L’ « énergie féminine » sur les réseaux sociaux : un mouvement féministe ou conservateur ?

Décrit par ses adeptes comme féministe, #feminineenergy prône pourtant un retour aux injonctions patriarcales.

Sous le hashtag #feminineenergy sur Instagram, plus d’1,6 million et 775k sur TikTok publications décortiquent les moyens de reconnecter avec leur « énergie féminine ». Puisées dans la théorie du ying et du yang, ou d’un “docteur en psychologie” dont le nom n’est jamais cité, les origines du concept sont floues. Et les intentions pas nettes.

Des filles trop mecs

Ces love coaches autoproclamés prônent une vision selon laquelle résiderait en chacun une double énergie : l’une féminine, liée à la douceur et à la créativité, l’autre masculine, tournée vers l’action et la performance. The Doll Beauty, suivie par 2 millions d’abonnés sur YouTube, désamorce ce discours binaire, critiquant une « confusion avec des stéréotypes de genre ». La nuance est fine. Même si « ce n’est pas une faiblesse, un trop-plein d’énergie féminine nous rendrait “gogole” », selon la youtubeuse. Elle poursuit : « la société pousse les femmes à être dans une énergie masculine, empêchant ainsi les hommes d’épouser pleinement leur rôle de protecteurs. »

Femme fatalement femme

Au-delà d’une conception hétéronormée des relations, ces influenceuses nourrissent leurs followers de conseils pour renouer avec cette énergie féminine. Jillz Guerin nous conseille de « marcher en balançant les hanches » ; l’instagrameuse @oceaneiriss recommande la tisane plutôt que le café, boisson excitante donc masculine ; Lisa Filipe nous met en garde sur l’excès d’énergie masculine, qui entraînerait « des menstruations irrégulières, des troubles digestifs, des addictions, et même des burn-out. »

À la clé de ces comptes aux dizaines voire centaines de milliers d’abonnées, des formations souvent payantes - de 117 euros pour @havvaa.off à 1 000 dollars pour Jillz Guerin. Sur la page de Michaela Shaur, “from survival mode to soft feminine” est en vente au côté d’un guide Instagram “From 0 to viral”.

Un féminisme en mode bullet point

Elvire Duvelle-Charles, autrice du livre Féminisme et réseaux sociaux, voit dans cette trend un objectif mercantile : « Tiktok rémunère les contenus de plus d’une minute. L’enjeu est de faire du clic. C’est le même modèle économique que le magazine féminin : jouer sur les insécurités pour vendre un service. » L’activiste décrit une vague typique de l’ère TikTok : « Il est devenu commun de percer sur les réseaux en copiant le contenu de quelqu’un qui a réussi. Il y a un effet perroquet qui explique le manque de sources. La répétition et les bulles créées par l'algorithme donnent une impression de vérité. »

« J’ai failli me faire avoir, constate Rialy qui se décrit comme féministe engagée. Je suis tombée sur ces vidéos à un moment où je n’allais pas bien. Je l’ai pris comme une incitation à prendre soin de soi », explique la jeune femme. « Quand mon algorithme a commencé à me proposer le contenu de son pendant masculin, j’ai compris que c’était stéréotypé. » Elvire Duvelle-Charles ajoute : « Ces théories sont accessibles car le raisonnement est simple. Elles donnent une recette clé en main, quand la pensée féministe est complexe et nuancée. Le féminisme se résume ici à du développement personnel pour femmes. Ce contenu essentialise en attribuant des caractéristiques biologiques et innées à chaque sexe. »

Pour Maéva, qui a connu le concept hors-ligne, la version TikTok « pousse les injonctions à l’extrême ». Selon Elvire Duvelle-Charles, ce sont les premiers signaux de backlash (retour de bâton). « L’ère post-Me-Too a remis en question les modèles de relation en énumérant des interdits, mais sans donner de manuel de séduction. Suivie de la période Covid où tout une génération a été coupée d'interactions directes, cela a créé un besoin de retour aux injonctions. »

Rialy compare la trend à l’era clean girl quand Maeva évoque celle des housewives. L’autrice de Féminisme et réseaux sociaux va plus loin : « La tradwife, l’énergie féminine glamourisent un modèle sans aborder les conséquences, comme la dépendance financière à son partenaire par exemple. »