Un jeune enfant et ses parents dans la nature

Parents et écolo : « Faire des enfants nous oblige à créer une société plus juste »

© RDNE Stock Project

Est-ce raisonnable de faire des enfants au XXIe siècle ? Leur réponse est oui..., mais en plaçant leurs engagements au centre de leur parentalité. Interview de Charlotte Meyer autrice de Faire des mômes n'empêche pas d'être écolo.

Certains jeunes adultes l'affirment : ils ont renoncé à devenir parents pour le bien de la planète. C'était le cas de Charlotte Meyer, journaliste spécialisée dans l'environnement. Jusqu'au jour où elle découvre qu'elle est enceinte, en octobre 2021, et décide de garder sa fille. Pour trouver des modèles et calmer le sentiment de culpabilité, la journaliste et son compagnon sont partis à la rencontre de familles qui cherchent un mode de vie aligné avec leurs valeurs. Elle raconte leur quotidien et leurs dilemmes dans Les enfants de l'apocalypse. Faire des mômes n'empêche pas d'être écolo (éditions Tana). Entretien. 

Pourquoi faire des enfants, n'est-ce pas égoïste ?

Charlotte Meyer : Le terme « égoïste » est très violent et passe-partout. Il est aussi bien utilisé à l'encontre des femmes qui ne veulent pas d'enfants que pour fustiger les parents. Dans le milieu écolo, le débat : « Faut-il faire des enfants ? » crée une forte division. Mais ce qui est perçu comme un geste inconscient voire criminel est pour d'autres un moteur. Malika Peyraut, la cofondatrice d'Alternatiba, m'a dit : « Si je ne fais pas d'enfant pour raison écologique, cela signifie que je ne crois pas en ma lutte, alors que c'est mon quotidien. » Faire des enfants nous oblige à créer une société plus juste pour eux. 

La parentalité peut-elle encourager à adopter un mode de vie plus écoresponsable ? 

C. M. : C'est le cas des familles que j'ai rencontrées. Pour certaines, le point de départ est sanitaire. Elles veulent que leur enfant soit en bonne santé, donc elles font plus attention à l'alimentation, aux produits ménagers…, et mettent le doigt dans l'engrenage écologique. Pour d'autres, c'est un accélérateur, comme le dit Caroline. Ces familles voulaient déjà aller plus loin. Une fois parents, ça devient concret : elles veulent élever leurs enfants dans la société d'après. 

Comment définir l'écoparentalité ?

C. M. : C'est un vrai patchwork ! La notion recouvre aussi bien les écogestes – comme utiliser des couches lavables – que le soin accordé à nos relations. Elle a été théorisée par la philosophe et éditrice Daliborka Milovanovic. Si vous lui posez la question, l'écoparentalité inclut le maternage proximal, qui consiste à allaiter, faire du cododo, rester près de son enfant. La plupart des familles que j'ai rencontrées l'ont mis en place. Beaucoup optent aussi pour l'instruction en famille (IEF). Elles font l'école le matin. L'après-midi, les enfants sont dans la nature et apprennent des savoir-faire, comme tailler le bois, cultiver son potager. On dit souvent que le changement climatique est une conséquence de notre détachement avec le vivant. Ces parents essayent de retrouver ce lien. Ils trouvent que le cursus scolaire n'est pas adapté pour enseigner les questions écologiques et les alternatives. C'est aussi le constat du collectif Enseignant-e-s pour la planète qui milite pour intégrer l'écologie à la culture enseignante. 

Dans ce livre, vous accordez beaucoup de place aux parents qui ont fait des choix de vie radicaux : vivre dans une cabane au milieu de la forêt, opter pour le nomadisme... Ces familles sont-elles plus en phase avec leurs principes ?

C. M. : J'ai passé jusqu'à trois mois chez elles. Je voulais les mettre en avant pour casser les caricatures, car elles font des choix entourés de préjugés, comme l'accouchement à domicile ou l'IEF. Ce qui est sûr, c'est que ces parents ont un mode de vie aligné avec leurs valeurs. Ils sont d'ailleurs moins écoanxieux. À l'inverse, Julie, qui vit en région parisienne, a conscience que le zéro déchet est un point de départ. L'écogeste l'aide à apaiser l'anxiété, mais elle aimerait aller plus loin. C'est difficile de sortir d'un modèle qu'on nous transmet depuis des générations. Sans compter qu'il peut y avoir des problèmes administratifs voire légaux. La loi de 2021 sur le séparatisme a durci les règles sur l'IEF. Pour beaucoup, ça a été un coup dur. L'une des familles qui témoigne est partie vivre au Canada pour cette raison.

