
Qui veut devenir un combattant de MMA ? Et pourquoi se risquer à monter sur l’octogone ? Peut-être pour être prêt à faire face aux épreuves de la vie..., mais pas seulement.
Au Marseille Fight Club, on entre en passant par le tourniquet. C’est pour éviter de faire la chasse aux abonnements que Jean-Michel Foissard, dit « Papy », a installé le mécanisme. Il a fondé le lieu dans le Xe arrondissement de Marseille, il y a presque dix ans. Loin des équipements flambant neufs du MMA Factory, salle parisienne tenue par le très médiatique Fernand Lopez, le Marseille Fight Club (MFC) est resté dans son jus. Bien entretenu, mais avec les moyens du bord. « On n’a pas de subvention, l’année coûte 450 euros, on est ouverts tout le temps. On a quelques petits sponsors locaux, mais nous sommes tous bénévoles », explique Papy, aide opératoire en chirurgie cardiaque à la ville.
L’odeur des corps et des gants
Rudimentaire, mais plein à craquer. Le club fait partie des meilleurs de France – « entre troisième et cinquième, selon les classements en nombre de combattants issus du club et leurs performances », vante Pierre Gabriele, Pierrot pour les intimes, fidèle du club depuis ses débuts. Jean-Michel Foissard est connu dans le monde du MMA et a envoyé des combattants « partout, sauf à l’UFC ». Il a entraîné Ylies Djiroun, premier combattant français au PFL, Wilson Varela, combattant au sein de l’organisation polonaise KSW, ou encore Souhil Taïri, entraîneur de la section féminine du MFC.
Depuis 2022, date du premier combat organisé par l’UFC en France, et deux ans après la légalisation du sport dans le pays, les demandes d’inscription ont explosé. « Les semaines suivantes, 200 personnes nous ont appelés pour un cours d’essai. Toutes ne sont pas restées, mais on est passés de 200 à 380, avec une hausse notamment chez les enfants et les adolescents. » Tous les jours, des dizaines de combattants se pressent sur les bancs et se changent dans les vestiaires sans porte. On croise de jeunes hommes de moins de 30 ans, pros et amateurs, mais aussi des juniors à partir de 6 ans et de nombreuses femmes et adolescentes – le MFC a ouvert en 2020 la première section féminine de MMA en France ; elles sont aujourd’hui 70 inscrites. Quelques marmots jouent dans un coin – pour accueillir au mieux les mamans, les enfants sont aussi les bienvenus. La salle où s’entraînent les combattants et les combattantes est un tatami de 130 mètres carrés marqué du sigle du club – un gorille dont les muscles saillants éclatent son T-shirt à la manière de Hulk. Aux murs, des blocs de mousse et un grillage permettent aux combattants de se plaquer comme dans une cage. Au fond, quelques sacs de frappe. À l’étage, la salle de muscu, passage obligé pour les combattants les plus assidus. Partout, les portraits des champions maison.
Quiconque est déjà entré dans une salle de boxe le sait : la première fois est toujours intimidante. Aux bruits des coups se mêle l’odeur des corps et des gants en cuir synthétique imprégnés de sueur. Pourtant, une fois passée cette première appréhension, le MFC s’avère un endroit accueillant. Familial, même. Un lieu de sociabilisation, de mixité.
Psy, pâtissière, policière et docteur en mathématiques
C’est ce qui a séduit Guénaële, 38 ans, arrivée en septembre dernier. Elle a atterri là sans conviction. « Je suis venue avec ma meilleure amie et je pensais que c’était un cours de boxe », raconte-t-elle dans les vestiaires. Elle connaissait vaguement le MMA – son petit frère est fan et lui montrait des vidéos, qu’elle trouvait trop violentes. « Je suis du genre hyperpacifique », rit la psychologue, qui travaille sur la notion de non-violence dans les écoles. Mais après « de mauvaises expériences de conflit », elle a voulu apprendre à se défendre. La bienveillance du club et des autres filles, le désir de se challenger, l’ont fait rester.
