Capture du compte Instagram d'Inoxtage et de son documentaire  - Kaizen -

« Kaizen » le documentaire d’Inoxtag est-il une énième injonction à la performance ?

Depuis la mise en ligne de son documentaire qui relate son ascension de l’Everest, le vidéaste est durement critiqué. Certains voient dans son discours une énième injonction au développement personnel.

C’est un énorme succès qui ne fait pas l’économie d’une pluie de critiques. Vendredi dernier est sorti au cinéma Kaizen, un documentaire de plus de deux heures dans lequel le vidéaste Inès Benazzouz, dit Inoxtag, 22 ans, fait le récit de son ascension de l’Everest. À grands coups d’images spectaculaires et de musique épique, le jeune homme raconte comment en un an il s’est transformé physiquement aux côtés de toute une équipe de coaches, de guides de haute montagne et d’amis, pour réaliser son projet. Revenu de son périple, le vidéaste incite tous ses abonnés à suivre son exemple : ne « pas abandonner » et devenir meilleurs. Un message positif ou une injonction de trop ?

Sois kaizen et tais-toi !

Depuis sa sortie, le film bat tous les records : plus de 300 000 entrées en salles pour une séance unique à travers toute la France (loin devant les 92 000 entrées du film Les Étoiles vagabondes, précédent record dans la même catégorie, détenu par le rappeur Nekfeu), 23 millions de vues sur YouTube et des invitations dans tous les grands médias de France. Le jeune homme a réussi son coup. « Je voulais transmettre un message, surtout à tous les jeunes qui me suivent, leur transmettre ce message de “kaizen”, de se dépasser, de progresser jour après jour à son rythme », a-t-il expliqué lors d’un passage dans la matinale de France Inter, invitant les plus jeunes à « être moins addicts » aux écrans, à « se reconnecter aux vraies choses », et à ne surtout jamais abandonner leurs projets. 

Un discours proche du développement personnel

Pour parler de sa motivation, Inoxtag évoque également « l’esprit shonen », une invention héritée de mangas pour adolescents — parmi lesquels One Piece, dont le youtubeur est un fan invétéré, selon laquelle il faudrait progresser toujours pour atteindre de grands objectifs. Mais sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes dénoncent l’envers de ce discours sur le dépassement de soi.

Si les propos d’Inoxtag font écho à des milliers d’autres, c’est parce qu’ils empruntent à la rhétorique bien huilée du développement personnel et à la culture de la performance. Arrivée dans le langage commun par le monde de l’entreprise — avec cette idée qu’il faudrait devenir meilleur pour créer plus de richesses, ces éléments de langage ont gagné la startup nation avant de se répandre à l’ensemble de la société. Sur YouTube, certains vidéastes en ont fait leur marque de fabrique, à l’instar de TiboInShape, pape de la remise en forme et devenu célèbre à force de propos parfois polémiques sur la nécessité de se bouger. Aux États-Unis, le très médiatique entrepreneur Bryan Johnson a poussé encore plus loin ces frontières du dépassement de soi avec son programme de recherche Blueprint, destiné à arrêter le vieillissement de son corps. « C’est assez révélateur d’une époque qui nous incite en permanence au culte de l’effort, au travail sur soi. On a également beaucoup entendu ce discours selon lequel il faudrait toujours faire mieux pendant les Jeux olympiques », observe l’essayiste Mathieu Slama.

Pour la philosophe Laurence Devillairs, ce type de discours comporte un sous-texte dangereux. « Cela donne l’impression qu’il faudrait toujours performer. Sauf que la vie n’est pas un exploit sportif, elle est faite d’entraves et d’évènements dont nous ne sommes pas responsables. Ce discours peut être archi culpabilisant, parce que si on ne positive pas, il y a l’idée que l’on serait en faute », juge-t-elle, préférant d’autres passages du documentaire d’Inoxtag, qui invitent à avoir de l’espoir plutôt qu’à être optimiste envers et contre tout. « Notre société repose sur les inégalités et la reproduction sociale. Vendre du rêve aux gens et leur faire croire qu’il suffit de faire des efforts pour atteindre leurs objectifs, ça renforce le système tel qu’il est, et cette idée que tout le monde peut réussir », abonde Mathieu Slama.

Interdiction de se dépasser ?

Faut-il pour autant renoncer à toute forme d’envie de s’améliorer ? « C’est une caractéristique fondamentale de l’humanité, qui nous a permis de construire des sociétés plus justes et plus égalitaires », écrit à ce sujet Nicolas Framont dans Frustration Magazine (…) « Il me semble plutôt que la “leçon » d’Inoxtag consiste à stimuler les appétits d’aventure, quelles qu’elles soient. » « Ce dont nous avons besoin, comme le dit très bien Inoxtag, c’est d’avoir de l’espoir », complète Laurence Devillairs. « Cette notion nous permet de dépasser l’optimisme et le pessimisme qui ne veulent rien dire, de faire le bien sans chercher à tout prix à faire du mieux. »

Malgré des ambiguïtés dans son discours, c’est finalement le vidéaste qui donne les clés pour sortir de ce paradoxe. Dans une publication sur X, il écrivait, à propos de ses aventures qu’il souhaite aux jeunes qui le suivent : « À chacun son Everest. Il n’y a pas de grand ou de petit rêve. »

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Curieuse analyse. Le message de ce docu n est pas la performance, mais bien d’oser avoir de reves et tendre à la réaliser , s’autoriser à avoir des objectif et essayer de les atteindre. Le rêve ou l a objectif n’a est pas nécessairement un exploit sportif. Il insiste justement sur le fait de faire les choses petit à petit un pied après l’autre, et d’oser se lancer à faire, à vivre des choses qui semble inaccessible. Juste essayer car cela procure un vrai bonheur et qu’on est pas à l l’abri de faire de chouettes rencontres.
    L auteur de cet article et cher ce « philosophe » coté sont vraiment totalement à côté de la plaque.

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