Tatouages du compte Instagram @dietsodas

Logo de jeux vidéo, ode à la kétamine : la mode est aux tatouages inspirés des mèmes

© Tyler Fertig-Smith

« Ouais le sexe c'est cool mais bon Fortnite ». Nés de la culture numérique, les tatouages mêlant humour absurde, post-ironie et références Internet, commencent à envahir les corps.

Contrairement aux millennials, la génération Z, la génération la plus tatouée selon le Pew Research Center, privilégie volontiers une approche plus meta lorsqu'elle passe sous le dermographe. Exit oiseaux en plein vol, emblème de la maison Gryffondor, signe de l'infini et citations inspirantes... Place à des devises et illustrations dignes de Reddit et Tumblr.

Des Hello Kitties brandissant des mitrailleuses

« Issus du braint rot (ndlr : à traduire littéralement par "pourrissement du cerveau", l'expression fait référence aux effets provoqués par un usage excessif des réseaux sur le cerveau), les tatouages ironiques évoquent les reliques des mèmes de 2009 et aux messages débiles que vous trouverez sur les fils de discussion Reddit inactifs. Pensez : des Nike à l'envers sur les avant-bras, la maxime « Ouais le sexe c'est cool mais bon Fortnite », et des Hello Kitties brandissant des mitrailleuses. Ils sont nés d’une éducation chroniquement numérique qui a conféré à la génération Z une personnalité Internet méta ironique et un style d’humour absurde et autoréférentiel. Une marque qui a lentement fait son chemin hors de nos feeds et dans les rues, d’abord à travers la mode et maintenant sur notre peau », explique Dazed.

« L'ironie est ma meilleure amie en ce moment. J'espère pouvoir susciter une réaction viscérale chez mon public, qu'elle soit bonne ou cringe », déclare Tyler Fertig-Smith, tatoueur de Los Angeles ayant grandi sur Internet, au média américain. Parmi ses inspirations : les mèmes bien sûr, mais aussi les films, les décorations chéries par des « mamans du Midwest » et la nostalgie des années 2000 qu'éprouve son frère aîné. Au catalogue, cela donne par exemple le mot « kétamine » écrit sur un cheval ou un portrait du rappeur Pitbull. Comme en témoigne la section commentaire du compte Instagram du tatoueur (@dietsodas), où se côtoient déclarations d'amour et remarques acerbes et scandalisées, les retours sont mitigés. Au sein de la communauté de tatoueurs, la tendance est plutôt à la surenchère dans l'ironie, une surenchère stimulée par la caisse de résonance qu'est Internet.

« L'algorithme favorise beaucoup le sensationnalisme », relève Nikolaj, artiste tatoueur basé au Danemark et dont les faits d’armes incluent une silhouette évoquant celle de la Vierge-Marie entourée de cœurs rouges pixelisés ou encore le mot « opium » raturé. Pour son tatouage reprenant le logo de la marque de vêtements Berlinciaga devenu viral sur Instagram, il explique avoir sciemment choisi une couleur peu attrayante et des lignes laides « pour faire chier les gens ». Il précise : « Je pense aussi que voir toutes ces trucs tarés en ligne nous désensibilise un peu aux trucs tarés encore plus fous. »

Post-ironie : l'ère de la désillusion et du pessimisme

Quel rapport entre ces tatouages mettant à l'honneur une silhouette équestre, une marque de prêt-à porter et un chaton japonais armé ? Ils relèvent tous de la post-ironie, ou comme l'explique Marie Dollé dans sa newsletter, « le stade où l'ironie se déploie de manière si complexe qu'elle transcende son aspect purement sarcastique pour embrasser des nuances de sincérité. » Symptômes de l'époque, les tatouages post-ironiques incarneraient les sentiments croissants de désillusion et de pessimisme qui prévalent chez une génération ayant grandi entre récession, pandémie et troubles politiques. « Si je veux me faire tatouer un Bisounours sur la jambe, qu’est-ce qui m’en empêche ? La société ? De toute façon, nous sommes tous foutus, avez-vous vu le marché immobilier ? », assène Tyler Fertig-Smith. À ce sentiment de nihilisme, s'ajoute une perception des corps développée dans un contexte où l'expression de soi est célébrée. À ce titre, l'art corporel est perçu comme le reflet d'une identité en évolution, dont chaque étape de la construction, même fugace, mérite d'être encapsulée par une illustration. En outre, les tatouages ironiques sont souvent ouvertement dépourvus de sens. C'est sans doute la raison pour laquelle Tyler le tatoueur s'est fait tatouer le logo Fortnite, le personnage Rodrick du dessin animé Diary of a Wimpy Kid, et les mots « Internet Celebrity », écrits de façon à faire ressortir le terme « Incel ». Parce que pourquoi pas.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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