
Il est désormais possible de retoucher nos visages de manière quasi permanente et à des prix accessibles. Un petit pas pour la tech, un grand pas pour les injonctions.
Elle s’en souvient comme si c’était hier. Pendant ses études, Zina a souffert d’une sévère acné hormonale. À l’époque, tout autour d’elle vient lui rappeler le mal dont elle souffre… Et notamment les réseaux sociaux : chaque soir, lorsqu’elle scrolle, s’affichent des centaines de peaux, lisses et éclatantes… La plupart de ces images s’accompagnent de publicités pour des produits de beauté, que la jeune femme s’empresse d’acheter. Au fur et à mesure de ses achats, elle décide de lancer sur les réseaux sociaux une page Instagram et un compte TikTok dédié à la skin care, pour partager ses astuces beauté. Puis ses astuces pour la peau deviennent des astuces maquillage.
Aujourd’hui, Zina raconte sur sa page comment elle se fait rehausser les cils chez l’esthéticienne et parle des capsules qu’elle fait poser sur ses ongles. « Ce sont des outils pour se sentir mieux dans sa peau, confie la jeune femme, qui a longtemps été complexée par son physique. Et puis, c’est un peu un cercle vicieux : une fois que l’on commence et que l’on prend l’habitude d’être jolie comme ça, on n’a plus vraiment envie d’arrêter. » Si la jeune femme promet que ces techniques n’ont eu aucune conséquence sur son estime d’elle-même, elle a tout de même choisi d’y consacrer son mémoire de fin d’étude. Son sujet : les conséquences psychiques des innovations en matière de beauté sur les jeunes femmes de la GenZ.
Devenir toujours plus parfaite
Comme Zina, de plus en plus de jeunes filles affichent sur les réseaux sociaux leurs ongles parfaits (grâce aux capsules), leurs yeux de biches (grâce à des extensions et rehausseurs de cils, à refaire toutes les trois semaines) ou de volumineux sourcils (grâce au « browlift », une méthode qui consiste à rehausser chaque poil pour agrandir le regard).
Pour Paula, étudiante en école de commerce et créatrice de contenus dédiés à la beauté, ces nouvelles technologies ne sont pas nécessairement une bonne chose, mais avoue en consommer : « Le résultat est assez naturel et ça me permet d’éviter de me maquiller tous les jours, donc c’est avantageux, explique-t-elle. Mais, soyons honnêtes, je le fais aussi parce que je tiens beaucoup à mon image. Sur les réseaux sociaux, toutes les filles ont l’air parfaites au naturel. Ça donne envie d’être pareil. D’autant que je suis originaire de Moldavie, et que les filles de l’Est ont la réputation d’être très belles. Ça me met une certaine pression, je dois rester jolie tout le temps à cause de ça. » Zina, elle, n’y voit pas de pression, mais explique être influencée : « Quand je vois sur Instagram qu’une fille a testé, par exemple, une nouvelle technologie pour être bronzée en hiver, ça va me donner envie d’essayer ! On a toujours envie d’être un peu mieux que ce que l’on est. »
« Tous les éléments du corps deviennent matière à transformation »
En parallèle du maquillage permanent, la chirurgie et la médecine esthétique se développent aussi chez les plus jeunes. Pour Jean-François Amadieu, auteur de La société du paraître (éd. Odile Jacob), ces nouvelles technologies réversibles renforcent l’idée que l’on devrait systématiquement « améliorer » son corps : « Les gens sont de plus en plus considérés comme responsables de leur apparence, explique-t-il. Ne pas faire en sorte d’être “plus jolie”, c’est déroger à la norme. » Pour l’anthropologue David Le Breton, les injonctions à la beauté sont « plus impératives que jamais » : « Cette génération a grandi dans la banalité des réseaux sociaux, sur lesquels les gens se sentent scrutés, observés, jugés, constate-t-il. Par conséquent, il est normal que tous les éléments du corps deviennent matière à transformation. »
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