
Aliénantes et dystopiques… Les villes conçues pour les voitures sont violemment critiquées par une génération qui aimerait bien pouvoir aller boire un verre et acheter son pain à pied.
Fin 2023, le collectif texan Better Block composé d'urbanistes et d'architectes défend en ligne le jaywalking : la traversée illégale d'une route par un piéton. « Comment faire autrement quand on vit dans une ville centrée sur la voiture et que l’industrie automobile veut s’emparer des rues ? » En vidéo, un membre du collectif montre le parcours du combattant que représente à Dallas le simple fait de rallier l'arrêt de bus qui pourra le conduire à son lieu de travail. Citant le chapitre « Road Crossing » de l'essai A Pattern Language : Towns, Buildings, Construction publié en 1977, le collectif observe qu'aux points cruciaux où se croisent routes et chemins, la plupart des aménagements donnent la priorité aux véhicules. D'après l'ouvrage, ces derniers bénéficient du pouvoir d'effrayer et de décourager les piétons, et ce même lorsque les marcheurs ont la priorité. En effet, la très grande majorité des routes américaines, dans les grandes villes ou les banlieues résidentielles, sont construites pour être continues, fluides et rapides pour les conducteurs. Sous-produit d'un urbanisme destiné à favoriser les déplacements en pick-up et SUV surdimensionnés, le jaywalking contribue depuis des décennies à entretenir une culture hypertrophiée de la voiture, culture qui s’exerce souvent au détriment des populations les plus précaires.
C'est quoi le jaywalking ?
Au début du 20ème siècle, alors que les voitures commencent à envahir les rues et que le nombre de décès de piétons monte en flèche, les médias identifient les conducteurs novices et imprudents comme étant responsables du problème. « Jay », un terme d'argot semblable à « hick » (péquenaud mal dégrossi) ou « rube » (plouc qui ne sait pas se débrouiller en ville), était couramment utilisé dans l'expression « jaydriver » pour désigner les conducteurs de calèches et voitures malhabiles. En réponse, l’industrie automobile s'en prend aux piétons, les jaywalkers, incapables selon elle de se mouvoir dans l'espace public en faisant attention. En conséquence, Los Angeles, la ville alors la plus motorisée au monde, introduit en 1925 un arrêté de circulation interdisant l'activité connue sous le nom de « jaywalking ». Cet arrêté sera ensuite adopté par le reste des États et par d'autres pays, notamment en Asie de l'Est.

La liberté de marcher
Depuis quelques années, la jurisprudence s'inverse. Certains États entendent revenir sur la domination des voitures sur la chaussée, espace qui devrait selon eux être dévolu aux piétons et aux transports collectifs. Depuis janvier 2023, le Freedom To Walk act (la loi pour la liberté de marcher) signé par le gouverneur californien Gavin Newsom entend donner plus de latitude aux piétons du Golden State. Dès lors que la sécurité n'est pas en jeu, ces derniers ne seront plus accusés d'une infraction ou frappés d'une amende (de 250 dollars) pour avoir traversé en dehors des intersections désignées.
Aux États-Unis, arpenter la ville relève parfois de la mise en danger. En 2021, les conducteurs de voitures et de camions ont tué 7 485 piétons dans le pays, le nombre le plus élevé depuis le début des enregistrements, indique la Governors Highway Safety Association. La même année à Los Angeles, 128 piétons sont morts, soit une augmentation de 6 % par rapport à 2020, rapporte le Los Angeles Times. Selon les partisans du Freedom To Walk act, le contrôle des piétons a trop souvent affecté les Afro-Américains et Hispaniques, régulièrement appréhendés depuis l’instauration du jaywalking pour avoir marché sur des chaussées dépourvues de trottoirs. D'après le New York Times, les données de la loi californienne sur le profilage racial et identitaire montrent que les Noirs de Los Angeles sont 3,7 fois plus susceptibles que les Blancs d'être arrêtés par la police pour jaywalking.
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