Les profils des femmes du MFC sont comme dans les autres sections : éclectiques. La plupart viennent tout de même des sports de combat. Sofia, 29 ans, est cheffe pâtissière. Pratiquante de boxe anglaise depuis « toute petite », elle vient de recevoir le premier grade sur sa ceinture blanche de MMA. « J’étais flattée et honorée, c’est une belle reconnaissance de mon coach. » Rabian, 25 ans, est technicienne de laboratoire. Elle aussi est passée par la boxe, initiée par son grand frère, « comme ça, je pouvais me défendre ». Sabrina, 33 ans, est juriste et travaille avec des personnes handicapées. Amie de longue date de Souhil Taïri, leur entraîneur, elle a longtemps hésité avant de se laisser tenter – elle aussi refroidie par l’image violente du sport. Elle trouve désormais dans le MMA un exutoire à sa vie quotidienne. « Ça me procure un vrai bien-être, c’est apaisant. Je sors du travail stressée ou énervée, quand je vais au MMA, je lâche tout. Ça me rend plus calme. » Anaïs est une policière de 29 ans. Sportive invétérée, elle fait de la muscu et du CrossFit en plus du MMA. « C’est un besoin physique et psychologique. Ça me permet d’avoir de la force, de la discipline, un meilleur état d’esprit, mais aussi de me créer un cercle social », dit-elle.
Si la violence perçue du sport a pu être un frein, aujourd’hui, les femmes du MFC la ressentent peu. « Je suis habituée des sports de combat et je n’ai pas peur de recevoir des coups ni d’en mettre », reconnaît Sofia. Son regard sur le MMA a beaucoup changé depuis qu’elle pratique. « Je sais que pour parvenir à faire un étranglement ou une clé particulière, il faut plus de technique que de force physique », explique Sofia. Les filles – comme les garçons, d’ailleurs – s’entraînent pourtant fort. Les combats sont hyperintenses. Et tant pis pour les bleus ou les arcades sourcilières ouvertes. « Il y en a qui ont des courbatures, nous, on a des petits bobos », rigole Sofia. Elles redoutent davantage les blessures, celles qui peuvent mettre sur la touche plusieurs semaines : entorses, luxations... « Je n’ai pas peur des coups, confie Rabian, mais je me blesse assez souvent. J’essaie de dépasser cette appréhension, mais ce n’est pas facile. » Sabrina aussi a connu « bobos et blessures ». Mais elle relativise : « Dans tous les sports, on se blesse, de la danse au cheval. »
Plus que la force physique, c’est la confiance qui semble être l’élément le plus marquant de leur apprentissage. En elles, d’abord. « Je m’intéresse plus aux gens, enchaîne Rabian. Avant, je n’arrivais pas à m’ouvrir parce que je n’avais pas confiance en moi. » En leur capacité à faire face aux agressions extérieures, aussi. « Si on m’interpelle dans la rue, je ne vais pas réagir de la même manière. Je serai plus calme et plus confiante », reconnaît Sabrina. « J’ai des filles qui ont des histoires personnelles très dures et qui affrontent leurs démons, partage Souhil Taïri. J’espère qu’elles trouveront dans le MMA des outils pour se reconstruire. On a aussi des adolescentes, et je fais en sorte que ce soient des femmes fortes, pas seulement physiquement. La société a besoin de ça. »
Jeux de stratégie et valeurs martiales
Souhil Taïri est combattant professionnel. Il est par ailleurs docteur en maths appliquées ; il a fait sa thèse sur la tomographie spectrale, soit la possibilité de reconstruire l’intérieur d’un objet sans avoir à le couper en deux. Avant de connaître le MMA, lui aussi préjugeait d’un sport de « bagarreurs ». « Ce qui m’a scotché, c’est l’approche très scientifique de ce sport. Comment être optimal dans un combat en se servant de tous les outils martiaux qui existent. » Il fait ses premières armes à Montréal, avec Firas Zahabi, patron du Tristar Gym et coach notamment de Georges Saint-Pierre, considéré comme l’un des plus grands combattants de MMA (et un passionné d’échecs). Zahabi est également diplômé de philosophie, et inclut ce souci de la réflexion dans ses entraînements. « Il nous montrait des combats de l’UFC et nous faisait travailler un ou deux détails importants. » Un sens de la minutie et de la stratégie essentiel aussi au MFC. « Il faut être intelligent pour être un athlète de haut niveau – encore plus dans le MMA, abonde Jean-Michel Foissard. On a une trousse à outils qu’il faut savoir sortir au bon moment. » Pendant ses cours, Souhil invite les combattantes à se projeter dans une situation où elles sont en mauvaise posture. Et maintenant, comment en sortir ? Comme aux échecs, quatre ou cinq coups sont possibles, tous menant à leur tour à quatre ou cinq coups. Dans le cours des pros, les coachs invitent au recul. « Calme-toi, réfléchis ! »
