Un grand carrefour aux USA

Jaywalking, la politique américaine anti-piétons fustigée en ligne

© Kevin Dooley

Aliénantes et dystopiques… Les villes conçues pour les voitures sont violemment critiquées par une génération qui aimerait bien pouvoir aller boire un verre et acheter son pain à pied.

Fin 2023, le collectif texan Better Block composé d'urbanistes et d'architectes défend en ligne le jaywalking : la traversée illégale d'une route par un piéton. « Comment faire autrement quand on vit dans une ville centrée sur la voiture et que l’industrie automobile veut s’emparer des rues ? » En vidéo, un membre du collectif montre le parcours du combattant que représente à Dallas le simple fait de rallier l'arrêt de bus qui pourra le conduire à son lieu de travail. Citant le chapitre « Road Crossing » de l'essai A Pattern Language : Towns, Buildings, Construction publié en 1977, le collectif observe qu'aux points cruciaux où se croisent routes et chemins, la plupart des aménagements donnent la priorité aux véhicules. D'après l'ouvrage, ces derniers bénéficient du pouvoir d'effrayer et de décourager les piétons, et ce même lorsque les marcheurs ont la priorité. En effet, la très grande majorité des routes américaines, dans les grandes villes ou les banlieues résidentielles, sont construites pour être continues, fluides et rapides pour les conducteurs. Sous-produit d'un urbanisme destiné à favoriser les déplacements en pick-up et SUV surdimensionnés, le jaywalking contribue depuis des décennies à entretenir une culture hypertrophiée de la voiture, culture qui s’exerce souvent au détriment des populations les plus précaires.

@betterblock

Do you know the history behind jaywalking? The term “jaywalking” appeared when it was thought that people were stupid by walking across the road when it was unsafe to do. But what would you expect when you live in the car-centric city and the automobile industry wants to take over the streets for themselves? In Chapter 54 of “A Pattern Language: Road Crossing”, the book demonstrates that when walking paths cross roads, the cars have the power to frighten and discourage pedestrians that are walking, even when the person has the legal right-of-way. Yet, at the crucial points where paths and roads do cross, most physical arrangement gives priority to cars. Most roads are built to be continuous, smooth, and fast for drivers - implying that the car has the right-of-way. People feel more safe crossing a road when there is a physical obstruction that guarantees that the cars must slow down and give way to pedestrians. There are a few accomodations that can be done to make crossing as a pedestrian safer: ✅Create a raised walk pathway so pedestrians are about 18 inches above the cars ✅Make a “knuckle” at the crosswalk if there is more than a two second delay for people to cross. ✅Put in islands, like stepping stones, between car lanes for pedestrians to safely cross wider roads. ✅Mark the path with a canopy or shelter to make it visible. No amount of painted white lines, crosswalks, or traffic lights will change the fact that most of us live in car-centric cities, but we can start advocating the needs for pedestrians to be able to walk safely and comfortably! #BetterBlock #APatternLanguage #BetterBlockBookReview #UrbanDesign #UrbanPlanning #Placemaking #SustainableDesign #RoadCrossing #Jaywalking #PublicSpace #Dallas

♬ original sound - Better Block

C'est quoi le jaywalking ?

Au début du 20ème siècle, alors que les voitures commencent à envahir les rues et que le nombre de décès de piétons monte en flèche, les médias identifient les conducteurs novices et imprudents comme étant responsables du problème. « Jay », un terme d'argot semblable à « hick » (péquenaud mal dégrossi) ou « rube » (plouc qui ne sait pas se débrouiller en ville), était couramment utilisé dans l'expression « jaydriver » pour désigner les conducteurs de calèches et voitures malhabiles. En réponse, l’industrie automobile s'en prend aux piétons, les jaywalkers, incapables selon elle de se mouvoir dans l'espace public en faisant attention. En conséquence, Los Angeles, la ville alors la plus motorisée au monde, introduit en 1925 un arrêté de circulation interdisant l'activité connue sous le nom de « jaywalking ». Cet arrêté sera ensuite adopté par le reste des États et par d'autres pays, notamment en Asie de l'Est.

Affiche de propagande anti-piétons diffusée en en 1937

La liberté de marcher

Depuis quelques années, la jurisprudence s'inverse. Certains États entendent revenir sur la domination des voitures sur la chaussée, espace qui devrait selon eux être dévolu aux piétons et aux transports collectifs. Depuis janvier 2023, le Freedom To Walk act (la loi pour la liberté de marcher) signé par le gouverneur californien Gavin Newsom entend donner plus de latitude aux piétons du Golden State. Dès lors que la sécurité n'est pas en jeu, ces derniers ne seront plus accusés d'une infraction ou frappés d'une amende (de 250 dollars) pour avoir traversé en dehors des intersections désignées.

Aux États-Unis, arpenter la ville relève parfois de la mise en danger. En 2021, les conducteurs de voitures et de camions ont tué 7 485 piétons dans le pays, le nombre le plus élevé depuis le début des enregistrements, indique la Governors Highway Safety Association. La même année à Los Angeles, 128 piétons sont morts, soit une augmentation de 6 % par rapport à 2020, rapporte le Los Angeles Times. Selon les partisans du Freedom To Walk act, le contrôle des piétons a trop souvent affecté les Afro-Américains et Hispaniques, régulièrement appréhendés depuis l’instauration du jaywalking pour avoir marché sur des chaussées dépourvues de trottoirs. D'après le New York Times, les données de la loi californienne sur le profilage racial et identitaire montrent que les Noirs de Los Angeles sont 3,7 fois plus susceptibles que les Blancs d'être arrêtés par la police pour jaywalking.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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