Jerry de Totally spies et un taser Hello Kitty

Jamais sans mon taser Hello Kitty ! Le business du « self-défense » arrive en France via TikTok

© Totally Spies et Hello Kitty

Comment les vendeurs de gadgets de self-défense féminins font peser la responsabilité des agressions sur la « non-préparation ».


Poing américain à paillettes, bombe au poivre dans un étui licorne, porte-clé-alarme en Tamagotchi, vernis à ongles qui détecte la drogue, rouge à lèvres taser… Sur TikTok, des centaines de vidéos sous les hashtags #SelfDefenseForWomen ou #GirlSafetyKit apprennent aux femmes à utiliser leur arsenal de défense assorti à leur manucure. À la fin du clip, un message s’affiche : « Restez glamour et en sécurité, mesdames », suivi du lien pour commander un kit de sûreté pour brebis égarée. Et ça marche : 18 000 likes pour l’une, 1 000k pour l’autre.

À qui profite le crime (potentiel) ?

Le marketing d'outils d'autodéfense n'est pas nouveau. S’il a toujours été possible de trouver chez les grands détaillants des armes de catégorie D, certains objets vendus dans ces kits de sureté, comme les tasers, sont eux, en France, strictement interdits à la vente pour les particuliers. En plus de ce manquement à la loi, ces objets exportés des États-Unis sont devenus « girly », usant d’un marketing genré ultra-cliché pour faire oublier la sordide banalité de la situation. Designés pour être, à la fois, mignons et passe-partout, ces objets semblables à des porte-clés pailletés sont vendus dans des petites mallettes douillettes à accrocher au sac à main. La cible ? Les femmes, et plus précisément une nouvelle génération post-Covid privée de l’extérieur pendant la pandémie.

@selfdefgirl

Répondre à @kafrine43 2 semaines pour le réassort des shokers 🔥✅ #selfdefense #defense #selfdefgirl

♬ son original - Selfdefgirl


Si le besoin de se sentir en sécurité est légitime, le business qui en découle pose problème. D’abord, parce que ces objets perpétuent l’idée selon laquelle les agressions sont majoritairement le fait d’inconnus dans la rue ou dans des espaces publics. Or, les statistiques offrent une autre réalité. Si les agressions sexuelles dans la rue avoisinent les 20 %, celles commises par des personnes connues de la victime (cercle proche, familial, conjugal) présentent un taux de 80 %. Selon l’OMS, 35 % des femmes, soit près d'une femme sur trois, indiquent avoir été exposées à des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire intime au cours de leur vie. Enfin, une femme sur trois déclare avoir été victime de harcèlement sur son lieu de travail. Faut-il donc penser à apporter son kit au bureau et dans sa cuisine ?

Au lieu de traiter la violence comme un problème systémique, ce marché fait payer entre 40 et 70 dollars un sentiment de sécurité sans aucune réelle garantie d’efficacité. Les alarmes ou les sprays peuvent s’avérer, au mieux, inefficaces, au pire se retourner contre la victime s’ils sont mal utilisés. Une étude de 2009 menée par l’université de Pennsylvanie a révélé que les personnes armées étaient 4,5 fois plus susceptibles d’être abattues en cas d’agression que celles qui ne portaient pas d’arme.

Capitalisme 1 - changements sociétaux 0

Pire, cette artillerie rose vient aussi exacerber une peur du danger constant – c’est le cas d’Agathe, 20 ans, étudiante à Lyon : « J’avoue que je n’y pensais pas vraiment avant d’avoir vu ces vidéos. Mais, à force de voir du contenu anxiogène, j’ai développé une méfiance dans mes environnements quotidiens qui n’étaient pourtant pas menaçants. Je me suis donc demandé s’il fallait que j’investisse dans la valise. » Cette logique qui enjoint à se défendre, « juste au cas où », rappelle clairement les arguments du lobby des armes étasunien qui estime que la meilleure protection contre les armes à feu serait d’en porter une soi-même.

En enjoignant les femmes à se protéger, le business du safe comporte un autre effet pervers : celui de faire porter la responsabilité de l’agression sur l’individu qui la subit. « Tous ces outils encouragent l'idée que les victimes n'avaient pas assez pris leurs dispositions, explique Félix Lemaître, journaliste et auteur du livre La Nuit des Hommes. C’est l’éternel retour à la culpabilité de la victime plutôt qu’à la sanction des agresseurs. » Cette logique détourne le sujet du problème sociétal de la violence qui ne peut être résolu par un porte-clé piquant à strass, mais plutôt par une vraie contre-culture du viol, des budgets plus conséquents pour la justice et une lutte collective pour trouver un équilibre entre protection immédiate et bouleversements structurels.

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