Le MMA est une affaire de stratégie, mais aussi de valeurs – un enseignement essentiel des arts martiaux. « Dans tout le processus de compétition, on trouve des compétences utiles pour la vie de tous les jours, assure Souhil Taïri. La première d’entre elles, c’est la discipline. Il faut bosser à l’entraînement, être présent sur le tatami, avoir une assiduité, une réflexion sur ses combats, avoir une hygiène de vie saine. Puis arrive le jour J. C’est un cocktail émotionnel explosif. Si on gère tout ce stress, ces émotions, la peur, la colère, qu’on arrive à ne pas trop surréagir pendant le combat et à être à l’écoute, on pourra mettre cette gestion émotionnelle, cette confiance en soi, au service de sa vie professionnelle ou personnelle. »
« Dr Broc fracasse, Dr Broc remplace. »
Une vision à laquelle souscrit Khaled Sahraoui, combattant amateur et fraîchement diplômé de médecine. Le jeune homme de 24 ans pratique les sports de combat depuis le lycée. À l’époque, il fait de l’escalade et observe du haut de son mur les boxeurs. « Je voyais l’intensité de leur entraînement, comment ils se dépensaient, mais également la manière dont les anciens aidaient les nouveaux, cette bienveillance. Ça m’a attiré. » Khaled est happé. La pratique assidue de ce sport et les voyages pour aller aux compétitions lui servent « d’échappatoire de ma vie dans les quartiers nord », dit celui qui est arrivé à Marseille depuis l’Algérie à 12 ans. Mais Khaled n’est pas seulement motivé, il est aussi doué d’un « mental de champion », remarque son coach d’alors, « un champion de boxe thaï à la dégaine de surfeur », qui lui promet un avenir radieux. « Un mental de champion, c’est aller au bout des choses, aller chercher son objectif, peu importe la manière, peu importe comment tu finis, presque sans avoir peur de la mort, définit le compétiteur. Se donner à fond, intelligemment mais sans trop réfléchir, parce que ça peut te freiner. » Une détermination qui l’accompagne pendant sa première année de médecine, dont il attribue la réussite à la discipline acquise sur le tatami. « Je travaillais dur, régulièrement, je me couchais tôt, je me levais pour réviser, je n’ai jamais eu un sommeil aussi régulier. » Face aux doutes, Khaled sait qu’il est capable de se dépasser. « Je fais des combats dans une cage, ce n’est pas un exercice de maths qui va me faire peur », rigole-t-il.
Aujourd’hui, le jeune médecin partage ses deux passions avec ses presque 100 000 abonnés. Sur les réseaux, il est Dr Broc et raconte avec enthousiasme et spontanéité le quotidien de son externat, du service de gynécologie à celui des urgences. Il montre aussi les coulisses de ses entraînements. Une façon de motiver ses abonnés, dont de nombreux jeunes en médecine, de promouvoir la pratique d’un sport (c’est bon pour la santé ! ) et de s’inscrire comme modèle pour sa communauté, et pour les autres. « Je suis un jeune Arabe, je viens du bled, je suis arrivé dans les quartiers et j’en suis sorti par les études… Je reçois beaucoup de messages pour me dire ‟continue, tu inspires nos jeunes”. »
Pour les jeunes, interdiction des coups au visage
Loin des clichés d’un sport ultraviolent, pas très malin, pour des adeptes de la castagne, le MMA se développe et affirme sa légitimité. Les 25 et 26 mai 2024, la fédération organisait à Miramas la toute première compétition française pour les 14-17 ans depuis que le MMA a été légalisé en 2020. En tout, 90 jeunes sont venus de toute la France, en particulier du Sud. Que des garçons. Une seule fille était inscrite, depuis un club corse. Faute d’opposante, elle n’a pas fait le déplacement. Jean-Michel, lui, a emmené 22 jeunes dont la plupart sont entrés dans un octogone pour la première fois. Une arrivée en masse. « On aura au moins la médaille de la participation », rigole-t-il.
Le jour J, les discussions tournent autour des règles des combats. Pas de coups de coude, de genou et, surtout, pas de coups au visage. Voilà pour les 16-17 ans. Pour les 14-15 ans, les règles sont encore plus restrictives. « Ça va être un combat de regards, plaisante Jean-Michel Foissard. Celui qui fait le plus peur a gagné ! » Les combattants sont un peu déçus, voire déboussolés – ils ont appris à se battre en portant des coups à la tête. Il faudra donc être plus stratégique et jouer aux points : dans un combat, chaque « dommage » fait marquer des points. À défaut d’un KO, d’une soumission (l’opposant, maîtrisé au sol, tape pour arrêter le combat) ou d’un TKO (un KO technique, lorsque l’arbitre considère que l’opposant ne peut plus se défendre et arrête le combat), celui qui en marque le plus gagne. Pour un KO, il faudra viser le foie. Il n’y en aura qu’un.
