Nadia Daam et sa fille

« “Mère courage”, c’est un faux compliment, une manière de dire “continuez à faire toute seule, vous y arrivez très bien” »

© JF Paga

Dans son nouveau livre, la journaliste Nadia Daam raconte sa vie de mère solo. Un récit intime, drôle, bouleversant... qui nous fait prendre conscience qu'élever un enfant toute seule reste encore une anomalie dans notre système.

Quand son enfant traversait le tourbillon de l’adolescence, la journaliste Nadia Daam a pris l’habitude de prendre des notes pour mettre ses idées au clair sur son rôle de parent. Elle les a réunis dans La Gosse, un récit aussi intime que politique, qui donne à voir la maternité solo sous un autre regard. Car Nadia Daam a tout connu, la garde alternée à 50/50, la bataille juridique face à son ex défaillant, la garde principale, et enfin, le décès du père de sa “gosse” quand elle avait seulement 11 ans. Nous l’avons interrogée sur ce qu’elle dit de la parentalité solo dans son livre, mais aussi sur ce qu’elle n’a pas abordé. Les galères immobilières, le besoin d’actions à tous les niveaux de la société, ou encore l’urgence de changer le discours public.

Pourquoi avez-vous décidé de publier ce récit si personnel ?

Nadia Daam : Je suis obsédée par ce qui se passe chez les autres. Quand je déposais ma fille à l’école et que la vie était compliquée, je scrutais beaucoup les autres mères, j’avais envie de les suivre pour voir ce qui se passait chez elle, à quoi ressemblaient leurs cuisines, comment elles parlaient à leurs enfants, comment elles géraient leurs galères. On raconte finalement très peu ce qui se passe dans les familles une fois la porte fermée. Ce sont des récits qu’on ne trouve ni sur Insta – parce qu’on y fait un autre récit de soi – ni dans les livres, parce que la maternité a été très longtemps un impensé, voire un objet de critique du féminisme. Dans les années 70, on disait que la condition de mère était un asservissement. Mon livre s’inscrit dans une nouvelle dynamique. On commence à penser la maternité sous le prisme du féminisme, notamment grâce au travail de parents comme Illana Weizman ou Renée Greusard. Les parents d’aujourd’hui parlent plus de post-partum, de périnée, de galères. J’avais envie de parler de cette intimité, parce que ça soulage de partager ses problèmes, on a moins le sentiment d'être une anomalie.

Vous dévoilez dans votre livre des questionnements et des doutes propres aux mères célibataires très intimes et peu discutés, comme la difficulté à trouver sur quel registre vous placer en tant que parent, l’autorité versus le flegmatisme. 

N. D. : C’est difficile de trouver le centre de gravité à deux, sans tiers avec qui discuter. Très concrètement, quand je mettais ma fille au lit le soir, je ne pouvais débattre qu'avec moi de ce que j'avais fait pendant la journée, des punitions que j’avais données, et je n'avais personne pour m’aider à prendre des décisions. Je ne vais pas déranger mon entourage tous les soirs pour leur demander « est-ce que tu crois que je donne ça à manger à mon enfant ? » Être seule, comptable de l'éducation de son enfant, c’est une pression supplémentaire. Et en plus, on n’a pas un mec à qui dire « c’est de ta faute, si elle est reloue », tu ne peux ne t'en prendre qu'à toi-même.

En parlant de mecs, vous vous confiez aussi sur vos difficultés à avoir une vie sexuelle ou romantique satisfaisante. Qu’est-ce qui a bloqué ?

N. D. : Au début quand j’ai eu la garde alternée, on m’a dit « tu vas voir la garde partagée, c’est super, c'est une semaine la maman, une semaine la putain », comme je le dis en rigolant dans le livre. Sauf que je n’avais pas le temps. J’étais pigiste, je travaillais comme un chien pour réussir à payer toutes les factures. J’avais à peine le temps de me laver les cheveux.

