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Générations IA : et si l’école leur dictait les codes ?

Avec EDHEC

Face aux bouleversements majeurs induits par l'intelligence artificielle, les écoles de management sont confrontées à un double défi : enseigner l’IA, et enseigner avec l’IA. Plongée dans une rentrée pédagogique pas comme les autres, avec Benoît Arnaud, Dean of Programs à l’EDHEC Business School, et Cédric Verbeeck, professeur à l’EDHEC et directeur du MSc Data Analytics and AI.

En 2024, 65 % des étudiants ont utilisé les IA génératives pour la recherche et l'analyse de données. À l’EDHEC, cette transformation technologique, accélérée depuis la démocratisation des IA génératives en 2022, a aussi été l’occasion de réaffirmer une exigence pédagogique : celle d’apprendre à penser dans un monde saturé d’algorithmes. Car derrière l’essor de l’intelligence artificielle se cache aussi une révolution culturelle : « l’IA ne se résume pas à un chapitre dans nos programmes, car elle sera la grammaire du business de demain », prévient Benoît Arnaud, Dean of Programs à l’EDHEC. 

L’école a ainsi placé l’IA au cœur de son plan stratégique « Générations 2050 », dont le déploiement s’échelonne jusqu’en 2028. « Pour nous, l’enjeu n’est pas de former des experts en intelligence artificielle, mais des leaders capables d’encadrer des experts de l’IA », commente Benoît Arnaud. 

Une fusée pédagogique à plusieurs étages

À ce titre, l’EDHEC a développé une « fusée à trois étages » pour aborder ces sujets avec les étudiants, selon leur niveau de spécialisation. « Nous avons d’abord des modules de sensibilisation sous forme de cours magistraux, qui vont toucher tous les programmes, en particulier les bachelors. Puis nous proposons des modules experts au sein de diplômes qui ont une vocation plus large. Enfin, nous avons créé des diplômes spécialisés en IA qui conjuguent des compétences business et techniques », détaille le Dean of Programs. Parmi les cursus les plus en pointe, on compte bien sûr le master Data Science and AI for business (et la création de la spécialisation « data science and AI » depuis la rentrée 2024-2025), ainsi que les MSc Marketing Analytics et Data Analytics & Artificial Intelligence

Ces diplômes ont une coloration technique, comme l’explique Cédric Verbeeck, directeur du MSc Data Analytics and AI. « L’objectif du programme est de combler le fossé entre les domaines du business et de l’informatique, pour doter les étudiants des compétences nécessaires à une prise de décision s’appuyant sur l’analyse de données (collecte de données pertinentes, utilisation des algorithmes ou de modèles statistiques) », commente-t-il. Cette approche fait aujourd’hui consensus dans de nombreuses écoles reconnues, comme à Harvard, où le professeur Karim Lakhani commentait récemment, dans un entretien publié sur le site de l’école : « Le rôle des dirigeants va bien au-delà de la facilitation de la mise en œuvre de l’IA. Ils doivent être pleinement conscients du potentiel de l’IA et créer du lien entre les capacités technologiques et les objectifs stratégiques. »

L’esprit critique, le cœur du réacteur

Au-delà de cette polyvalence, l’enjeu est surtout de former une génération capable, en 2050, de prendre des décisions dans un monde qui tend à devenir versatile. « Nous voulons apprendre à nos étudiants à poser un jugement qui soit éclairé par la complexité », affirme Benoît Arnaud. Pour cela, l’EDHEC a mis au point une pédagogie fondée sur l’apprentissage du fact checking et le développement de la culture générale, mais il a fallu aller encore plus loin. « Le cœur de notre pédagogie doit être la critical thinking, c’est-à-dire la capacité à structurer un raisonnement, sans demander bêtement à l’IA de le faire à sa place. Peut-être que la priorité de demain sera de former des dresseurs d'IA capables de les challenger, voire de les pousser dans leurs retranchements », se projette Benoît Arnaud. Ce type de profil est d’ailleurs très recherché, d’après Cédric Verbeeck : « Nous voulons que nos diplômés aient à la fois le sens des affaires, et des compétences en résolution de problèmes en data analyse. Ces modèles sont en train de prendre de la valeur, dans un marché en transition vers l’industrie 4.0 et l’entreprise numérique. » 

Polyvalents, dotés d’un sens critique… Les dirigeants de demain devront aussi être plus humains que jamais, si l’on en croit les résultats d’une étude sur l’histoire du management publiée en 2023 dans la revue Springer Nature. « Il semblerait que plus il y a d’intelligence artificielle dans le management, plus les dirigeants ont besoin de privilégier les soft skills sur les hard skills », expliquent les auteurs de l’étude. Selon Benoît Arnaud, cela implique aussi plus de résilience : « Quand on ne peut pas anticiper la déclaration d’un président dans les vingt-quatre prochaines heures, ça va devenir compliqué pour un leader d’avoir une vision stratégique : c’est pour cela que sa culture générale sera décisive pour prendre de la hauteur. Il lui faudra être plus résilient, car le temps s’accélère et les chocs sont de plus en plus violents. »

Attention, leaders vigilants

Comment accompagner vers des usages éclairés les générations qui auront grandi avec l’IA ? C’est pour répondre à cette problématique que l’EDHEC a cofondé un consortium sur l’IA responsable, avec pour objectif de partager un cadre méthodologique commun face à cette révolution en devenir. « Nous sommes passés de la grenade à l’arme nucléaire, mais avec la même réglementation », alerte Benoît Arnaud. L’EDHEC a par exemple mis en place un « cadre clair sur le type de données que les étudiants ne peuvent pas donner à la machine », et travaille avec eux sur les biais de genre diffusés par l’IA. « On alerte nos élèves sur le fait que la réponse de la machine n’est jamais neutre, mais est structurée selon le cadre moral de son concepteur. On compare les IA génératives entre elles et on montre que certaines sont plus avancées que d'autres sur la déconstruction des biais de genre… même si aucune ne fonctionne vraiment de manière optimale », précise-t-il. 

Dans ce contexte, impossible d’en rester aux standards de l’enseignement. Au-delà des nouvelles exigences techniques qu’elles incluent dans leurs programmes, les écoles de commerce doivent complètement se réinventer. « Apprendre, c’est accepter qu’on ne sait pas ce qu’on ne sait pas », conclut Benoît Arnaud. « Grâce aux interfaces homme-machine, notre capacité à innover va être bouleversée, dans des proportions que l’on n’imagine pas encore », ajoute-t-il. Et cela passera en partie par l’intelligence collective. « En tant que professeur, je partage mes idées sur la programmation à mes étudiants, mais j’apprends aussi beaucoup de leurs expériences », analyse Cédric Verbeeck. À l'heure où les algorithmes affinent leurs réponses, l'EDHEC mise ainsi sur l'art de poser les bonnes questions. Un défi de taille pour les futures générations de décideurs, dans un monde où la tentation est grande de laisser la machine penser à notre place.


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