Le risque, c'est l'isolement. Comment ces parents envisagent-ils l'adaptation de leurs enfants à cette société qu'ils rejettent ? 

C. M. : Même s'ils vivent à la marge, ils sont engagés dans des collectifs et des associations, et ils emmènent leurs enfants avec eux. Ils ont conscience que leurs enfants ont besoin de fréquenter d'autres familles, en particulier celles qui ont un mode de vie différent. Par exemple, les enfants d'Olivier et Livia font de l'équitation. Quand j'étais chez eux, l'aînée est partie faire une soirée pyjama dans une maison en béton. Ce n'est pas du tout un problème. Quand les enfants sont plus grands, les parents leur demandent chaque année s'ils veulent aller à l'école. Souvent, ils y vont à la fin du collège ou au lycée, parce qu'ils ont envie de se frotter à autre chose. C'est le cas de Clélia, qui a passé son bac à 16 ans et qui est étudiante en médecine. L'IEF ne provoque pas forcément une inadaptation au système. 

Si ces parents sont engagés, vous expliquez que la parentalité n'est pas toujours compatible avec le militantisme. Pourquoi ? 

C. M. : C'est plus dur pour les femmes, même les pères le reconnaissent. Déjà, c'est difficile de militer dans un milieu où on peut être regardé de travers parce qu'on est parent. Il y a aussi une problématique de temps. Même si le maternage proximal s'applique aux deux parents, le père se libère plus facilement. Malika Peyraut m'expliquait qu'elle n'avait aucun mal à allaiter sa fille en réunion les premiers mois. C'est plus compliqué quand les enfants ont entre 3 et 6 ans. Face aux craintes de violences en manifestation, certaines femmes – toujours elles – essaient de militer différemment. Jessica va moins sur le terrain, elle fait plus de choses en coulisses, comme de la communication. Il y a aussi le mouvement Mother's Rebellion for Justice Climate, né en 2022, qui propose des actions spécifiques pour les mères qui ne veulent pas prendre le risque de se faire arrêter. 

L'écoparentalité ne se fait-elle pas au détriment de l'émancipation des femmes ?

C. M. : Quand on devient mère, on accouche d'une autre forme de féminisme. Le maternage proximal n'a pas empêché Daliborka Milovanovic de créer une maison d'édition, un magazine, ni de s'impliquer dans des associations… J'ai plutôt l'impression que l'écoparentalité n'est pas compatible avec la version majoritaire du féminisme. Certaines femmes m'ont dit « je ne suis pas féministe ». Mais elles sont libres et sûres de leurs choix. Elles sont dans une redécouverte du corps, une reprise de pouvoir. Allaiter devient une arme pour sortir du lait industriel. Au quotidien, la vie en autonomie facilite le partage des tâches. Chez Olivier et Livia, comme aucun des deux ne travaille, quand Livia allaite, Olivier fait autre chose pour le foyer. 

Le livre se conclut sur le témoignage de Chloé, qui vit en ville dans le 93, travaille à plein temps, envoie ses enfants à l'école. Comment trouver un équilibre quand on vit dans le système ?

C. M. : Ce n'est pas évident. Elle a l'impression de renoncer à beaucoup de choses. Ce qu'elle fait, c'est donner des cours de sensibilisation à l'écologie dans l'école de leurs enfants. C'est aussi beaucoup de discussions à la maison, pour expliquer sans priver. Ses enfants ont le droit d'aller au MacDo avec leurs amis, mais eux ne les emmènent pas. Une des clés est là : si on passe plus de temps avec nos enfants, on peut mieux transmettre les connaissances sur l'état du monde et nos valeurs.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
FIACL
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Laurent dit :

    Article intéressant, mais il y a une phrase très bizarre : "Chez Olivier et Livia, comme aucun des deux ne travaille, quand Livia allaite, Olivier fait autre chose pour le foyer". Il faudrait quand même une explication. Sauf aléa temporaire de chômage ou malheureusement plus définitif de handicap, à l'âge d'être parent on travaille, car on ne peut pas vivre en autarcie.

Laisser un commentaire