole pour dire ce qu'elles voulaient. C'était extrêmement lourd, même pour le public, parce qu'au bout d'une phrase ou deux, elles ne savaient plus quoi dire. Du coup, elles préféraient le plus souvent répondre à des questions. Sauf que ces questions-là les mettaient dans une situation intime très inconfortable. Pour savoir si leur conjoint ou ex-compagnon avait tel ou tel comportement ou pratique sexuelle, c'est elles qu'on interrogeait. Ce qui impliquait donc de les interroger sur leur propre sexualité, devant une cour criminelle avec un public et des journalistes. On leur demandait, lorsqu'elles avaient eu connaissance de certaines choses, de les verbaliser. En fait, on leur faisait porter la responsabilité de verbaliser ce que les accusés eux-mêmes ne verbalisaient pas. C'était vraiment dur.
Les accusés ont été nommés des monstres et Gisèle Pelicot a été érigée en héroïne. Pourquoi cela ne sert-il pas bien le propos ?
M. L. : Parce que c'est encore une fois contourner le réel. Mais cette fois-ci, ce n'est pas une construction langagière des accusés. Ce sont des termes que j'ai entendus dans des discussions ou lus dans les médias. Ce qui me semble intéressant, c'est l'effet contre-productif de ces deux étiquettes. Par exemple, quand on emploie la qualification de monstre, on signifie par là qu'on n'a pas de mots qui concernent les êtres humains pour qualifier leurs actes. Mais en voulant exprimer le degré suprême du criminel, on le déshumanise, donc on le déresponsabilise. Pour ce qui est de l'icône, c'est tout à fait autre chose, mais le contre-effet est le même. En voulant marquer une admiration suprême à l'égard de la victime, on l'a coupée de ce qu'elle a demandé. D'une part, elle n'a jamais demandé à être une héroïne. D'autre part, elle a beaucoup mentionné dans ses rares prises de parole le fait qu'elle était détruite. En fait, je vois dans l'icône une manière collective de se rassurer parce que la victime a tenu bon. Elle le dit elle-même, « quand on me voit, on se dit : "Elle est solide, cette femme" », puis elle précise : « la façade a l'air solide. » On se rassure, inconsciemment bien sûr, en se disant qu'on peut survivre à tant de violence.
Globalement, que démontrent toutes ces stratégies dans le langage ?
M. L. : C'est innommable parce que c'est inacceptable. C'est inacceptable de se confronter au fait qu'on est face à un criminel. C'est inacceptable pour la victime qui a subi ces crimes. C'est inacceptable pour la société. Et selon moi le fonctionnement judiciaire fonctionne de pair avec le fonctionnement social. On considère, à très juste titre, qu'il y a un problème dans l'accueil et le traitement judiciaire des violences sexuelles. Mais c'est parce qu'en amont, c'est une réalité à laquelle la société a du mal à se confronter, qu'on peine à nommer aussi. Je pense que l'esquive est un système langagier qui caractérise un système de défense. Mais, pour moi, c'est plus largement révélateur de notre réticence sociétale à affronter, à assumer l'inacceptable.
Finalement, ce n'est pas un procès si hors norme que ça ?
M. L. : Je ne suis pas sûre que les raisons pour lesquelles on en fait un procès hors norme soient les bonnes. Le nombre d'accusés peut être impressionnant, mais il faut remettre les choses à leur place chronologique. Chacun de ces hommes est allé individuellement chez les Pelicot sans avoir conscience d'être pris dans une dimension collective. D'ailleurs, on peut analyser leur parole comme un système parce que ce sont des hommes qui ne se connaissaient pas et qui ont néanmoins eu recours de manière intuitive aux mêmes structures langagières de déresponsabilisation. En fait, le nombre d'accusés est le résultat d'une longue instruction. Mais pris individuellement, c'est 60 fois un viol. Un peu plus, puisque certains sont revenus plusieurs fois. En revanche, ce qui est hors norme, c'est le fait que la victime n'ait aucun souvenir des faits alors qu'ils sont aussi nombreux. C'est le combat de Caroline Darian de faire découvrir la réalité de la soumission chimique : c'est en réalité bien plus tentaculaire qu'on l'imagine. L'autre dimension exceptionnelle est qu'il n'y a pas débat sur la matérialité des faits. Certaines personnes auraient pu se poser la question : pourquoi y a-t-il un procès alors qu'on a les vidéos ? Justement, il y a procès parce que les vidéos existent et que la question de l'intention a dû être reconnue.
À LIRE : Mathilde Levesque, Procès Mazan Une résistance à dire le viol, Payot, mars 2025
Ce procès, qui va se prolonger en appel, est une invitation absolue à changer la place que font les hommes aux femmes depuis que la déesse-mère a été remplacée par le Dieu père. La civilisation a essayé successivement (jusqu'à Abraham) la déesse-mère puis le dieu-père = une seule tête = Esprit de domination, pour faire contrepoids à la seule et unique nécessité pour tous la même : La mort. En lieu et place de l'homme universel représentant de l'humanité, au lieu de faire de l'UN, donc de la mort, passons à une autre manière de concevoir l'humanité : La femme représente les femmes, L'homme représente les hommes, le deux du duo parental représente la société naissante. L'intelligence individuelle devient intelligence collective, à égalité de représentation, à égalité de droit et de devoir. Nous n'avons que l'amour et le triomphe de la vie pour Bien Universel. La détermination de Gisèle Pélicot propose de parler "activité sexuelle/misère sexuelle" et ainsi de faire basculer la société sur ses fondations symboliques, ses fausses croyances et l'interrogation des hommes sur les privilèges qu'ils octroient à leur sexe masculin. L'esprit de domination est un mal absolu. Une idée me vient : Ces hommes, Dominique Pélicot, puis Joël Le Scouarnec, ont laissé des traces de leurs agissements sur des vidéos et des carnets de notes comme preuves de leurs crimes. Pourquoi? Ont-ils obscurément fait appel à notre intelligence collective pour pouvoir interroger le monde entier sur un fonctionnement sexuel sans foi ni loi jusqu'à ce qu'une intime conviction collective puisse servir d'incontestable interdit universel, telle la loi interdisant l'inceste de manière absolue (parce qu'elle met la descendance de l'humanité en danger de mort). L'amour, la mort la vie sont ensemble les phares universels de notre existence. Nous luttons depuis le premier matin du monde pour expliquer par des pensées et des paroles les choses de la vie. Les dérives des moeurs actuelles (argent pornographie, drogue, menaces guerrières) nous poussent à penser le sens qu'ensemble nous voulons donner à la vie et ça commence à la naissance de chaque enfant, tendresse chaste, soin, joie et ça se poursuit avec l'organisation de la société à partir de nos besoin vitaux universels, ceux dont on ne peut durablement pas se passer : Sécurité (le nouveau-né ne vit qu'à condition d'être en sécurité), nourriture, logement, habillement, éducation, instruction, formation professionnelle, information, circulation des biens et des personnes. C'est un coût à évaluer et on pourrait étalonner la monnaie sur ce coût facilement calculable désormais avec l'INintelligence artificielle (=mémoire composite artificielle) variable selon les territoires. Peu importe qu'il y ait des riches, à condition qu'il n'y ait pas de pauvres... et je résume : un ENNEMI UNIVERSEL : l'ESPRIT DE DOMINATION.