Et quand l’envie me prenait et que je trouvais le temps, je ne pouvais ni découcher quand ma fille était là, ni ramener un homme à la maison parce qu’on vivait dans un studio. Et de toute façon, je ne voulais pas que ma fille sache que j'avais des mecs ou des plans cul, ni que des mecs viennent chez moi et "profanent" mon appart qui sentait le Mustela.

Que ce soit pour un plan cul ou une relation plus sentimentale, j'ai rencontré des hommes qui trouvaient ça touchant que j'ai un enfant, mais qui s'attendait à ce que je sois dispo à 100 % pour eux ; cet enfant ne devait pas prendre de la place. Ce n'était pas audible que mon enfant passe avant eux, parce qu'ils avaient encore cette idée que je devais être dans le soin pour eux, apprêtée, entièrement accaparée par eux.

Vous n’êtes pas très positive sur ce point. Est-ce que vous comprenez les trentenaires, de plus en plus nombreuses, qui disent qu’elles veulent dissocier l’amour romantique et le couple, avoir un enfant seule, et vivre leur vie romantique à côté ?

N. D. : J'ai plein de copines qui se lancent dedans, et c’est super. Politiquement, la démarche a du sens, c’est sûr. J’ai trouvé ça difficile personnellement, ne serait-ce que pour des questions matérielles, mais force est de constater que certaines de mes amies ont réussi à avoir des belles relations amoureuses tout en étant parents célibataires. Peut-être qu’elles n’envisageaient pas comme moi pas leur vie en deux territoires différents, avec leur vie de maman d’un côté et leur vie de femme de l’autre. Dans tous les cas, les enfants grandissent et ce n'est compliqué qu'un temps. Ce qui est sûr, c’est que si on est bien entourée, qu’on a un appart plus grand avec la chambre de l'enfant à l'autre bout, c’est plus facile. 

Justement, est-ce que la situation pourrait être différente pour les mères célibataires ?

N. D. : Oui ! Pour moi, ça passe par le politique et notamment par le discours politique. Je déteste la façon dont les politiques parlent de nous. Déjà, il faudrait arrêter de dire "maman solo" parce que c'est infantilisant, comme si la mère célibataire, c'était la maman de tout le monde. On pourrait utiliser d'autres termes, comme "parent isolé" [Ndlr : qui est celui utilisé par les impôts et la CAF] qui est très bien. J'ai la chance d'avoir construit une communauté autour de mon enfant et de mon foyer, mais la réalité, c'est que beaucoup de mères célibataires sont vraiment isolées. Et de toute façon, même si tu es accompagnée, tu es isolée dans ton foyer puisque tu es la seule à porter la charge financière ou éducative, à déposer les enfants à l'école, etc. On pourrait aussi parler de “mère célibataire” au sens fiscal, au sens où on ne vit pas avec un partenaire. 

Et puis, il faudrait en finir avec les descriptions antinomiques où on est, soit des mères défaillantes, soit des mères courage. « “Mère courage”, c’est un faux compliment, c'est une manière de dire “continuez à faire toute seule, vous y arrivez très bien”. »

Il faudrait aussi que des actions très concrètes soient prises pour améliorer nos vies. On pourrait défiscaliser les pensions alimentaires qui sont – pour l’instant – imposables pour le parent qui a la charge des enfants et défiscalisées pour l'autre. C’est une aberration [Ndlr : une proposition de loi a été déposée en janvier 2023 et attend toujours d’être votée]. On pourrait réserver un quota du parc locatif privé et public pour les parents célibataires. Je me rappelle avoir tellement galéré à me loger que pour le dernier appartement, j’ai donné des fausses fiches de paie et omis de dire que j’avais un enfant. Quelques jours avant que je n'emménage, le propriétaire m’a googlé et m’a dit qu’il avait l'impression que je lui avais « fait un enfant dans le dos » en cachant cette information. S’il avait su, il aurait refusé car, pour lui, les enfants sont un problème : ils font des taches sur les murs et les mères célibataires représentent un risque car « si vous perdez votre travail, comment vous allez faire ? ». Il m’a dit sans aucune honte : « malheureusement pour vous, être une mère célibataire, c'est quand même être un cas social. »

Vous finissez votre livre en racontant aussi la violence que c’est de ne jamais pouvoir se reposer, pas même en vacances. De ne plus avoir le droit à l’insouciance, à la légèreté. 