Les règles sont complexes et rappelées en début de journée par les arbitres. C’est toujours le cas, même pour les professionnels. « Et la guillotine, on a le droit ? Et l’anaconda choke ? » Des prises aux noms étranges dont s’enquièrent les jeunes combattants. Lionel Brézéphin, cadre technique de la Fédération française de MMA, aborde immédiatement la question des « percussions » au visage – le terme technique pour parler des coups dans les sports de combat. Thèse à l’appui, il explique que la commotion cérébrale peut intervenir sans perte de connaissance et que pratiquer après un choc sans que le cerveau ait eu le temps de cicatriser est dangereux. Cela peut engendrer la fameuse encéphalopathie traumatique chronique (ETC), maladie dégénérative du cerveau qui touche en particulier les athlètes – boxeurs, cyclistes ou rugbymen. « Vous avez moins de 18 ans, vous êtes partis pour pratiquer ce sport pendant de longues années. Si vous ne vous protégez pas, à 40 ans vous aurez le cerveau d’un homme de 80 ans qui a besoin d’aide pour lacer ses chaussures », avertit-il. L’argument est convaincant. Si quelques coups partent par réflexe (au prix parfois d’une disqualification), ces nouvelles règles semblent être bien acceptées par les jeunes combattants.
Sur les deux octogones installés dans le gymnase s’affrontent pendant deux jours les 90 jeunes hommes. « Quoi qu’il se passe, c’est de l’expérience », rassurent les coachs. « C’est dans la défaite que tu apprends le plus », consolent-ils les déçus.
Khaled Sahraoui et les autres le disent : « Les gens ne font pas du MMA pour aller à l’UFC, mais pour s’améliorer, travailler sur soi et être prêts à faire face aux épreuves de la vie. » Il reste que tous travaillent dur pour aller le plus loin possible, pour n’avoir « rien à regretter ». « Quand j’ai commencé les sports de combat, j’avais des objectifs très modestes, retrace Souhil Taïri : je voulais faire des combats sans casque. J’ai rencontré Jean-Michel Foissard, et non seulement il m’a entraîné et m’a tout appris, mais il m’a aussi donné le permis de rêver. Ça, c’est exceptionnel. » Aujourd’hui, il « rêve en grand » et se voit champion du PFL, pourquoi pas combattre pour une ceinture mondiale. « Atteindre le PFL, affronter des champions, c’est une dinguerie monumentale, s’enthousiasme le combattant. Quand je suis dans la cage, je suis un fan, ce n’est que du kif et c’est une aventure incroyable. Victoire comme défaite, peu importe, mais je me donne les moyens d’aller jusqu’au bout. Et je sais que j’irai jusqu’au bout. »
Pourquoi cet article n'est-il pas signé ? Il ressemble à du contenu promotionnel déguisé financé par la fédération du MMA !
Bonjour
Cet article est signé par Elsa Ferreira - journaliste - porteuse de sa carte de presse - et qui a fait une série d'enquêtes passionnantes sur cette pratique.
Il est toujours indispensable d'être financé ... mais non, la fédération n'a absolument rien à voir avec ces articles - ni aucun autres chez nous.
Béatrice SUTTER
J'ai lu avec intérêt cet article qui dédramatise le MMA, je suis un non violent , sensible , humaniste , passionné de musique classique,j'ai pratiqué un sport de raquettes en championnat pendant 20 ans avec un rôle de Président du Club ,ce qui n'a rien à voir avec les sports de combats mais je regarde assidument les retransmissions des rencontres de MMA sur la chaine 21 les samedis soirs , et j'aime ça lorsque les arbitres savent arrêter à temps un combat!
Cette discipline s'ouvre aux jeunes avec des adaptations de protections physiques mais les mauvais coups involontaires à la tête seront toujours à craindre, je m'interroge des conditions de surveillance, d'arbitrage et de sanctions pour les applications strictes des règlements d'interdictions de coups bien définis.
Je n'adhèrerai jamais à ces pratiques de taper... autrement que dans un jeux vidéo. 100