
Alors que les religions monothéistes se montrent souvent hostiles aux personnes LGBTQ+, certain.es choisissent de se tourner vers la foi après leur coming out. Ils et elles nous racontent.
Alice, 37 ans, a grandi dans une famille catholique. Enfant, elle est allée au catéchisme, puis à l’aumônerie. « Je trouvais que la foi telle qu’on me la présentait n’avait pas de sens. Il y avait tellement de violence », se rappelle-t-elle. En 2013, après les positions de l’Église catholique concernant le mariage pour les couples de même sexe, elle a même pris le temps de faire un acte d’apostasie. Triskele a aussi grandi dans une famille catholique pratiquante. « Mes parents étaient assez investis dans la vie de l’Église, mais ils ont été remerciés parce qu’ils dérangeaient. Ils ont toujours été assez progressistes, pro avortement et LGBT… Je me suis détournée de la religion, car ma famille s’est sentie exclue », se rappelle l’étudiant.e de 27 ans.
Un intérêt grandissant
Arrivé.e au lycée, Triskele va aider les malades lors de pèlerinages à Lourdes avec une amie. Iel commence à se réintéresser à la religion « en tant qu’adulte ». En 2020, alors qu’iel est parti faire ses études en Écosse, Triskele fait son coming out non-binaire, et suit des cours d’étude des religions. Cette volonté de s’approprier la religion en grandissant, c’est aussi ce qu’a vécu Aliaume, une jeune femme trans et non-binaire de 33 ans. Si, petite, elle a grandi dans une famille athée, elle a toujours entretenu une fascination vis-à-vis du religieux. Lors de ses études de cinéma, elle emprunte la Bible à la bibliothèque. « J’ai eu une espèce de choc philosophique, une révélation. J’y ai lu le pardon et l’amour, le fait de ne jamais être dans le jugement des mœurs des autres, mais de haïr les riches », s’amuse-t-elle. Après une rupture difficile, Aliaume continue ses réflexions, à la fois sur la religion et sur elle-même. «En 2, 3 mois, je vis un énorme bouleversement, et j’adopte cette identité non-binaire », se souvient-elle.
Pour d’autres, se découvrir LGBTQ+ a été plus douloureux. Nabil, 24 ans, a grandi dans une famille algérienne, kabyle et musulmane. « La religion, c’était un sujet, mais il n’y avait pas vraiment d’explication. C’était normal de ne pas manger de porc, de ne pas fumer, de ne pas boire d’alcool, de faire le ramadan », se rappelle-t-il. C’est vers 13 ans que le jeune homme découvre qu’il est attiré par les autres garçons. « Au fil des années, je me suis rendu compte que je préférais les mecs et comme j’étais musulman, il fallait que je refoule ça et que je me marie avec une femme. » Jusqu’à ce qu’il rencontre un homme gay et musulman, qu’il réalise que ses deux identités existent, et qu’elles peuvent coexister. Pour autant, impossible pour lui de faire son comingout. « Je savais que ça allait mal se passer. » Ce rapport à la famille, c’est aussi ce qui a poussé Alice à s’intéresser au judaïsme. « J’ai découvert que ma grand-mère était juive, et que ça avait beaucoup impacté mon histoire familiale », raconte la jeune femme. Si se trouver en tant que personne queer a été un long chemin, elle se sent prête à entrer dans cette nouvelle aventure religieuse. « J’ai une envie de me rapprocher et de me reconnecter avec ma famille, à ce vécu très lié à la discrimination. » D’autant que pour Alice, le judaïsme n’est pas qu’une religion, mais aussi une communauté, où les personnes queer ont leur place.
Chercher (et trouver) sa communauté
Pour toutes les personnes interrogées, la recherche de communauté est importante dans leur retour vers la religion. « Il y a un lien indéfectible entre ma foi, ma non-binarité et ma transidentité. J’ai eu la chance de ne pas me retrouver dans un conflit à ce niveau-là », indique Aliaume. Si son entourage proche est très respectueux de sa foi, elle avait besoin de s’entourer d’autres personnes croyantes. C’est ainsi qu’elle pousse les portes, en 2024, de l'Église luthérienne de Bonsecours, à Paris. Une Église très visible sur la question LGBTQ+. « J’ai rencontré pas mal de personnes, dont une amie, qui m’a demandé mes pronoms avant le culte », détaille-t-elle. Triskele, toujours en Écosse, a aussi senti le besoin de retourner à l'Église : en l'occurrence, une Église méthodiste protestante, plus ouverte. « Je ne leur ai pas dit que j’étais non-binaire, mais ils ont compris. C’est une communauté un peu vieillissante, mais on organise des repas, des lectures… Tu ne vas pas juste à l’église, tu retrouves des gens », raconte-t-iel. Ce qui a plu à Triskele, c’est aussi d’aborder la foi par son aspect quotidien et ancré dans la réalité. « On prie pour Gaza, pour l’Ukraine… Notre mission, en tant que chrétiens, n’est pas juste de prier, mais de donner de son temps ou de son argent. »
Pour d’autres, trouver sa communauté s’avère plus complexe. Nabil a ainsi creusé ses réflexions sur les liens entre islam et homosexualité grâce au podcast JINS, créé par Jamal Ouazzani. « J’ai eu beaucoup de réponses à mes questions, et une nouvelle vision de l’islam… Cela m’a montré que l’intersection des deux identités était intéressante, et que c’était une voix qu’on pouvait entendre dans les communautés queer et musulmanes », développe-t-il. Nabil ne fréquente pourtant pas de lieux de culte, et à part au sein de SOS Homophobie où il est bénévole, ce sont des sujets peu abordés autour de lui. « Jusqu’ici, la seule chose qui me rapprochait de la religion, c’était le ramadan. Le fait d’avoir cette vision sur ma religion, ça me fait du bien. J’ai l’impression d’être plus inclus, d’avoir ma place », confie-t-il.
Comme un second coming out
Alice tente elle aussi de trouver sa place. Dans cette logique, elle songe à faire une B'nai mitzvah, le terme non genré pour la cérémonie de passage à l’âge adulte. « Si je fais ça, je vais être baptisée en tant que personne agenre, et officialiser une sorte de renaissance. Ça ancre aussi qui je suis en tant qu’adulte et en tant que parent », déclare-t-elle. Une volonté de transmission qu’elle veut partager avec son enfant, notamment à travers des fêtes traditionnelles et des rituels. Pour elle, c’est une sorte de nouveau coming out : celui de parler de son appartenance religieuse à sa famille catholique. « On arrive à en parler avec ma mère, même si ce n’est pas facile. C’est un champ des possibles qu’on va créer », estime la trentenaire. Aliaume, quant à elle, a trouvé beaucoup de paix dans la possibilité d’officier un culte si elle le souhaite, et que « tous les éléments théologiques puissent être remis en question. »
Nabil, lui, cherche encore à se rapprocher de ceux et celles qui vivent comme lui. « Je pense qu’il y a beaucoup de musulmans queer. Moi, c’est plutôt le fait d’être queer qui m’a rapproché de la religion ! Mais dès qu’il s’agit de parler à des personnes musulmanes de ce genre de choses, je me sens moins à l’aise », confie-t-il. La peur d’être jugé, exclu ? Un sentiment que vivent de nombreuses personnes LGBTQ+ quant à leur foi. « J’ai l’impression que maintenant, ça me fait du bien au niveau de mon rapport à moi-même, à mon identité », confie Triskele. « Cela m’aide à me dire que nous, personnes queers, on est légitimes, qu’on parlait déjà de nous dans la Bible. Ça me donne de l’espoir », ajoute l’étudiant.e. Une manière de trouver la paix avec Dieu, qui qu’iel soit.
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