N. D. : Le problème, ce n’est pas que les politiques, c’est aussi comment la société s'organise autour des parents. Rien n'est organisé pour que tes moments de repos soient vraiment des moments de repos, tu es toujours mobilisée pour ton enfant. Mes proches me disaient « pars en vacances avec un club enfant ! », mais déjà, ça coûte cher de s’offrir des vacances en club, et puis, les clubs enfants ne sont souvent ouverts qu’aux enfants de plus de 3 ans et parfois, ils sont si sordides que je me sentais trop coupable pour l'y laisser. Les familles monoparentales sont un impensé en fait. Quand je me pointais sur nos lieux de vacances avec mon enfant, le personnel regardait toujours derrière moi pour vérifier si je n’avais pas d'autres enfants, ou un mec. 

Et puis il y a la galère pour arriver en vacances. C’est une galère de prendre l’avion avec toutes tes valises, la poussette, et en plus, tout le monde te juge. Pourquoi il n’y a pas de service à l'aéroport ou à la gare pour nous aider à aller jusqu'au quai ou au check-in ? Bon maintenant, il y en a, mais ils sont payants alors que les mères célibataires ont bien moins de moyens que les autres parents.

Mais alors, dans l’état actuel des choses, recommandez-vous la parentalité solo ? 

N. D. : Si c’était à refaire, je ferais exactement pareil. Ma vie est super ! Ça a vachement d’avantages d’être seule. Je préfère ça à avoir un mec qui ne fait rien. Dans ce cas, le sentiment d’injustice est encore plus fort. J’ai d’ailleurs eu des messages de femmes en couple qui se sont reconnues dans mon témoignage, parce qu’elles s’occupaient de toute la gestion du foyer et que leur mari était plus un boulet qu’autre chose. 

Vous vous attendiez à avoir de tels retours et un tel écho dans les médias ? 

N. D. : Je pensais que j'allais toucher les filles comme moi, de 45 ans, qui bossent dans les médias à Paris, et en fait, je reçois des messages de femmes de partout en France, et de toutes les classes sociales. Elles me disent qu'elles aussi vivent ou ont vécu ça et que ça fait du bien d’en parler.

Je trouve qu’on a peu de récits à la première personne sur les sujets de la parentalité et de la famille et que les réflexions actuelles restent de l'ordre de la pensée et de la théorie, et pas du quotidien et de l'intimité. Parler à la première personne rend le récit plus audible et accessible. Je milite pour qu’on fasse sortir nos discours des milieux urbains ou féministes et qu’ils atteignent d’autres sphères de la société. Il suffit de voir la représentation très normée de la famille française encore aujourd’hui dans les médias pour réaliser le chemin qui reste à faire.

J’espère montrer avec ce livre que la maternité solo – enfin sola –, même si ça te tombe dessus, même si ça a des défis spécifiques, ça peut être joyeux. C’est important de montrer autre chose que la maternité sola tragique. J’aime la montrer comme un horizon envisageable, voire désirable pour les enfants d'aujourd'hui. D’ailleurs, ma fille, comme plein d’ados de son milieu, ne s'imagine pas son avenir comme moi je me l'imaginais à son âge : avec un mec, trois enfants, le chien, et tout ça. Elle arrive à se figurer dans toutes les configurations possibles avec une grande fluidité : avoir un enfant seule, pas d’enfant du tout, être en couple cohabitant ou non… mariée ou pas. Tout lui semble possible et désirable, rien ne serait un échec.

À LIRE

Nadia Daam, La gosse, Grasset, mars 2024

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire